Pourquoi les funérailles de l'ancien Premier ministre Shinzo Abe font-elles polémique au Japon?

Des manifestants ont battu le pavé au Japon pour s’opposer aux futures funérailles de Shinzo Abe, contestées à plus d’un titre. Mercredi, un homme s’est immolé près du siège du Premier ministre, en signe de protestation.

Les funérailles nationales de l’ancien Premier ministre japonais Shinzo Abe, qui auront lieu le 27 septembre à Tokyo, sont loin de faire consensus. Un homme s’est immolé mercredi à proximité du siège du Premier ministre dans la capitale japonaise avant d’être transporté à l’hôpital, inconscient. Selon un média local, TV Asahi, il aurait auparavant fait part de son opposition aux funérailles à des policiers présents sur place. Un message écrit dans le même sens a également été retrouvé à ses côtés.

Des milliers de manifestants se sont également réunis de façon exceptionnelle à Tokyo, dans un pays où les défilés protestataires dans les rues sont peu courants.

« Le typhon Nanmadol n’empêche pas les manifestants de tenir des rassemblements pour demander l’annulation des funérailles nationales de Shinzo Abe », écrit Michiyo Ishida, correspondante à Tokyo pour Channel News Asia.

Les « funérailles nationales », un hommage exceptionnel

Quelques jours après l’assassinat de Shinzo Abe lors d’un meeting et ses obsèques privées à Tokyo en juillet, le Premier ministre Fumio Kishida avait annoncé que des funérailles nationales seraient organisées ultérieurement en son honneur.

L’organisation de telles funérailles est un privilège très rare pour une personnalité politique, habituellement réservé à l’empereur et à son cercle proche.

Seul précédent: les pompes réservées à un autre Premier ministre, Yoshida Shigeru, à la tête du pays de façon quasiment ininterrompue de 1946 à 1954, période qui marque la phase de reconstruction et de pacification du Japon après la Seconde Guerre mondiale.

Une figure controversée

Fumio Kishida a justifié la tenue de funérailles nationales pour Shinzo Abe par sa longévité record au pouvoir au Japon – 7 ans et 8 mois en tant que Premier ministre de 2012 à 2020 – et son héritage sur les plans économique et diplomatique, ainsi que par la vague d’émotion dans le monde entier suscitée par son assassinat.

Le Premier ministre voulait aussi faire de cette cérémonie un symbole du refus du Japon de céder à la violence et de sa détermination à « protéger la démocratie ».

Cependant, la personnalité et le bilan de Shinzo Abe sont loin de faire l’unanimité au Japon où il était honni par beaucoup pour ses vues ultralibérales et nationalistes, sa volonté de réviser la Constitution pacifiste japonaise et sa proximité avec de nombreux scandales politico-financiers.

« Le fait que nous organisions ces funérailles nationales ne signifie pas que nous forçons les gens à exprimer leurs condoléances », a été obligé de préciser fin août Fumio Kishida.

Une cérémonie jugée trop fastueuse

L’une des principales critiques formulées par les opposants à la cérémonie porte sur son prix. Car dans la forme, c’est le faste qui primera. D’abord annoncée à 250 millions de yens (1,7 million d’euros) en juillet, la cérémonie devrait finalement coûter environ 1,7 milliard de yens (près de 12 millions d’euros), selon une nouvelle estimation du gouvernement dévoilée il y a quelques jours.

Le montant révisé inclut également les coûts substantiels de sécurité et d’accueil des nombreux dignitaires étrangers attendus. La France sera d’ailleurs représentée par Nicolas Sarkozy, comme pour l’intronisation du nouvel empereur du Japon Naruhito en 2019 ou pour la cérémonie d’hommage au sultan d’Oman en 2020.

Cette inflation soudaine des coûts de l’événement « n’a pas donné non plus une bonne impression en termes de transparence » de la part du gouvernement Kishida, commente Yoshinobu Yamamoto, professeur émérite en politique internationale de l’Université de Tokyo.

Mais comme les invitations ont déjà été envoyées et les préparatifs sont déjà bien avancés, « une annulation n’est pas une option » pour Fumio Kishida.

Cette cérémonie doit intervenir dans un contexte où le Japon connaît, lui aussi, des difficultés économiques liées à la dynamique mondiale d’inflation. Par ailleurs, le yen s’est effondré face au dollar ces derniers mois alors que 10% des importations japonaises proviennent des Etats-Unis. Ce jeudi, le gouvernement a été contraint d’intervenir sur le marché des changes pour soutenir le yen, une première depuis 1998.

Un manque de concertation qui passe mal

Autre élément qui pose problème: le Premier ministre Fumio Kishada n’a pas demandé d’autorisation au Parlement pour organiser ces funérailles exceptionnelles. Rien ne l’y oblige et il a d’ailleurs affirmé qu’il pensait pouvoir prendre cette décision seul.

Fumio Kishida « pensait que le gouvernement avait le droit de décider quel type d’événements il organise. Mais il n’y a pas de système formel au Japon pour définir des funérailles nationales. Donc l’opposition soutient que son gouvernement aurait au moins dû solliciter l’autorisation du Parlement après des débats », explique Yoshinobu Yamamoto.

L’ombre de la secte Moon

Enfin, Shinzo Abe était lié à l’Eglise de l’Unification, aussi connue sous le nom de secte Moon, une organisation fondée en Corée du Sud en 1954 et ayant pour but le rassemblement de tous les cultes chrétiens du monde. Si elle reste légale au Japon, la secte a été la cible de critiques concernant les pressions qu’elle exerce sur ses fidèles pour que ceux-ci lui donne de l’argent.

C’était d’ailleurs pour protester contre ses liens avec la secte que l’assassin, Tetsuya Yamagami, a dit s’en être pris à l’ancien Premier ministre, après avoir échoué à viser directement des représentants du culte. Il leur reprochait d’avoir extorqué de l’argent à sa mère, membre de l’Eglise.

Dans les faits, Shinzo Abe n’était pas membre ou conseiller de la secte. Mais il faisait partie de personnalités politiques du monde entier conviées à des conférences organisées par des entités proches de cette organisation religieuse. Il s’était ainsi exprimé en septembre 2021 à l’un de ses colloques, organisé en ligne. De même, la frange coréennes de l’Eglise lui a déjà rendu un hommage appuyé lors d’une veillée funèbre lundi.

Depuis sa mort, des révélations ne cessent de pleuvoir sur l’ampleur des liens entre cette la secte Moon et des parlementaires nippons, surtout membres du Parti libéral-démocrate (PLD, droite au pouvoir), autrefois dirigé par Shinzo Abe et aujourd’hui par l’actuel Premier ministre.

Début septembre, une enquête interne du PLD a montré que la moitié de ses 379 élus au Parlement avaient des relations avec l’Eglise de l’Unification. Même si Fumio Kishida a remanié son gouvernement en août et promis que le PLD allait couper tous ses liens avec l’Eglise de l’Unification, la popularité de son gouvernement a fondu en partie à cause de cette affaire.

De son côté, l’opposition a veillé à mettre fin à ses liens avec la secte afin d’intensifier ses attaques contre la majorité.

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