Comment des chercheurs ont réussi à déchiffrer une lettre codée de Charles Quint du XVIe siècle

Quatre chercheurs ont réussi à décrypter les symboles utilisés par l’empereur dans une lettre destinée à son ambassadeur en France en 1547. Charles Quint y relaye notamment la rumeur d’une tentative d’assassinat à son égard.

Des chercheurs « dévoilent les secrets d’une lettre de Charles Quint, restée mystérieuse depuis 1547 », a annoncé le CNRS mercredi, lors de la conférence de presse de quatre chercheurs à Nancy (Meurthe-et-Moselle). Ces derniers ont expliqué comment ils avaient réussi à déchiffrer le message codé d’une lettre de Charles Quint, empereur du Saint-Empire, destinée à son ambassadeur en France, Jean de Saint-Mauris.

C’est une équipe multidisciplinaire de quatre chercheurs en informatique et en histoire, issus de l’Université de Lorraine, LORIA/INRIA, du CNRS et de l’Université de Picardie Jules-Verne (CHSSC), qui est arrivée au bout de cette traduction après plusieurs mois de travail.

Un travail de plusieurs mois pour « casser le code »

C’est la cryptographe Cécile Pierrot qui a d’abord entendu parler de cette lettre en 2019, avant de finir par la chercher, et de la trouver à la bibliothèque de Nancy deux ans plus tard. Elle tente d’abord de la traduire par elle-même, avant d’inclure dans ses recherches deux de ses collègues Pierrick Gaudry et Paul Zimmermann, cryptographes et chercheurs en informatique.

La missive est faite de quatre pages: une mentionnant simplement l’adresse, et trois autres composées des paragraphes écrits avec des symboles. Trois courts passages sont eux écrits dans l’alphabet habituel.

Clef de chiffrement de la lettre de Charles Quint à son ambassadeur en France
Clef de chiffrement de la lettre de Charles Quint à son ambassadeur en France © LORIA

« Initialement on s’est dit que c’était une lettre du XVIe siècle, et qu’on allait réussir à casser le code facilement », explique à BFMTV.com Pierrick Gaudry, chercheur au CNRS. « Et puis cela s’est avéré plus long, plus compliqué que prévu ».

Il leur faudra en tout six mois pour arriver à décrypter la lettre, sur laquelle on retrouve « environ 120 symboles différents » pour seulement 26 lettres dans l’alphabet, déclare Pierrick Gaudry. L’idée que chaque symbole représente une lettre est donc vite écartée.

Pour éviter tout déchiffrement par d’autres personnes, les cryptographes de l’époque ont fait disparaitre des lettres facilement identifiables en « cassant tous les aspects statistiques qui permettent de reconnaitre des lettres », explique le cryptographe. Ainsi, entre autres techniques, le « e », qui apparait très souvent dans notre langue, ou le duo caractéristique « qu », sont masqués dans le code.

Les chercheurs essayent plusieurs façons de comprendre l’enchainement de symboles, et s’ils arrivent à en identifier quelques-uns, ils restent bloqués sur la traduction du texte.

Nécessité de « la connaissance historique »

L’historienne Camille Desenclos entre alors en jeu, recommandée par plusieurs de leurs collègues. Elle possède le grand avantage d’être spécialiste de l’époque et de s’intéresser à la cryptographie. La chercheuse oriente les trois autres chercheurs sur une lettre de Jean de Saint-Mauris à la Bibliothèque municipale de Besançon (Doubs), cryptée de la même façon, qui permet de débloquer des codes, et de traduire une bonne partie du texte de Charles Quint.

« Cela a un peu été notre pierre de Rosette« , déclare Pierrick Gaudry, en référence aux textes qui ont permis de traduire les hiéroglyphes égyptiens.

L’historienne a également permis de remettre les éléments écrits dans un contexte historique. « Il y avait des symboles, des phrases que l’on ne comprenait pas, Camille Desenclos a permis de lever des ambigüités », explique Pierrick Gaudry, qui souligne que « sans la connaissance historique », la traduction aurait été bloquée.

C’est elle qui permet ainsi de resituer le texte en 1547, et non en 1546, car la date notée sur la missive fait référence à un ancien calendrier, faisant commencer l’année en Pâques. La lettre a ainsi été écrite en réalité le 22 février 1547 selon notre calendrier actuel.

Que dit Charles Quint dans cette lettre?

« Cette lettre révèle trois des préoccupations majeures de Charles Quint, vis-à-vis de la France, en ce début d’année 1547: maintenir la paix avec François Ier, éviter les assassinats et mettre fin au conflit qui l’oppose à la ligue de Smalkalde », une union militaire au sein du Saint-Empire romain germanique, expliquent les chercheurs dans le dossier de la découverte.

La missive est en effet écrite dans une période de grande tension en Europe, notamment entre le roi de France François 1er et Charles Quint, qui s’affronteront militairement à plusieurs reprises.

Dans la première partie de la lettre, l’inquiétude de l’empereur « est palpable » dès les premières lignes. Il appuie l’idée qu’il faut maintenir la paix avec François 1er, sans toutefois paraitre faible, et demande à son ambassadeur de le tenir informé des évolutions politiques sur place.

Dans un deuxième temps, Charles Quint « fait état dans sa lettre d’une rumeur inquiétante: Pierre Strozzi, chef de guerre au service de François 1er, chercherait à l’assassiner », explique le dossier.

Ce passage est intéressant car il relève la peur de l’empereur, mais aussi la circulation de rumeurs en plus haut lieu. Jean de Saint-Mauris répondra ainsi dans une autre missive à l’empereur qu’il ne s’agit que d’une rumeur et aucun document de l’époque ne vient appuyer la volonté de cet assassinat à ce moment-là.

La dernière partie de la lettre, la plus longue, évoque, elle, le conflit en cours entre Charles Quint et la ligue de Smalkalde.

« Un document précieux »

« Pour les historiens, c’est un document précieux », confie Camille Desenclos à France 3 Grand Est.

Cette lettre « se situe à un moment charnière de l’Histoire européenne. L’Europe est en paix après plusieurs années de guerre. Mais, en sous-main, on se prépare à la guerre, notamment la France, qui soutient les rebelles contre Charles Quint ». Les deux monarques « ne se font pas confiance et cherchent à se nuire. »

Cette lettre pourrait également servir à décoder d’autres textes, qui, plusieurs siècles après leur codage, n’ont pas encore été déchiffrées.

Salomé Vincendon

Salomé Vincendon Journaliste BFMTV

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