TOUT COMPRENDRE - Pourquoi des médecins dénoncent des essais "sauvages" menés par Didier Raoult

Dans une tribune, des médecins dénoncent une étude portant sur l’administration d’hydroxychloroquine à 30.000 patients de l’IHU Méditerrannée Infection lorsque Didier Raoult en était le directeur. Ils jugent que les auteurs de l’IHU n’ont pas respecté le cadre réglementaire et éthique qui entoure ce type d’opération.

Dans une tribune publiée dimanche dans Le Monde, des organisations impliquées dans la recherche médicale dénoncent la méthode employée par des scientifiques au sein de l’IHU Méditerranée Infection de Marseille pour mener un « essai thérapeutique ‘sauvage' » sur l’hydroxychloroquine. Mené entre 2020 et 2021, il a donné lieu à une étude pré-publiée en avril.

• Que dit l’étude co-signée par Didier Raoult?

Les auteurs de l’étude sont catégoriques: l’hydroxychloroquine, « prescrite précocement ou tardivement protège en partie des décès liés au COVID-19 ». Dans un tweet publié le 24 mai, Didier Raoult, co-auteur de l’étude et directeur de l’IHU au moment de sa réalisation, écrivait que ce travail, « contrôlé par un huissier », « rapporte une diminution de 70% de morts chez les patients traités précocement et 40% sur 30.000 patients hospitalisés entre 2020 et 2021, soit 800 à 1000 morts évités à Marseille ».

Cette étude est un « pré-print », ce qui signifie qu’elle n’a pas été relue par des pairs ou fait l’objet d’une publication dans une revue scientifique. Elle porte sur « tous les adultes » positifs au Covid-19 ayant été traités à l’Institut hospitalo-universitaire Méditerrannée Infections « entre le 2 mars 2020 et le 31 décembre 2021 et qui n’ont pas refusé l’utilisation de leurs données ».

• Pourquoi les résultats de cette étude sont-ils contestés?

Pour arriver à de telles conclusions, les scientifiques ont administré, comme traitement de référence contre le Covid-19, une combinaison d’hydroxychloroquine (HCQ), utilisée notamment contre l’arthrite ou le lupus, et d’azithromycine (AZ), un antibiotique employé notamment contre les infections des bronches.

Toutefois, « l’AZ a été utilisé seul (groupe AZ seul) pour les patients auxquels l’HCQ ne pouvait être prescrit en raison de contre-indications non-réversibles, à la discrétion du médecin ou en cas de refus du patient », rapporte l’étude. Ces contre-indications, des problèmes cardiaques par exemple, font aussi de ces patients des personnes plus à risques face au Covid-19: l’épidémiologiste Mahmoud Zureik y voit donc un « biais » dans l’étude.

« Aucune méthode statistique ne peut rendre ces groupes comparables, il n’y a rien à y faire… », a-t-il affirmé au Monde.

Dans un avis publié début avril, l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM), rappelait aussi que « les données publiées à ce jour ne sont pas en faveur d’un bénéfice clinique de l’hydroxychloroquine associée ou non à l’azithromycine dans le traitement du Covid-19, quel que soit son contexte d’utilisation ».

• Que reprochent les scientifiques signataires de la tribune?

Dans une tribune publiée dimanche dans Le Monde, et signée par 16 organisations impliquées dans la recherche médicale, c’est surtout le cadre de l’étude qui est reproché à ses auteurs. Les signataires jugent que les « prescriptions systématiques » d’hydroxychloroquine et d’azithromycine à l’IHU de Marseille ont été « réalisées en dehors de toute autorisation de mise sur le marché, mais aussi en dehors de tout cadre éthique ou juridique, en s’appuyant largement sur des méthodes de surveillance et d’évaluation des patients par PCR répétées, sans justification médicale ».

Mathieu Molimard, professeur de pharmacologie au CHU de Bordeaux et signataire de la tribune a dénoncé sur BFMTV l’administration de la combinaison HCQ-AZ « très longtemps après la démonstration formelle de l’inefficacité de ce traitement, apportée pendant l’été 2020 ». L’Organisation mondiale de la Santé, une agence de l’ONU, a mis un terme le 17 juin 2020 au volet hydroxychloroquine de son essai clinique Solidarity.

Les signataires, parmi lesquels Alain Fischer, le président de l’Académie des sciences, estiment qu’il s’agit « vraisemblablement » du « plus grand essai thérapeutique ‘sauvage’ connu à ce jour ».

« Ce qui nous inquiète aujourd’hui, c’est que les autorités, bien qu’elles fussent débordées à l’occasion de la pandémie, et nous l’avons tous été (…), auraient dû prendre leurs responsabilités », a affirmé lundi sur BFMTV la médecin généraliste Amélie Boissier-Descombes, également présidente de l’association des victimes d’essais médicaux non autorisés, signataire de la tribune.

Ce texte demande une réaction de toutes les institutions compétentes dans ce dossier: « établissements de tutelle, autorités administratives et judiciaires, Haute Autorité de santé, Comité consultatif national d’éthique, Conseil national de l’ordre des médecins… »

• Comment réagit Didier Raoult?

Didier Raoult a fustigé une « tribune d’imbéciles » auprès de Franceinfo. « Que les autorités de santé viennent faire leur enquête sur l’hydroxychloroquine », a-t-il aussi dit, jugeant que les études internationales ont été « truquées ».

Répondant à ceux qui jugent son essai « illégal », il avait également affirmé dans un tweet du 24 mai que les inspecteurs ayant rendu un rapport administratif en août 2022 sur la gestion de l’IHU n’avaient pas « noté » de tels dysfonctionnements.

Pourtant, ce rapport avait bien noté que le protocole mis en place à l’IHU lors de la pandémie était de prescrire de l’hydroxychloroquine aux patients atteints de Covid-19, et ce « malgré l’interdiction » posée par le décret du 26 mai 2020.

« Ces faits sont de nature à relever d’une qualification pénale », soulignaient l’Igas et l’Igesr, les services administratifs à l’origine de cette inspection.

Le document avait souligné des « pratiques médicales et scientifiques déviantes répandues au sein de l’IHU ». Il dénonçait « des manquements graves qui reposent pour beaucoup sur une distance affichée jusqu’à une période très récente (fin 2021-début 2022) avec des règles jugées contraignantes » pour la recherche clinique.

Auprès du Monde, l’ANSM a indiqué que selon ses « premières analyses », l’étude « aurait dû bénéficier d’un avis favorable d’un comité de protection des personnes (CPP) et d’une autorisation de l’ANSM pour être mise en œuvre ». Elle a indiqué qu’elle saisirait à nouveau la justice – l’IHU fait l’objet d’une information judiciaire – si nécessaire.

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