2050, OUVRONS LES YEUX – Avec ce système, à chaque fois que vous achetez un bien ou un service, ce qu’il « pèse » en émissions de gaz à effet de serre serait décompté de votre quota. Un dispositif visant à encourager les consommateurs à limiter leur impact sur le réchauffement.
Et si, dans un futur proche, vous ne payiez pas seulement en euros? Lors de votre passage en caisse, en plus du prix affiché, le coût écologique de votre achat serait décompté de votre compte, avec une limite à ne pas dépasser dans l’année. Objectif: réduire notre empreinte environnementale, pour parvenir à nos objectifs de réduction des gaz à effet de serre et limiter l’ampleur du réchauffement climatique dans les décennies à venir.
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L’idée de ce « permis carbone », au cœur du scénario du docu-fiction « 2050: ouvrons les yeux » diffusé ce lundi soir sur BFMTV, n’est pas nouvelle: un tel système avait été pensé par des chercheurs anglo-saxons dès les années 1990. Mais face à l’urgence climatique, le concept se diffuse: des économistes, des militants écologistes, des ONG et même des élus proposent désormais mettre en place ce « quota carbone individuel » ou « compte carbone ».
« Il faut atteindre la neutralité carbone et il n’y a pas plein de façons d’y arriver », estime ainsi Jean-Marc Fiévet, député Renaissance des Deux-Sèvres.
Une carte de crédit carbone?
Cet élu défend le principe d’un « compte carbone », qui permettrait « d’y arriver à la fois collectivement et individuellement ». Si un tel système était mis en place, chaque individu serait alors doté d’un quota d’équivalent CO2 à ne pas dépasser sur une année. Tous les ans, ce quota diminuerait, afin de nous inciter à consommer différemment et ainsi réduire collectivement et progressivement nos émissions de gaz à effet de serre.
Concrètement, le dispositif pourrait se matérialiser sous la forme d’une sorte de carte bancaire qui totaliserait votre stock de CO2 restant, à présenter à chaque achat afin d’en retirer le « prix carbone » du produit. En 2019, une start-up suédoise avait ainsi imaginé avec Mastercard une carte de crédit qui calculait l’empreinte carbone de chaque achat et informait le consommateur, pouvant même « bloquer » les dépenses dès un « maximum de carbone » atteint.
Chaque achat diminuerait notre quota disponible en fonction de son coût écologique, lié notamment à sa production ou à son transport, une sorte de « nutri-score » du carbone. L’idée est notamment de faire prendre conscience que de consommer une banane venant d’Amérique du Sud ou une poire cultivée à quelques kilomètres n’a pas le même impact carbone.
Évidemment, encore faut-il pourquoi fournir un étiquetage carbone fiable sur tout ce qui est mis en vente. La loi relative à la lutte contre le gaspillage alimentaire et à l’économie circulaire, votée en 2020, prévoit déjà la conception et la mise en place d’un système d’affichage environnemental sur les produits alimentaires. Une expérimentation a d’ailleurs vu naître l’éco-score, un premier indicateur de l’impact environnemental des produits alimentaires.
La loi Climat et résilience de 2021 prévoit également une nouvelle expérimentation de l’affichage environnemental, notamment dans le secteur des textiles d’habillement et des chaussures.
« L’objectif des quotas est d’amener les consommateurs à choisir les produits et modes de production ayant l’empreinte écologique la plus faible possible », explique l’ancien haut fonctionnaire Pierre Calame, défenseur du dispositif.
« Or, les écarts, pour un produit donné, sont considérables: pour la viande selon le mode d’élevage, pour les produits métalliques selon le taux de recyclage… », a-t-il détaillé lors des Assises européennes de la transition énergétique, à Genève.
L’idée est de lancer une « prise de conscience par l’étiquetage », abonde Jean-Marc Fiévet. Exemple sur la viande: un kilogramme de boeuf équivaut à une émission de 27 kg de CO2, contre 39 kg pour de l’agneau. Bien loin devant le porc (12,1 kg), la dinde (10,9 kg) ou le poulet (6,9 kg), selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO).
Autre exemple: du bœuf produit en Europe de l’Ouest a une empreinte carbone en moyenne 4 fois inférieure à celle d’un bœuf produit en Asie du Sud ou en Amérique latine, toujours selon la FAO. Les vaches élevées sur des pâturages naturels émettent moins de gaz à effet de serre que les bovins élevés sur des terres déboisées.
En influençant les choix des consommateurs, les partisans du quota carbone individuel estiment que le dispositif aura très vite des répercussions sur les industries. « Cela va créer de nouvelles conditions de concurrence entre les entreprises d’un même secteur au profit des mieux-disants environnementaux », juge Pierre Calame.
Un cercle veruteux?
Pour atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050, les experts estiment que l’empreinte carbone d’un Français ne devrait pas dépasser l’équivalent de 2 tonnes de CO2 par an. Elle est aujourd’hui estimée en moyenne à 9 tonnes, selon les dernières données pré-Covid du ministère de la Transition énergétique. Mais beaucoup de ménages, en particulier les plus modestes, sont bien en deça de ce seuil.
Le dispositif nécessite donc une forme de « flexibilité », « il faut être réaliste », estime le militant climat Côme Girschig. Pour apporter cette souplesse, les défenseurs du quota carbone individuel mettent en avant un système d’échange: une personne souhaitant dépasser son quota carbone alloué se verrait obligée d’acheter des quotas supplémentaires sur un marché, auprès d’une personne au mode de vie plus écoresponsable.
« L’objectif est de parvenir au bien commun tout en imposant à chaque citoyen le moins de contraintes possibles », assure Pierre Calame. « Le but, c’est la réduction annuelle des émissions, pas d’imposer que tous fassent les mêmes choix de vie. »
Dépassant le simple principe de « pollueur-payeur », le dispositif permettrait une redistribution entre les individus, au profit de ceux qui émettent moins que leur quota annuel. « L’objectif est donc double: apaiser la colère sociale et atteindre la neutralité carbone », précise Côme Girschig.
Autoriser les citoyens à échanger les excédents de carbone permettrait également de pallier le problème des « inégalités horizontales ». Zone rurale ou zone urbaine, région chaude ou région froide… Car même avec des revenus similaires, l’empreinte écologique de deux ménages peut considérablement varier selon leurs conditions de vie.
« Ça pousse tout le monde à baisser son empreinte: ceux qui consomment peu pour vendre et ceux qui consomment beaucoup pour payer moins cher », résume Jean-Marc Fiévet.
« Problème radical, solution radicale »
Reste à convaincre au-delà des cercles militants. Côme Girschig « n’est pas sûr du tout » que ce système de quota carbone individuel soit accepté par l’opinion. « L’absence de limite à la consommation est très ancrée », explique-t-il. Si le principe d’un étiquetage carbone a par exemple été défendu par les membres de la Convention citoyenne pour le climat, ces derniers ont indiqué ne pas vouloir « contraindre le consommateur dans ses choix ».
Mais « à problème radical, solution radicale », estime Pierre Calame. « Ce n’est pas la solution qui est radicale, c’est le problème lui-même. »
Pour l’heure, Jean-Marc Fiévet est l’un des rares élus à en faire la promotion. « J’en parle beaucoup aux collègues, aux élus mais les gens ont du mal à voir la finalité, ils se disent que ça va être compliqué », déplore le député Renaissance.
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