bénévoles auprès de patients en fin de vie, ils témoignent

Alors que la convention citoyenne sur la fin de vie s’ouvre ce vendredi, des bénévoles qui accompagnent des patients en soins palliatifs témoignent de ces rencontres, souvent intenses.

Bénévole pour la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (Sfap), Étienne, 71 ans, se souvient d’un homme en particulier, un acteur. « Il me récitait des tirades de Molière et je voyais son visage s’éclairer », raconte-t-il à BFMTV.com. Depuis qu’il est à la retraite, Étienne rend visite, une fois par semaine, à des patients, souvent en fin de vie, hospitalisés dans une unité de soins palliatifs.

« Parfois, on rend possible de petits moments de joie », explique-t-il.

Il lui est aussi arrivé, à quelques reprises, d’être présent au moment où l’une de ces personnes rendait son dernier souffle. « C’est très émouvant », assure cet ancien cadre d’une multinationale.

« C’est un honneur de pouvoir tenir la main de quelqu’un à ce moment-là. Ce sont de grands moments où l’on se dit que l’on sert à quelque chose ».

« Des lieux de vie »

Pourtant, longtemps, Étienne n’a « pas voulu entendre parler de la mort ». Il a même refusé de se rendre aux enterrements de certains de ses proches. Mais à l’heure où le débat sur l’euthanasie ressurgit, avec l’ouverture ce vendredi d’une convention citoyenne, il décrit les unités de soins palliatifs avant tout comme « des lieux de vie » où « le temps s’accélère ».

Il évoque le cas de cette femme installée au Canada. Elle n’avait pas revu son père depuis des années mais elle a quitté sa famille, son travail et le pays où elle vivait pour se rendre à son chevet.

« Elle a passé trois semaines avec son père dans sa chambre, dormant sur un lit de camp. Il y a des moments magnifiques d’humanité d’une très grande intensité. »

Un point de vue que partage Yves Duplessis, 73 ans, ancien cadre dans l’industrie automobile et vice-président de l’association lyonnaise Albatros qui accompagne des personnes en fin de vie.

« Ce sont des instants privilégiés », affirme-t-il à BFMTV.com.

« Des moments de grâce »

Le bénévolat auprès de personnes en fin de vie est encadré par la loi du 9 juin 1999 visant à garantir le droit à l’accès aux soins palliatifs. Les bénévoles doivent être formés et ne peuvent intervenir que par le biais d’associations ayant signé des conventions avec les établissements concernés. Si Yves Duplessis reconnaît que la mission comporte des « moments difficiles », notamment quand les patients sont jeunes, il cite également « des moments de grâce ».

Christine de Gouvion Saint-Cyr, 56 ans et bénévole pour la Sfap, en a d’ailleurs vécu plusieurs. Elle se souvient particulièrement d’une rencontre avec un patient complètement renfermé depuis qu’il avait compris qu’il vivait ses derniers jours.

Ce soir-là, quand la bénévole entre dans sa chambre, l’épouse et le fils du patient sont présents. Elle entame la conversation en lui demandant comment il va, et le patient lui répond: « comment voulez-vous que j’aille quand je sais qu’il n’y a plus rien à faire ». Christine de Gouvion Saint-Cyr lui répond qu’en tant que bénévole, elle ne peut en effet rien faire si ce n’est passer du temps avec lui.

Elle lui demande alors ce qu’il a envie de faire de ce temps. « C’est un temps inutile », répond le patient en colère. La bénévole se tourne vers son fils et lui demande ce qu’il en pense.

« Et là, ça a été magique. Son fils lui a pris la main et lui a dit: ‘papa, il y a encore des choses à faire, passer du temps ensemble, se rappeler des bons souvenirs, se dire qu’on s’aime et combien je t’aime’. »

« Excellent programme », conclut Christine de Gouvion Saint-Cyr, qui s’éclipse discrètement. C’est pour ce genre de moments que cette apicultrice reconvertie, qui a longtemps travaillé dans le tourisme, accompagne depuis quinze ans des patients de fin de vie.

« On est là, les mains nues, simplement avec notre écoute, » ajoute Yves Duplessis.

« On se contente d’être là »

Durant ces visites, ce qu’il se passe relève souvent de l’infime. « Un bénévole n’a pas d’objectif », developpe pour BFMTV.com Geneviève, 72 ans et bénévole depuis vingt ans pour l’association Albatros.

« On se contente d’être là », explique-t-elle.

« On lit le journal, un livre, on parle de l’actualité ou de ce qui se passe dans leur village mais le plus souvent, les personnes nous racontent leur vie », témoigne pour BFMTV.com Bertrand Bauduin, 65 ans, ancien responsable chez Pôle emploi et président de l’Association pour le développement des soins palliatifs du Cambrésis, dans les Hauts-de-France.

Parfois, l’accompagnement consiste en une présence silencieuse. D’autres fois, c’est une main qu’on saisit. Des contacts qui ont marqué Erwan, un avocat parisien de 47 ans bénévole pour la Sfap, lui-même engagé contre la légalisation de l’euthanasie.

Il se remémore une visite auprès d’un homme qui lui parlait de ses enfants avec beaucoup d’émotion. « Sans réfléchir, j’ai mis ma main sur la sienne, c’était la première fois que je faisais ça », se rappelle-t-il pour BFMTV.com. Mais un drap les sépare.

« Il a écarté le drap et m’a dit: ‘donnez-moi la main, ça me fait tellement de bien’. »

Un autre jour, il se trouve auprès d’une femme âgée qui ne communique presque plus – « un mot ou deux, un pouce vers le haut ou le bas ». Comme dans un réflexe, Erwan pose la main sur son front.

« J’ai senti qu’avec sa tête, elle poussait pour mieux sentir le contact. Je voyais que ça lui faisait du bien dans l’intensité de son regard et quand je suis parti, elle m’a dit ‘merci’. »

Des rencontres « authentiques »

Souvent, les bénévoles ne rencontrent les patients qu’une ou deux fois, parfois trois ou quatre, rarement plus. La durée moyenne de séjour en unité de soins palliatifs est de 16,1 jours, selon un rapport du Sénat. Sylvie, 65 ans, professeure de musique à la retraite et bénévole pour Les Petits Frères des pauvres en gériatrie et Ehpad, est une des rares bénévoles à avoir accompagné certains patients plusieurs années.

Comme cette femme, alitée depuis quatre ans, qui ne reçoit aucune visite. « Elle ne parle plus mais son regard est vif. On vient la voir régulièrement pour lui montrer qu’elle compte encore », témoigne Sylvie pour BFMTV.com.

Des rencontres « authentiques », « sans masques », juge Marie-Thérèse, 73 ans, professeure d’histoire à la retraite et bénévole pour Albatros. « Ce sont des moments de la vie où on ne peut pas faire semblant. » Et des rencontres qui ne la laissent pas indemne. Car contre toute attente, ces visites la « nourrissent ».

« Quand j’en repars, je ressens beaucoup de légèreté, beaucoup de joie. Ces rencontres m’ont transformée. Toutes ces personnes ne s’en rendent pas compte, mais elles nous donnent beaucoup. »

Pour tous ces bénévoles, ces rencontres ont changé leur vie. Certains mentionnent une leçon d’humanité, d’autres, comme Geneviève, assurent que ces rencontres leur ont permis de devenir les personnes qu’elles sont.

« Je vois la vie différemment. »

Une nouvelle loi?

Alors que s’ouvre ce vendredi la convention citoyenne sur la fin de vie – sur le modèle de la Convention climat de 2020 – que huit Français sur dix se disent favorable à une législation autorisant l’euthanasie, selon un sondage Ifop, et qu’Emmanuel Macron a déclaré en septembre dernier qu’il avait « la conviction » qu’il fallait « bouger » sur le sujet, une nouvelle loi pourrait-elle voir le jour d’ici la fin 2023? Le Comité d’éthique a d’ailleurs jugé possible une aide active à mourir strictement encadrée.

Les bénévoles interrogés y sont pour leur part globalement défavorables. Comme Yves Duplessis, de l’association Albatros. « En tant que bénévole, cela ne changerait pas grand chose, nous accompagnons les patients en fin de vie quelle que soit leur fin de vie. Mais en tant que citoyen, cela va à l’encontre des valeurs en lesquelles je crois. »

Si Bertrand Bauduin, de l’Association pour le développement des soins palliatifs du Cambrésis, estime que « tous les points de vue » doivent pouvoir s’exprimer dans le cadre de cette convention, il estime « qu’on ne peut pas confisquer la mort de quelqu’un ».

« C’est un moment important qu’il faut se réapproprier. Il faudrait redonner toute sa place à l’accompagnement. Les bénévoles offrent ce qu’il y a de plus précieux aux patients: du temps. »

Il appelle également au développement des soins palliatifs, services qui, selon lui, adoucissent sensiblement la fin de vie des patients. « Beaucoup de personnes ont des expériences difficiles de fin de vie de leurs proches notamment parce qu’ils n’étaient pas pris en charge en unité de soins palliatifs », abonde Christine de Gouvion Saint-Cyr, qui rappelle que les bénévoles sont « laïcs », « apolitiques » et ne font « aucun prosélytisme ».

Elle se dit également « préoccupée » par la convention et s’inquiète que les débats ne se réduisent à une vision binaire du problème: pour ou contre l’euthanasie. « Un jour, le malade va dire qu’il n’en peut plus et le lendemain qu’il se sent mieux. Les choses ne sont pas si simples. »

Sylvie, la bénévole qui intervient en gériatrie et en Ehpad, estime quant à elle que le sujet tombe « au mauvais moment » alors que la loi sur le grand âge a été reportée. Si elle considère que le débat sur l’aide active à mourir est « légitime », elle estime qu’il faudrait d’abord prendre correctement en charge les personnes âgées.

« L’espérance de vie augmente mais la dépendance aussi. Or, l’offre de soins et d’accompagnement n’est pas suffisante pour ces personnes dépendantes. La première réponse, elle est là. »

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