La Commission européenne a proposé de prolonger l’autorisation de l’utilisation du glyphosate, un désherbant au coeur de multiples polémiques, jusqu’en 2033. Plusieurs forces politiques européennes ont déjà fait part de leur désaccord.
Une proposition qui continue de diviser agriculteurs et écologistes de l’UE mais aussi les États entre eux. La Commission européenne a proposé mercredi de prolonger l’autorisation d’utilisation du glyphosate, une substance herbicide controversée, pendant 10 années supplémentaires, soit jusqu’au 15 décembre 2033.
Cette proposition est la conséquence directe de la publication en juillet d’une évaluation scientifique de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), qui a indiqué ne pas avoir identifié de « domaine de préoccupation critique » chez les humains, les animaux et l’environnement susceptible d’empêcher l’autorisation de l’herbicide.
Le glyphosate est une substance active présente dans plusieurs produits herbicides, dont le Roundup de Monsanto, très utilisé à travers le monde pour le traitement des mauvaises herbes, notamment en arboriculture, viticulteur, mais aussi dans l’entretien des espaces verts et industriels, précise le quotidien Le Monde. En France, plus de 7700 tonnes de produits contenant du glyphosate ont été vendus en 2021.
· Quand la décision finale sera-t-elle prise?
La proposition de prolongation formulée par la Commission européenne doit encore passer une étape avant d’être potentiellement actée. Elle doit être examinée vendredi par des représentants des 27 États membres de l’Union européenne, qui décideront ensuite s’ils sont favorables à cette prolongation, via un vote à la majorité qualifiée qui doit se tenir le 13 octobre au sein de la commission Agriculture du Parlement européen, selon le média spécialisé Euractiv.
L’autorisation actuellement en vigueur doit expirer au 15 décembre 2023, après avoir été votée pour cinq ans en 2017 et prolongée d’une année supplémentaire fin 2022.
D’ici au vote, les modalités de cette nouvelle autorisation sont susceptibles d’évoluer. Dans le texte rendu mercredi, la Commission propose en effet de mettre en place des garde-fous: l’usage devra être assorti de « mesures d’atténuation des risques » concernant les alentours des zones pulvérisées, via des « bandes tampons » de cinq à dix mètres et des équipements réduisant drastiquement les « dérives de pulvérisation ». L’utilisation pour la dessiccation (épandage pour sécher une culture avant récolte) est désormais interdite.
· Pourquoi le glyphosate est-il controversé?
Prolonger l’autorisation du glyphosate serait une décision loin de faire consensus. Notamment parce qu’en 2015, le Centre international de recherche sur le cancer de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) avait classé le glyphosate comme « cancérogène probable ».
À l’inverse, l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA) a jugé l’an dernier que les preuves scientifiques disponibles ne permettaient pas de le classer comme cancérogène. De son côté, l’EFSA a simplement relevé « un risque élevé à long terme chez les mammifères » pour la moitié des usages proposés du glyphosate, mais reconnu que le manque de données empêchait toute analyse définitive.
Face à la proposition de la Commission, le député européen français Pascal Canfin (groupe Renew, dont fait partie les eurodéputés du parti présidentiel Renaissance), président de la commission Environnement du Parlement européen, a cependant déploré sur X (anciennement Twitter) l’absence de « restrictions sérieuses d’usage » et une « proposition non-conforme aux conclusions de l’EFSA qui pointe de nombreuses zones grises ».
Sur France Inter, le président du groupe Renew, le Français Stéphane Séjourné, a quant à lui estimé que cette prolongation de l’autorisation sans condition « n’est pas acceptable ». Il a fait savoir qu’en cas d’absence de modification, « on votera contre », a promis l’eurodéputé.
« En détruisant la biodiversité, le glyphosate met en danger notre sécurité alimentaire à long terme. Cette proposition est irresponsable », a fustigé l’eurodéputé Verts Benoît Biteau. « Les intérêts industriels priment clairement sur la santé et l’environnement », selon l’organisation écologiste PAN Europe.
La proposition est par ailleurs jugée insatisfaisante par Paris, qui prône une « approche » selon laquelle l’usage du glyphosate doit être restreint aux seuls usages pour lesquels il n’existe aucune alternative viable. « La France demande à ce que cette démarche soit harmonisée au niveau européen », a souligné le ministère de l’Agriculture.
De son côté, Christian Durlin, un responsable du syndicat agricole majoritaire français FNSEA, ne voit « aucun élément pouvant alimenter un refus de prolonger » l’autorisation, mais met en garde contre de possibles distorsions dans les règles d’application entre les Etats.
De son côté, la Commission explique que « presque chaque jour est publiée une nouvelle étude sur le glyphosate. (…) Rien ne nous empêche, dans un mois, dans un an ou dans cinq ans, de rouvrir le dossier si le travail des scientifiques le justifie », précise Le Monde.
· Que disent les autres pays de l’UE?
La proposition de Bruxelles intervient alors que les négociations entre États membres et au Parlement européen s’enlisent sur un ambitieux projet de législation imposant des objectifs de réduction des pesticides dans l’UE, dans le cadre du Pacte vert.
« Dans des cas extrêmes, des États de l’UE peuvent théoriquement interdire tous les produits contenant du glyphosate », mais doivent pour cela avoir de solides justifications « dans le cadre des conditions » fixées par la législation de l’UE, a rappelé un responsable européen.
En France, Emmanuel Macron s’était engagé en 2017 à sortir du glyphosate « au plus tard » début 2021, avant de revenir sur sa promesse. Depuis, Paris s’est fixé comme objectif de sortir de l’essentiel des usages de ce désherbant. En 2020, l’agence sanitaire française Anses a annoncé des restrictions progressives pour son usage dans l’agriculture, son utilisation par les particuliers étant prohibée depuis 2019.
L’Allemagne menée par une coalition sociaux-démocrates/verts/libéraux prévoit de bannir le glyphosate fin 2023 et a fait savoir qu’elle « ne pourra pas » non plus « approuver la proposition de la Commission ». Des premières limitations sont entrées en vigueur en 2020 avec une interdiction dans les espaces publics (parcs, terrains de sports, cours d’école, etc.) et dans les jardins des particuliers.
Aux Pays-Bas et en Belgique, l’utilisation du glyphosate est interdite pour les particuliers. Au Portugal, son usage est interdit dans les espaces publics. En République tchèque, il est limité mais pas interdit depuis 2019.
· Qu’en est-il ailleurs dans le monde?
Aux États-Unis, Monsanto et sa maison mère allemande Bayer sont empêtrés depuis des années dans de multiples et coûteuses procédures judiciaires aux Etats-Unis, liées à l’utilisation du désherbant Roundup. Le groupe a notamment conclu en 2020 un accord à 10 milliards de dollars pour solder les poursuites de ses anciens utilisateurs.
Mais dans ce pays le glyphosate demeure en vente, même si des restrictions locales limitent son usage. En 2019, l’Agence américaine de protection de l’environnement (EPA) a réaffirmé que le glyphosate n’était « probablement pas cancérigène pour les humains ».
Le Mexique s’est quant à lui engagé début 2021 vers une interdiction progressive du glyphosate jusqu’à un bannissement total à compter du 31 mars 2024. En Colombie, les épandages de glyphosate pour détruire les plantations de coca ont été suspendus pour raison sanitaire en 2015 puis réautorisés sous conditions à partir de 2020.
Au Brésil, le glyphosate a été l’objet d’une brève bataille judiciaire en 2018, une juge suspendant les nouveaux produits à base de glyphosate avant qu’un tribunal saisi par le gouvernement n’annule sa décision. Au Salvador, l’herbicide a fait partie d’une liste de 53 produits pour l’agriculture interdits en 2013. Mais l’interdiction du glyphosate a ensuite été levée.
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