Située sur les rives du Danube, à Budapest, la Duna Arena a accueilli les Mondiaux de natation en 2017. (FOTO OLIMPIK / NURPHOTO / AFP)

Natation, judo, football, handball, athlétisme, cyclisme… Les sportifs pourraient presque prendre leurs quartiers en Hongrie, tant le pays ouvre grand les bras aux compétitions sportives internationales, notamment depuis cinq ans. Même le Giro est concerné : le dernier Tour d’Italie a pris des accents hongrois cette année lors de ses trois premières étapes, avant de rejoindre la Sicile. Les championnats du monde de natation constituent le dernier exemple en date. Ils débutent samedi 18 juin, dans la Duna Arena de Budapest, hôte des Mondiaux de la discipline en 2017 et des championnats d’Europeen 2021.

Cette accumulation d’événements résulte de la diplomatie sportive du Premier ministre, Viktor Orban. Après un premier mandat de 1998 à 2002, l’homme politique a érigé le sport en secteur stratégique national, à son retour au pouvoir en 2010. « Il utilise le sport comme un moyen de raviver le sentiment de fierté nationale et de gagner du prestige à l’échelle internationale », résume Bence Garamvölgyi, chercheur hongrois qui a consacré sa thèse à la diplomatie sportive de Viktor Orban. En 2017, le gouvernement hongrois a ainsi cofinancé l’organisation de 113 événements sportifs internationaux.

En cela, le dirigeant conservateur imite certains de ses prédécesseurs. Dans les années 1950 et 1960, la Hongrie communiste utilisait déjà le sport, en investissant sur les athlètes d’élite pour « améliorer son image et affirmer sa supériorité, à l’instar de ce que faisait l’Allemagne de l’Est », retrace Bence Garamvölgyi. Le chercheur fait remarquer que son pays aime se présenter comme une « nation sportive », en mettant en avant le nombre record de médailles olympiques aux Jeux d’été par habitant. Traditionnellement, la Hongrie, membre fondateur au XIXe siècle du Comité international olympique, brille notamment en escrime, lutte, natation et canoë-kayak.

Située sur les rives du Danube, à Budapest, la Duna Arena a accueilli les Mondiaux de natation en 2017. (FOTO OLIMPIK / NURPHOTO / AFP)

Viktor Orban mise sur le développement du sport de haut niveau, la construction et rénovation d’infrastructures sportives et la coorganisation de compétitions. Il cherche aussi à placer la Hongrie au cœur des fédérations internationales, pour faire valoir au mieux les intérêts du pays. « En revanche, rien n’est mis en place concernant la pratique sportive de base ou l’activité physique alors que les Hongrois ne sont pas connus pour être actifs. Il n’existe pas non plus de logique sociale derrière cette politique », précise Bence Garamvölgyi

Le Premier ministre joue sur la fibre nationale pour justifier les dépenses. “Cette politique de fierté nationale prend des proportions particulières en raison du traumatisme vécu par les Hongrois du fait de la perte de puissance et d’une partie du territoire après la Première Guerre mondiale », note Lukas Macek, directeur de Sciences Po Dijon et politologue spécialiste de l’Europe centrale et orientale. Le sport est alors perçu comme une source de joie et un moyen d’afficher des succès.

Avec des communautés hongroises nombreuses dans les pays voisins (héritage de la guerre), Viktor Orban use aussi du sport pour “unifier tous les Hongrois”, assure Bence Garamvölgyi. Dans le cadre de sa thèse, le chercheur a ainsi relevé que le gouvernement hongrois avait dépensé 45 millions d’euros dans des académies de football en Roumanie, Slovaquie et Serbie, entre 2013 et 2018. Lors de l’inauguration de l’un de ces complexes en Serbie, Viktor Orban avait alors déclaré que le sport était « la langue commune de l’Europe centrale ».

Mais dans le pays, cette politique dispendieuse envers le secteur sportif ne fait pas l’unanimité. « L’appel à la fierté nationale résonne beaucoup dans le cœur de son électorat. Pour le reste, la Hongrie est un pays très polarisé. Quel que soit le sujet, il y aura une forme d’adhésion ou de rejet très fort, selon que la personne est pour ou contre Orban », observe Lucas Macek. Quant à l’argument des retombées économiques avancé par le gouvernement, Bemce Garmavölgyi fait remarquer « qu’il n’existe aucune preuve scientifique » appuyant cette affirmation.

« Concernant l’image du pays, on voit bien que la Hongrie est toujours perçue comme une nation ultranationaliste à l’échelle de l’Union européenne », poursuit le chercheur hongrois. Surtout, la diplomatie sportive se trouve dans le collimateur d’associations comme Transparency International. Elle est soupçonnée d’être une source de corruption

Par le passé, la pression populaire a fait reculer une fois Viktor Orban. Alors qu’il rêvait de voir Budapest accueillir les Jeux olympiques, le mouvement Momentum, devenu la principale force d’opposition face au Fidesz (parti au pouvoir), a récolté 260 000 signatures pour réclamer l’organisation d’un référendum sur la candidature de Budapest 2024. Inquiet pour sa majorité, Viktor Orban a préféré retirer le dossier plutôt que de consulter ses concitoyens.

En janvier 2017, la capitale hongroise mettait en avant sa candidature aux JO 2024. (ATTILA KISBENEDEK / AFP)

« Les Jeux olympiques ne peuvent être organisés que dans le cadre d’une unité nationale. La Hongrie avait une opportunité historique d’obtenir le droit d’accueillir les JO mais nous avons été incapables de présenter l’unité nationale qui était nécessaire pour cela », a regretté le Premier ministre dans les colonnes du journal sportif hongrois progouvernemental Nemzeti Sport (article en anglais) à la suite des Jeux de Tokyo.

Après sept candidatures vaines dans l’histoire du pays, Viktor Orban garde l’espoir de voir un jour se réaliser son objectif ultime. « Accueillir les Jeux demeure un rêve éternel pour les Hongrois. Le potentiel, l’amour et l’importance du sport, le sentiment national, la puissance économique, la culture, tout est là et restera là », a appuyé le chef d’Etat, qui a invoqué la construction achevée des infrastructures nécessaires à une quinzaine olympique malgré le retrait de la candidature pour 2024. 

Dans une période où les candidatures aux Jeux se font de plus en plus rares, la diplomatie sportive hongroise intéresse les hautes sphères olympiques. En visite à Budapest début mai, le vice-président du CIO, Juan Antonio Samaranch Jr, a ainsi encouragé le pays à retenter sa chance, comme le montre une vidéo (en anglais) publiée sur le site du Comité national olympique hongrois : « Allez-y ! Vous avez la passion pour cela, les athlètes, l’expérience, un extraordinaire gouvernement qui adore le sport. Il y a peu de pays sur le Vieux Continent qui seraient mieux adaptés pour accueillir les Jeux que la Hongrie. » Après Brisbane (Australie) en 2032, va-t-on vers un Budapest 2036 ?

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