Salomé Vincendon

Cette association, qui existe depuis 15 ans, explique œuvrer pour une justice moins laxiste en France et si elle se présente comme apolitique, elle penche fortement à droite.

Un « rassemblement pour les victimes » prévu ce jeudi soir à Paris fait polémique depuis le début de la semaine. Les organisateurs et participants de ce rendez-vous sont accusés d’utiliser le meurtre tragique de l’adolescente Lola à des fins politiques, alors que les parents de la jeune fille ont demandé à ce que ce drame ne fasse pas l’objet de récupérations.

Le Rassemblement National n’y participera pas, en revanche, le président du parti Reconquête, Éric Zemmour, a appelé à s’y rendre, comme plusieurs autres personnalités d’extrême droite. Ce ne sont toutefois pas eux, mais l’Institut pour la Justice (IPJ) qui se trouve à l’origine de ce rassemblement.

Cet institut, âgé de 15 ans, est une association « composée de citoyens, de victimes et d’experts du monde judiciaire mobilisés pour une justice qui mettent les victimes au centre », explique le site de l’IPJ, « ses actions ne sont financées que grâce à ses membres donateurs. »

« Nous, ce rassemblement, on le fait pour les victimes »

L’organisation œuvre, selon son site, pour soutenir les victimes de délits ou de crimes, mais surtout, selon eux, contre un certain laxisme de la justice et du gouvernement. « Le laxisme tue » est par exemple leur slogan. Sur leur site, on retrouve ainsi plusieurs propositions pour réformer la justice, qui visent par exemple à durcir les sanctions à l’égard des personnes condamnées et pointent du doigt les remises de peine.

On retrouve aussi des témoignages de victimes aux histoires difficiles, dont les agresseurs sont principalement des « multirécidivistes » acquittés ou libérés. Des pétitions sont également proposées, intitulées par exemple: « le laxisme tue, n’en soyez pas la prochaine victime » ou « oui à l’expulsion des criminels étrangers ».

Lors du rassemblement de ce jeudi soir, « il y a des victimes qui vont parler, qui sont des victimes du collectif de victimes de l’Institut pour la Justice. On a des gens qui ont vécu des meurtres, des assassinats, des agressions, des viols, qui ne sont jamais entendus et qui ont envie d’être entendus », assurait mercredi sur BFMTV, Pierre-Marie Sève, délégué général de l’IPJ.

« Nous, ce rassemblement, on le fait pour les victimes, il s’appelle ‘rassemblement pour les victimes' », ajoute-t-il, assurant que l’hommage de ce jeudi soir était « prévu depuis plusieurs semaines », et ce malgré des hashtags « #manifpourLola » présents dans leur communication. « Évidemment, avec l’affaire Lola, cela créé un engouement national, comme d’autres affaires ont créé des engouements nationaux », ajoute-t-il.

L’association est en effet composée d’un collectif de victimes. On retrouve aussi sur leur page une liste d’experts, notamment judiciaires, comme des avocats, des magistrats, des criminologues et anciens policiers.

« On est dans l’escroquerie intellectuelle »

Mais les démarches de l’IPJ sont également critiquées par des membres du même milieu. « On est dans l’escroquerie intellectuelle. L’Institut pour la justice vend de la soupe sécuritaire », déclarait en 2011 à Slate Matthieu Bonduelle, alors secrétaire général du syndicat de la magistrature.

Cette année-là, l’IPJ avait fait parler de lui après la diffusion du témoignage d’un père dont le fils a été tué. Dans la vidéo, l’homme, très ému, déplore le manque d’actions des institutions contre les auteurs du meurtre, déclarant même que « dès les premières heures de la procédure, la justice s’est rangée du côté des assassins ». Il encourage ensuite à signer la pétition de l’IPJ pour le « Pacte 2012 », soit pour que les propositions de réformes avancées par l’association soient intégrées aux promesses des candidats à l’élection présidentielle de 2012.

« J’ai signé un ensemble de propositions très vagues sur la base de l’émotion provoquée par cette vidéo », témoignait en 2011 un internaute, expliquant avoir souscrit parce qu’il avait été touché pour le père de la victime, mais ce faisant « j’ai apporté mon soutien à des idées dont je ne peux pas objectivement dire que je les connaisse vraiment ; des propositions avec lesquelles je ne suis, en réalité, peut-être pas vraiment en accord. »

« Personne ne peut rester insensible à la douleur d’un père. Les gens qui signent le font sous le coup de l’émotion. De plus, opposer le peuple à la justice est une idée extrêmement populiste. L’Institut pour la Justice joue sur les peurs », déclarait Matthieu Bonduelle.

Le rassemblement de ce jeudi soir est lui aussi accusé de récupération et d’utiliser la mort tragique de l’adolescente Lola pour mettre en avant les idées de l’IPJ. Les personnalités d’extrême-droite qui y participent, comme Éric Zemmour, Marion Maréchal ou encore Florian Philippot, sont également critiqués pour les mêmes raisons.

Un institut « apolitique »?

Dans le même sens, en accueillant l’extrême droite dans le rassemblement, l’IPJ est accusé de promouvoir leurs idées, ce que Pierre-Marie Sève a fermement démenti sur notre antenne, assurant que « les intérêts de l’institut pour la justice et les intérêts d’Éric Zemmour sont très divergents ». C’est une « manifestation politique mais apartisane », a-t-il répété, « l’institut pour la justice est apolitique. »

L’IPJ est un « mouvement dénué de toute affiliation politique », assure le site de l’association.

Toutefois, à plusieurs reprises déjà, l’IPJ a été pointé du doigt pour son penchant à droite, voire à l’extrême droite. L’Obs soulignait en 2011 que ses deux créateurs (qui ne font plus partie de l’association aujourd’hui) Marie-Laure Jacquemond et son mari Vincent Laarman, étaient proches de structures conservatrices et avaient par exemple créé SOS-Éducation, une association considérée de droite. « Nous avons des sympathisants de droite comme de gauche », assurait toutefois au magazine le délégué général d’alors, Xavier Bébin.

Dans la liste des experts actuels sur le site de l’IPJ, on retrouve tout de même plusieurs personnalités de droite et d’extrême-droite comme le magistrat Charles Prats, l’avocat Thibault de Montbrial, l’avocat Gilles-William Goldnadel ou encore le criminologue Xavier Raufer.

Et sur notre antenne, lorsqu’il liste les partis avec lesquels l’IPJ a travaillé, Pierre-Marie Sève reste à droite de l’échiquier politique. L’Institut a ainsi été « en contact en 2012 avec les équipes de Nicolas Sarkozy » et « a organisé un grand débat sur la justice en 2017 avec Les Républicains », explique-t-il. « Nous avons travaillé avec qui voulait » et dernièrement « principalement Reconquête ». Pour lui, avant tout, « le but est de faire passer nos idées ».

Ce jeudi soir, les consignes sont toutefois claires: l’IPJ refuse toute récupération politique et « seuls des victimes et des experts s’y exprimeront », a précisé mercredi l’association organisatrice. D’autre part, aucune banderole ni slogan ne sont autorisés.

Salomé Vincendon Journaliste BFMTV

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