Les familles de disparus dénoncent une "carence manifeste" après l'absence de condamnation requise pour le crash Rio-Paris

Mercredi, le procureur de Paris a estimé qu’il lui paraissait « impossible » de « démontrer » la culpabilité d’Airbus et Air France dans le crash Rio-Paris en 2009. Des réquisitions inaudibles pour les proches des disparus.

Une décision « inaudible » pour les proches des victimes comme l’avait anticipé le parquet. Au terme de 5 heures de réquisitoire, le ministère public, porté à deux voix, s’est dit dans l’incapacité de demander une condamnation pour Airbus et Air France jugées pour le crash du Rio-Paris dans lequel 228 personnes ont péri le 1er juin 2009. Le parquet a estimé qu' »aucun manquement » ni « négligence » en « lien direct » avec la catastrophe n’avait pu être relevé au cours de ce procès.

« J’ai ressenti d’abord beaucoup de colère, j’ai été extrêmement étonnée, déçue », témoignait sur BFMTV Sylvie Robert, la sœur du copilote de l’avion, au lendemain de ce réquisitoire.

Les défaillances des sondes connues dès 1992, selon les victimes

Le 1er juin 2009, le vol AF447 reliant Rio de Janeiro à Paris traversait la zone météo orageuse du « Pot au Noir » quand les sondes anémométriques Pitot, qui mesurent à l’extérieur de l’avion la vitesse de l’appareil, ont givré. Déstabilisés par les conséquences de cette panne, les deux copilotes, bientôt rejoints par le commandant de bord qui était en repos, n’ont pas réussi à reprendre le contrôle de l’avion, qui a heurté l’océan 4 minutes et 23 secondes plus tard.

Un à un, les deux représentants du ministère public ont listé les éléments qui sont reprochés à Airbus et Air France. La trajectoire de l’avion? « Aucune faute pénale » imputable aux deux sociétés. Le remplacement des fameuses sondes Pitot, mises en cause? « Au regard des données de la science », il y avait « une incapacité technique » à comprendre que les sondes auraient pu geler toutes en même temps et donc aucune faute n’a été commise sur ce point par Airbus, selon le parquet.

Et pourtant, depuis plusieurs années, le constructeur et la compagnie aérienne avaient eu des remontées d’informations faisant état de défaillances de ces sondes. Les incidents s’étaient multiplié les mois précédant le crash, « sans qu’il y ait eu de décrochage », nuance le parquet. Lors de l’audience, le banc des parties civiles a fourni un document révélant que le problème était connu depuis au moins 30 ans.

« Contrairement à ce qui a été dit, ces pannes ne sont pas ‘connues’ depuis le premier tiers des années 2000, mais depuis 1992 et possiblement bien avant, martèle Me David Koubbi, avocat de la famille d’une hôtesse de l’air qui a péri dans le crash. Cela fait maintenant 30 ans… »

« Minimisation » des risques

Lors de leur réquisitoire, les deux représentants du parquet ont estimé qu’aucune faute pénalement répréhensible ne peut être imputée à Airbus et Air France. Le premier a-t-il suffisamment informé les compagnies des défaillances de ses sondes? Le second a-t-il suffisamment préparé ses pilotes à réagir en cas de dysfonctionnement? Les sociétés « pouvaient être fondées à croire à l’époque des faits que ces formations et procédures auraient dû suffire à gérer la situation de l’AF447 », tranche le ministère public.

« Air France a effectivement informé les autorités de tutelle et Airbus de ces incidents de givre, mais pas ou peu ses pilotes et ce n’est pas la tutelle, ni les pilotes essayeurs d’Airbus qui pilotent les vols commerciaux: ce sont des pilotes de ligne. »

« Il y a là une carence manifeste en matière de formation et d’information », poursuit l’avocat. « Air France s’est en gros contentée d’une note glissée dans les casiers des pilotes, là où sont également glissés les tracts syndicaux et d’autres informations que les pilotes peuvent voir, ou ne pas voir », poursuit Me David Koubbi.

Comment expliquer alors l’accident ?

« Il semble que ce soit la synergie de cet équipage dont les membres étaient parfaitement compétents qui ait dysfonctionné, a estimé pour sa part le parquet. L’effet de surprise et le stress générés par la situation ont été trop grands. »

L’espoir d' »une vérité »

« La synergie a peut-être défailli dans les 4 minutes précédant le crash, mais avant on a une chaîne d’événements qui a été décrite, rappelle Sylvie Robert, la sœur de l’un des copilote du Rio-Paris. Nous avons eu l’impression que c’était la plaidoirie d’Air France et d’Airbus qui était énoncée par le parquet de manière systématique et avec beaucoup de froideur.

Le parquet, comme Airbus et Air France pointent leur défense sur ces 4 dernières minutes, pour nous il y a eu des manquements, des négligences. Ce n’est pas mon frère qui a défailli, c’est l’avion. »

Après 13 années de procédure, un premier non-lieu prononcé à l’encontre d’Airbus et Air France, et l’espoir porté par un procès qui s’est finalement tenu, les familles de 228 victimes du Rio-Paris estiment qu’elles n’ont pas obtenu « une vérité ». Pour Me Koubbi, un élément a d’ailleur été « caché » tout au long de la procédure, un arbitrage au civil initié en 2013 entre Airbus, Air France et Thales, le fournisseur des sondes Pitot.

« Le processus d’arbitrage apparemment initié a pour objet de ‘de se prononcer sur les responsabilités entre Air France, Airbus et Thales Avionics, fournisseur des sondes Pitot’ en relation avec le crash du vol Rio-Paris AF447 », assure l’avocat qui a demandé au tribunal la communication de ce débat.

Une « décision humainement difficile

« Pour refuser de transmettre les arguments échangés à cette occasion au Tribunal et aux avocats des familles, Airbus n’a pas craint de répondre ‘aucun intérêt pour la clarté des débats’, s’indigne le défenseur. En réalité, la famille que je représente et sans doute d’autres, veulent la vérité et comprendre comment ce drame a été rendu possible. Et nous devons avoir accès aux éléments échangés en marge de cet arbitrage. »

Le procès du Rio-Paris s’est achevé ce jeudi avec les plaidoiries de la défense. Les avocats d’Airbus ont plaidé, comme ceux d’Air France la relaxe, demandant au tribunal d' »appliquer le droit et seulement le droit » en rendant une « décision humainement difficile, mais techniquement et juridiquement justifiée ». La décision a été mise en délibéré au 17 avril 2023.

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