un chirurgien jugé pour avoir publié la radio d'une rescapée du Bataclan

Au mois de septembre 2021, le professeur Masmejean a publié la radiographie du bras d’une rescapée de l’attentat du Bataclan sur un site de vente d’objets numériques NFT.

Le tribunal judiciaire de Paris n’avait prévu que quelques heures pour juger ce chirurgien à qui il est reproché d’avoir mis aux enchères la radiographie d’une victime de l’attentat du Bataclan. A la demande de la présidente, l’audience – à la lourde charge émotionnelle – a finalement été rallongée sur deux demi-journées, les 21 et 28 septembre. La juge, Sylvie Moisan, souhaitait offrir à la partie civile le temps suffisant pour exprimer sa « douleur » lorsqu’elle a découvert, sur un site Internet, la reproduction de son bras transpercé par une balle de kalachnikov. Et au prévenu, l’opportunité d’expliquer les raisons de son geste.

Les faits ont été révélés par un article de Mediapart le 22 janvier 2022, puis signalés dans la foulée à la justice par Emmanuel Hirsch, directeur de l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris (APHP). On apprenait alors que le professeur Emmanuel Masmejean, chirurgien émérite depuis 1995, avait publié sur un site de NFT, la radiographie d’une patiente qu’il avait opérée six ans plus tôt, après les attentats du 13 novembre 2015.

Le cliché représentait un avant-bras dans lequel était ancré une balle de kalachnikov, relique de l’attaque meurtrière dans le Bataclan. En légende, le Pr Mesmejean précisait que « cette jeune patiente » avait « perdu son petit ami dans l’attaque », et évaluait son « oeuvre » à 2776 dollars.

« Ce n’est pas qu’une image »

Avisée de cette publication par son avocate, Cécile* s’est retrouvée confrontée au lourd traumatisme de l’attentat, explique-t-elle à la barre.

« J’ai fait un énorme travaille pour m’en sortir. Je commençais enfin à aller mieux, j’avais témoigné au procès des attentats du 13-Novembre, je pensais pouvoir enfin mettre tout ça derrière moi. Et là, la radio ressort… Pour moi ce n’est pas qu’une image, c’est un moment… Un moment où j’ai souffert avec une balle dans le bras pendant plusieurs heures », raconte la professeure des écoles.

Face à la détresse de la jeune femme, le chirurgien présente une nouvelle fois ses excuses, affirmant n’avoir voulu « faire souffrir personne. Je le regrette profondément tous les jours ». Mais l’aveu de culpabilité s’arrête là car, selon son argumentaire, il n’a commis aucune faute professionnelle ou juridique. Le respect des données personnelles d’une patiente? Le cliché, pris avec son téléphone avant l’opération en 2015, a été anonymisé avant d’être publié, estime le professeur:

« C’est une image abstraite d’un avant-bras, sans aucun nom. »

Le respect du secret professionnel? Si Emmanuel Masmejean reconnaît qu’une radiographie fait partie du dossier médical d’un patient, il avance en revanche qu’il n’en va pas de même pour la photographie de cette radio. Ainsi, il n’aurait pas manqué à son obligation professionnelle.

« Voyeurisme »

Enfin, le NFT, créé et mis en ligne par son fils, un spécialiste en la matière, explique le prévenu, avait une vocation pédagogique et expérimentale, au même titre qu’une publication scientifique, assure-t-il:

« Je voulais démontrer qu’on pouvait mettre une image médicale dans la blockchain. J’ai choisi cette photo de la radio car les attentats du Bataclan ont marqué ma carrière, ils ont une dimension historique. Je n’ai jamais eu l’intention de vendre cette photo », atteste le chirurgien malgré le prix accolé au NFT. « C’est du voyeurisme », tance Cécile.

Le professeur se désole de l’emballement autour de cette affaire qui a été pour lui « un choc très fort » générant un « stress post-traumatique » à l’origine de son arrêt de travail depuis 9 mois. « Je ne suis pas une victime mais j’ai subi la diffamation… », souffle-t-il. « Heureusement qu’il y a des médias pour mettre le doigt sur des actions totalement illégales », le reprend Me Elodie Abraham.

Pour l’avocate de la victime, le prévenu « est dans une toute puissance qui l’empêche de reconnaître se responsabilité. Il est en arrêt maladie, et par ailleurs suspendu par l’ordre des médecins, après des faits qu’il a commis », rappelle-t-elle.

Un « dossier qui ne tient à rien »

De quoi faire bondir la défense contre ce « dossier qui ne tient à rien », lance Me Patrick Klugman. « Evidemment que cette publication dérange, mais dès qu’elle a été signalée, Masmejean a tout fait pour la faire disparaître et il a immédiatement présenté ses excuses. Que voulez-vous qu’il fasse de plus? », questionne l’avocat qui maintient que la patiente n’était pas identifiable.

Le ministère public reste toutefois intraitable: « Monsieur Masmejean est un professeur en médecine, ce n’est pas l’erreur d’un adolescent dans sa chambre devant son ordinateur mais d’un professionnel formé à la déontologie médicale. Il a fait des fautes pénales. »

Face à cette « publication choquante et indécente », la procureure de la République réclame qu’il soit condamné à un an de prison avec sursis, un an d’interdiction d’exercer la médecine et 15.000 euros d’amende. Et Me Klugman de conclure: « Est-ce qu’un NFT qui est resté en ligne 26 heures peut effacer 26 années de carrière? Est-ce que l’empêcher de travailler va atténuer la douleur de la victime? » La décision de la chambre correctionnelle sera rendue le 30 novembre.

*Le prénom a été modifié.

Ambre Lepoivre Journaliste BFMTV

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