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Travailler, sortir, voir des amis… Depuis la crise sanitaire, un Français sur trois dit avoir plus la flemme qu’avant le Covid et les confinements, selon une enquête Ifop publiée en novembre. Éléments de réponse pour retrouver la flamme.

« C’est plus compliqué de sortir le soir, il faut que je me motive », confie Clara*. Depuis la crise sanitaire, cette Parisienne de 41 ans sort beaucoup moins souvent qu’avant. Elle qui était une habituée des soirées salsa et des boîtes de nuit a divisé par deux le nombre de ses sorties nocturnes.

« C’est comme s’il y avait une routine du confinement et du couvre-feu qui s’était installée », analyse-t-elle pour BFMTV.com. « Comme si le rythme était toujours ralenti. »

Pour expliquer cette chute de motivation, Clara se justifie en évoquant son déménagement juste avant le premier confinement – « j’ai perdu toutes mes habitudes ». Mais près de trois ans plus tard, la jeune femme n’a toujours pas trouvé ses repères dans son nouveau quartier. « C’est nul et un peu triste », juge-t-elle.

La baisse de ses envies de sorties, elle l’associe à « une espèce de lassitude » qui aurait été déclenchée par « le gène de la paresse », s’en amuse-t-elle. Pourtant, la jeune femme aimerait retrouver son rythme de vie d’avant le Covid. Mais elle ne parvient pas à « combattre cette flemmardise » et culpabilise.

« J’ai moins envie de sortir mais en même temps je m’en veux de moins sortir. J’y travaille mais je n’ai pas encore trouvé le bouton pour me remotiver. »

37% moins motivés au travail

Comme Clara, un tiers des Français est moins motivé au quotidien qu’avant la crise sanitaire, selon l’enquête d’opinion « Les Français, l’effort et la fatigue » de l’Ifop pour la fondation Jean-Jaurès diffusée début novembre. Dans le détail, quatre personnes sondées sur dix assurent ainsi moins sortir de chez elles.

Une autre étude du Crédoc, publiée l’année dernière, confirmait d’ailleurs cette tendance. Une large majorité des Français et Françaises considère même qu’un vendredi soir idéal se passe dans leur canapé, avec plateau devant la télé – quand seulement 15% des personnes interrogées préfèrent sortir.

Si cette apathie touche leur vie personnelle, elle concerne aussi leurs activités professionnelles: quelque 37% des Français et Françaises affirment être moins motivés dans leur travail. Pour Natacha Vellut, psychologue et psychanalyste, enseignante à l’Université Paris cité, le phénomène est bel et bien une conséquence de la crise sanitaire.

« On a découvert que ne plus avoir à subir les contraintes de la relation sociale et du travail, avec des contreparties qui ne sont pas toujours à la hauteur, n’était pas forcément désagréable », observe-t-elle pour BFMTV.com.

Cette chercheuse du CNRS, spécialiste du lien entre santé mentale et précarité et qui a étudié le phénomène hikikomori – ces Japonais qui vivent volontairement reclus chez eux – mentionne également un contexte global plus favorable au repli sur soi. « Dans une époque marquée par le changement climatique ou encore la guerre en Europe, l’extérieur se révèle davantage comme une menace que comme un terrain d’expérimentations, d’aventures et de rencontres », ajoute-t-elle.

Une épidémie d’anxiété?

Mais cette épidémie de flemme pourrait aussi apparaître comme le signe d’autre chose. Car l’étude de la Fondation Jean Jaurès pointe également une fragilisation psychologique accrue depuis la crise sanitaire. Un tiers des Français et Françaises disent en effet ne pas se sentir suffisamment solides mentalement pour affronter les aléas du quotidien.

C’est pour cela que Pierre Cassou-Noguès, professeur de philosophie à l’université Paris 8 Vincennes – Saint-Denis, envisage une autre lecture de cette épidémie de flemme, notamment sous l’angle de l’anxiété. « Cette étude peut en effet dire deux choses bien différentes », pointe-t-il pour BFMTV.com.

« Je défends le fait de perdre son temps et je défends le fait qu’il n’y ait pas à se sentir coupable de ne rien faire. Mais flâner, rêver, marcher sans but, ce n’est pas la même chose que ne plus sortir de chez soi. »

Un diagnostic que le philosophe fonde notamment sur la forte augmentation des tentatives de suicide chez les jeunes femmes, pointée par un récent rapport de la Drees. L’enquête de l’Ifop pointe d’ailleurs un autre élément étayant cette hypothèse: quelque 14% des personnes interrogées affirment avoir davantage envie de pleurer durant la journée qu’avant la crise sanitaire.

« Faire moins mais mieux »

Pour Pierre Cassou-Noguès, également auteur de La Mélodie du tic tac: et autres bonnes raisons de perdre son temps, la piste de l’épidémie d’anxiété est plus que plausible. « À la crise sanitaire s’ajoute une crise climatique. Comment ne pas être anxieux dans un tel climat? »

Patrick Vassort, maître de conférences en sociologie à l’université de Caen-Normandie, abonde: « On vit dans une société que l’individu n’arrive plus à habiter », analyse-t-il pour BFMTV.com. Il évoque une aspiration à un autre mode de vie.

« Le modèle économique, politique et social qui nous entraîne vers une accélération perpétuelle ne correspond plus à leurs désirs, que l’on pourrait résumer comme faire moins mais mieux. »

Alors que l’enquête d’opinion de l’Ifop pointe un « ramollissement généralisé » et un « puissant appel du canapé », écrivent ses auteurs, l’étude semble pourtant pointer un paradoxe. Car huit personnes interrogées sur dix se définissent comme « bosseuses » et plus d’une sur deux se décrit comme ambitieuse.

« En réalité, les Français ont la volonté de travailler et de mériter leur place dans la société », estime pour BFMTV.com Hélène L’Heuillet, philosophe et psychanalyste. Pour cette maîtresse de conférences en philosophie politique et éthique à Sorbonne-Université, ce que l’on appelle épidémie de flemme ne serait en réalité que le symptôme d’un épuisement général.

« Retrouver du sens »

Alors comment rebondir? Pour le sociologue Patrick Vassort, pas question de continuer comme avant, il faut prendre un virage. « Je ne suis pas certain que les vieux schémas qui visent une continuelle accumulation économique ou démographique nous sauveront », met-il en garde. Pour lui, il faut viser l’économie du peu.

Mais comment retrouver la flamme? « Il n’est pas question d’hédonisme ou de se faire plaisir », répond Hélène L’Heuillet, également auteure de Éloge du retard: où le temps est-il passé? Pour cette philosophe, la solution va bien au-delà des simples ressorts de l’épanouissement personnel. « Il s’agit de retrouver du sens dans sa vie et de se sentir utile. »

En témoigne selon elle le nombre de démissions – en début d’année, elles ont atteint un niveau historiquement haut dont une majorité de CDI, dénombre la Dares – ou encore l’aspiration de certains diplômés – d’AgroParisTech, Polytechnique ou Sciences Po – à déserter des emplois « destructeurs ». La psychologue et psychanalyste Natacha Vellut partage le même verdict.

« Qu’est-ce qui peut réveiller le désir? Il n’y a pas de recette universelle et cela dépend des personnes. Mais c’est bien souvent autour d’un projet ou d’une rencontre. »

*Le prénom du témoin a été modifié à sa demande.

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