Quand on est journaliste parlementaire, on est parfois par l’actualité « chaude » mais, certaines dépassent ce à quoi on pouvait s’attendre, comme le montre le harcèlement subi par la député Sarah Tanzili.
Accident professionnel
Si vous lisez mes péripéties sur Projet Arcadie, vous savez que je me suis intéressée professionnellement à la proposition de loi encadrant l’activité d’influenceur. Comme toute snob qui se respecte, le sujet des influenceurs ne me passionnait pas avant. Pour moi, ils étaient des hommes ou femmes sandwich sans intérêt. Ils ont tous le même physique formaté, sans attrait, le cerveau d’une huître et les produits qui veulent refourguer sont médiocres. Par ailleurs, depuis quelques années, tant par pingrerie que par vague sentiment écologiste, à chaque fois que je fais un achat, je me pose certaines questions : en ai-je besoin ? En ai-je vraiment envie ? Où vais-je le ranger ? Est-ce que dans 10 ans, je vais m’en servir ou le porter ? Est-ce que c’est réparable ? Exceptions à la règle : les livres et les films ou séries. On l’aura compris : je ne suis pas une bonne cliente pour les influenceurs.
Mais, l’actualité parlementaire m’a rattrapé, ce qui me fait penser que je fais quand même un drôle de métier. Le hasard a fait qu’un internaute m’avait contacté en début de session ordinaire – en octobre pour ceux qui ne sont pas bilingues en Assemblée nationale – pour me parler d’une influenceuse : Poupette Kenza. Il faisait état de maltraitance de cette dernière envers son enfant. Ne sachant pas quoi lui répondre d’intelligent, j’ai fait une réponse standard. Au fil des mois, son nom est revenu régulièrement, aussi pendant les « spaces » organisés par le collectif AVI que dans les sujets à la mode sur Twitter. L’influenceuse se met quotidiennement en scène avec sa fille et plusieurs internautes ont rapporté des faits de maltraitances dans les vidéos qu’elle publie.
Tant et si bien qu’une député de la majorité présidentielle a fait un signalement sur le fondement de l’article 40 du code de procédure pénale. En premier, pour maltraitance – je renvoie le lecteur vers la lettre – mais aussi parce que Poupette Kenza a partagé des photos et des vidéos de sa fille, qui ont alimenté des canaux de pédopornographie.
Illectronisme ou stupidité ?
On vous le dit depuis plus de 20 ans : arrêtez de partager les bouilles de vos enfants sur les réseaux sociaux ou le web. Vous ne savez pas qui regarde, vous ne savez pas à quel point la personne qui regarde, protège son matériel, vous n’avez absolument aucune maîtrise sur la diffusion de l’information. Pour vous, c’est peut-être anodin de partager l’image de vos enfants, vous pensez que personne, à part vos amis ou votre famille, ne va y avoir accès. Mais, vous n’en savez strictement rien. On pensait qu’avec la quantité d’articles, de reportages, de documentaires et même de films, le message serait passé. Ce n’est pas parce que vous, vous ne voyez rien de mal dans une image d’enfants que la personne en face de vous aura la même analyse. Rappelons également que les images d’enfants sont aussi utilisées dans des montages photos ou vidéos. La preuve par deux que le message n’est pas passé.
La première est la vague d’insultes que subit actuellement la député Sarah Tanzili. Au moment où ces lignes sont écrites, c’est un flot continu d’insultes qui lui sont adressés sur Twitter. Il est probable que sa boîte mail aussi soit saturée. Stéphane Vojetta qui a relayé son communiqué de presse, fait aussi les frais d’injures diverses. La virulence des messages montre que les endoctrinés de l’influence ont perdu tout sens commun. À ce niveau de délire, c’est de l’endoctrinement.
La seconde est la relativisation des contenus par les fans de Poupette Kenza. Beaucoup mettent en avant le fait que d’autres personnes utilisent leurs enfants à des fins commerciales et publicitaires. Ou qu’ils ne sont pas battus. Mais, personne ne se demande si les enfants ont consenti et c’est tout le problème.
Le consentement des enfants
Avec #MeeToo, on a beaucoup parlé du consentement, en se focalisant évidemment sur les femmes. Mais, on a encore tendance à oublier que les enfants ne sont pas des objets dont on peut disposer. Oui, un enfant a le droit de refuser qu’on lui fasse des bisous baveux, même si ça vient de Tata Germaine. Un enfant a aussi le droit à une vie privée. Quand un enfant est photographié et que l’image est diffusée sur le web, vous vous posez la question de savoir s’il est d’accord ? Sans parler des conséquences à long terme.
Mettons de côté la question de l’utilisation des images et des vidéos par des sphères de pédopornographie et concentrons-nous sur le futur. Dans 10 ou 15 ans, comment vont réagir tous ces enfants, quand un employeur fera une recherche sur eux et tombera sur des contenus de ce type ? Ou même des camarades de classe mal intentionnés ? Vous-mêmes, aimeriez-vous que les photos de votre enfance, prises avec un argentique, atterrissent sur Google, Yandex, Bing ou autre ?
À ma connaissance, on n’a pas encore de cas, mais il est fort probable que dans quelques années, des enfants intentent des actions en justice contre leurs parents, pour violation de leur droit à l’image, surtout s’ils ont été utilisés comme des objets publicitaires.
C’est une chose de choisir pour soi-même de devenir un panneau publicitaire, c’en est une autre de l’imposer à son entourage, notamment quand l’entourage en question n’a pas les moyens de dire non. D’ailleurs, ça n’a pas loupé. En cliquant sur le hashtag dédié au soutien de l’influenceuse, on voit les images de ses enfants. Et tout le monde peut voir qu’ils sont bien trop jeunes pour consentir à la diffusion.
Concluons sur une hypocrisie de la part de certains responsables politiques. Il y a 10 ans, la loi instaurant le mariage pour tous était votée. À cette époque, certains n’avaient pas de mots assez durs pour expliquer que cela détruirait la famille. Plus récemment, avec la loi sur la PMA pour toutes, toujours les mêmes ont expliqué que les enfants étaient sacrés, qu’il fallait les protéger, etc. Est-ce que parce que l’incident intervient pendant un pont du mois de mai qu’ils sont étrangement silencieux ? Ou est-ce que les enfants, ce n’est sacré que lorsqu’on parle des familles homoparentales ?
Et ce jeudi, on dira du mal d’Elon Musk.
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