Mardi soir, les Britanniques devaient concrétiser l’accord passé en avril dernier avec le gouvernement rwandais en transférant un premier contingent de migrants illégaux vers ce pays d’Afrique. Les institutions européennes se sont toutefois opposées à ce premier vol.
Les difficultés de l’exécutif britannique ne quittent décidément plus la Une de l’actualité internationale. Ces derniers temps, on a surtout parlé des retombées du « partygate » – soit l’organisation de fêtes clandestines au sommet de l’État en plein confinement – sur le gouvernement de Boris Johnson, et de la précarité de la situation de ce dernier au sein même de sa famille politique. Mais cette semaine, c’est d’un tout autre revers dont il est question.
Mardi soir, le Royaume-Uni devait ainsi expulser vers le Rwanda un groupe de migrants entrés illégalement sur son sol, dans le cadre d’un accord conclu avec son partenaire africain. Mais les institutions européennes ont contraint l’avion à rester au sol, repoussant ce vol sine die. Le projet est cependant toujours valide, assure le 10, Downing Street.
• De quoi s’agit-il?
L’affaire repose donc sur l’accord présenté le 14 avril dernier par Boris Johnson et conclu entre son gouvernement et ses interlocuteurs rwandais. Il porte sur le transfert, depuis le Royaume-Uni vers le Rwanda, de migrants ayant pénétré illégalement le sol britannique.
Selon le texte du traité, ils sont susceptibles d’être concernés par ces expulsions vers l’Afrique, si tant est qu’ils sont arrivés sur le territoire de la Couronne à compter du 1er janvier dernier. Le cabinet de Boris Johnson compte ainsi décourager l’afflux de migrants sur place, phénomène évalué, selon l’AFP, à 10.000 individus depuis le début de l’année.
Le projet est chiffré à 120 millions de livres – c’est-à-dire 140 millions d’euros – à la charge du Royaume-Uni… mais il ne s’agirait là que d’un premier versement. En effet, d’après la BBC, le coût pour le contribuable britannique serait de l’ordre de 1,5 milliard par an. Et l’accord porte sur une durée de cinq ans.
En échange de cette prise en charge financière, le Rwanda offre aux migrants concernés de s' »installer de manière définitive » sur ses terres.
• Que s’est-il passé mardi soir?
C’est en vertu de ce traité que le Rwanda devait accueillir de premiers arrivants mercredi, à l’issue d’un décollage prévu mardi soir. Sauf que l’avion n’a jamais pu quitter la piste. En effet, la Cour européenne des Droits de l’Homme a rendu son arrêt, interdisant le vol à ce stade. L’organisme européen pointe le manque de garanties en matière humanitaire offertes par une nation régulièrement épinglée par les ONG.
Ce vol initial n’avait déjà plus qu’un intérêt purement symbolique pour l’État britannique. Tandis que l’appareil devait à l’origine convoyer 130 migrants, ce contingent s’était réduit à seulement sept personnes, après le dépôt de multiples recours individuels.
• Quelle est la réaction du gouvernement ?
Depuis mercredi, Londres le répète sur tous les tons: cet écueil européen ne remet en rien sa politique migratoire en cause. Devant les Communes, la ministre de l’Intérieur Priti Patel a d’abord tancé une décision européenne « surprenante et décevante ». Elle s’est même engagée: « Les préparations pour les prochains vols avaient déjà commencé. »
Ce jeudi, avec des mots choisis, le ministre de la Justice, Dominic Raab, a pour sa part pointé une ingérence auprès de Sky News: « Je pense que lorsque trois tribunaux – et j’ai un grand respect pour le système judiciaire de ce pays – , ont écarté le sujet, il n’est pas juste que la Cour de Strasbourg intervienne comme elle l’a fait. »
Car le Royaume-Uni a beau avoir quitté les rangs de l’Union européenne, il est toujours comptable de la Convention continentale sur les Droits de l’Homme. Plus tôt, dans une déclaration officielle, Boris Johnson a d’ailleurs évoqué l’éventualité d’évoluer sur cette question: « Sera-t-il nécessaire de changer certaines lois pour nous aider à avancer? Cela pourrait très bien être le cas et toutes ces options sont régulièrement étudiées. »
À plus de 6000 kilomètres des îles britanniques et du cadre européen, le Rwanda a maintenu sa position. Ainsi, mercredi, la porte-parole du gouvernement a déclaré, comme l’a remarqué ici France 24: « Nous ne sommes pas découragés par ces développements. Le Rwanda reste pleinement engagé à oeuvrer pour que ce partenariat fonctionne. »
• Quel est l’avis de l’opinion britannique ?
L’accord unissant Rwandais et Britanniques est bien loin de faire l’unanimité. Dénoncé par les associations et l’ONU en plus des instances européennes, ce « plan d’asile » qui semble fondé sur ce qu’il faut bien qualifier stricto sensu de déportations, suscite aussi une vaste hostilité nationale.
En premier lieu, bien sûr, en provenance de l’opposition travailliste qui s’est indignée d’une « politique honteuse« . Mais, mardi, d’autres institutions ont senti le besoin d’afficher leur réprobation en prélude à ce vol finalement avorté. Le clergé anglican – dont l’autorité de tutelle est la reine – a publié dans le Times une lettre ouverte où il estimait que le gouvernement « se couvrait de honte » en menant une « politique immorale ».
Pire encore pour Boris Johnson et les siens, le même journal a affirmé que le prince Charles lui-même avait accablé un accord « consternant » auprès de son entourage.
Mais c’est à sa base que Boris Johnson s’adresse. Au Parlement, il bénéficie, sur ce point au moins, du soutien de son groupe. En son sein, la députée Andrea Jenkyns a ainsi tweeté: « Oui, retirons-nous de la Cour européenne des droits de l’Homme et empêchons-la de se mêler de la loi britannique. »
Côté électorat, en revanche, l’opinion apparaît bien divisée. Selon ce sondage réalisé auprès de plus de 2400 personnes et relayé ici par la BBC, 44% des personnes interrogées ont dit être favorables à l’accord, quand 40% le condamnaient.
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