Guerre ouverture entre Orange et l'Arcep

Orange devrait déposer deux recours contre l’Arcep devant le Conseil d’Etat d’ici la fin de ce mois de décembre. C’est ce qu’ont annoncé successivement La Tribune et Le Monde. Le conflit ouvert entre l’opérateur historique et le régulateur du secteur des télécoms porte sur les conditions d’accès au réseau cuivre et le fameux tarif du dégroupage.

Si la fermeture du réseau téléphonique commuté (RTC) est programmée pour 2030, Orange doit, en tant qu’opérateur d’infrastructure, maintenir en conditions opérationnelles ce réseau cuivre vieillissant. Un enjeu essentiel en dépit du déploiement accéléré de la fibre. L’ADSL reste encore le seul moyen pour de nombreux foyers français de surfer sur internet, avec 16,5 millions d’accès.

Une équation financière intenable

Auditionnée le 30 novembre par le Sénat, Christel Heydemann a évoqué une équation financière intenable. La directrice générale du groupe Orange évalue à 500 millions d’euros le coût annuel pour maintenir le réseau cuivre. Alors que la décroissance du parc installé s’accélère (- 15 % en 2021), le coût d’entretien de la ligne cuivre a quant à lui augmenté de 37 % entre 2018 et 2021. « Cette hausse va s’amplifier à mesure de l’accélération de la bascule vers la fibre », avertit la directrice.

L’Arcep, qui fixe les tarifs d’accès des opérateurs commerciaux pour le dégroupage et le génie civil, a précisément choisi « ce moment charnière » pour changer le modèle tarifaire pour la période 2021-2023, dénonce Christel Heydemann. Alors qu’historiquement, ce modèle était celui de l’orientation des tarifs vers les coûts, il se base, depuis 2020, sur une modélisation du réseau FttH (fibre optique) théorique.

Cette modélisation « ne prend pas en compte tous les éléments du réseau, ce qui conduit à une sous-évaluation du tarif de 1,44 euro par mois », déplore la numéro un d’Orange. Elle dénonce, par ailleurs, une sous-estimation de la fiscalité. En outre, Orange ne recouvrirait plus la totalité de ses coûts de génie civil, soit un manque à gagner de 175 millions en 2021-2022.

Entre le dégroupage et le génie civil, ce sont 228 millions d’euros de recettes qu’Orange ne percevrait pas. « Des recettes qui restent dans les caisses des opérateurs commerciaux. (…) Cela correspond à accueillir gratuitement l’un des trois grands opérateurs commerciaux sur nos réseaux », regrette Christel Heydemann.

Transfert de valeur défavorable

Pour Christel Heydemann, ce changement de modèle tarifaire conduit à un transfert de valeur de l’opérateur d’infrastructure – à savoir Orange – vers les opérateurs commerciaux que sont SFR, Bouygues Telecom et Free. Il ne s’agit pas de défendre, à ses yeux, « une prétendue rente », mais la qualité du service, l’emploi et la garantie d’un accès à un service universel.

Lors de ses vœux, Laure de la Raudière, présidente de l’Arcep, rappelait que le succès du plan de fermeture du réseau cuivre reposait « dans la mise en place effective par Orange d’une gouvernance associant réellement toutes les parties prenantes ». Or, « Orange doit beaucoup plus partager les informations dont il dispose, notamment celles permettant de réconcilier les adresses de présence du réseau cuivre avec celles du réseau fibre de l’opérateur d’infrastructure, et ceci afin de permettre une substitution des deux réseaux », estime-t-elle.

Signe d’apaisement ? L’Arcep a annoncé, le 16 décembre, qu’une consultation publique sera ouverte jusqu’au 27 janvier 2023 sur une modification des plafonds tarifaires de l’accès à la boucle locale cuivre, et donc du tarif du dégroupage.

« La France, le pays plus fibré d’Europe »

Le second sujet de discorde porte sur les retards de déploiement de la fibre optique dans certaines communes de France, pour lesquels Orange se verrait menacé de sanction. Certains élus locaux sont également montés au créneau. Le 6 décembre, l’agglomération de Brive (Corrèze) annonçait une action contre Orange, après « avoir épuisé toutes les voies « amiables » ».

Laure de la Raudière fait du déploiement de la fibre un préalable à l’arrêt du réseau cuivre. La fermeture commerciale nationale par Orange en 2026 suppose que « la trajectoire des déploiements soit cohérente avec cette échéance ». Or, « actuellement, on peut avoir des doutes : à nouveau, chacun doit assumer ses responsabilités. Je me permets d’insister sur ce point. On ne peut pas vouloir fermer le réseau cuivre et arrêter les déploiements de la fibre en zone AMII (appel à manifestation d’intention d’investissement, NDLR) ou en zones très denses ».

Lors de son audition au Sénat, Christel Heydemann a rappelé que la France était le pays le plus fibré d’Europe, avec un taux de couverture de plus de 80 %, contre 30 % en Allemagne. Et si l’objectif du plan France Très haut débit pour tous est atteint, Orange n’y est pas étranger, l’opérateur étant même la locomotive de la fibre en France. « 60 % des prises déployées l’ont été par nos équipes et nos partenaires. Qui a investi 9 milliards d’euros ? Qui a soutenu la filière durant la crise sanitaire ? », questionne-t-elle.

Des coûts supportés par les opérateurs qui profitent aux géants du numérique

Un investissement qui, estime la directrice générale, profite aux GAFA, aux plateformes de streaming et autres services OTT (Over the top). A ses yeux, ces fournisseurs de services numériques plateformes détournent particuliers comme entreprises des solutions traditionnelles, tout en utilisant l’infrastructure des opérateurs sans en supporter la charge.

Selon elle, les régulateurs français et européens n’ont pas suffisamment pris en compte ces disruptions majeures et leurs conséquences irréversibles. « Face à l’explosion des services numériques, la régulation se concentre sur les opérateurs, ignorant les transferts de valeur qui s’opèrent vers les nouveaux acteurs ».

Commandée par la Fédération Française des Télécoms (FFT), une récente étude du cabinet Arthur D. Little pointe, chiffres à l’appui, ce partage inéquitable de la valeur.

Image : Etude économique 2022 du cabinet Arthur D. Little.

Les opérateurs télécoms ne perçoivent que 42 % des revenus totaux de l’écosystème numérique français, alors qu’ils assurent 78 % des investissements, 69 % des emplois et s’acquittent de 79 % des impôts et taxes. Les géants du numérique ne contribuent qu’à 4 % des investissements, ne paient que 3 % des impôts et taxes et créent seulement 11 %. A contrario, ils captent 30 % des revenus. CQFD.

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