Lundi soir, sur le plateau de BFM TV, la chaîne avait invité l’auteur d’un rapport sur la perception des Français de la vie politique. S’ensuit une discussion sur le défaut d’information et de formation des Français à la vie démocratique. Plus intéressant, il était question d’éducation aux médias et d’absence de hiérarchisation des contenus.
La paille et la poutre
Il est toujours amusant d’entendre des éditorialistes sur les plateaux de télévision faire le procès de l’absence de hiérarchisation des contenus et des informations sur le Web. Le propos est le suivant : sur le Web, on trouve tout et n’importe quoi, sans filtre ni vérification. Deux exemples récents donnent envie de répondre : sur les plateaux TV également.
Le premier est celui de ce Français, invité un peu partout, pour parler de la guerre en Ukraine. Adrien Bocquet a distillé ses mensonges sur tous les plateaux TV et radios qu’il a trouvés et ce n’est que suite à une enquête sérieuse de plusieurs rédactions que tout le monde a découvert qu’il était surtout un grand mythomane.
Le second exemple est tout aussi délirant. Le Parisien a foncé tête baissée dans une histoire de squat. Les journalistes n’ont rien vérifié, le fait-divers est remonté jusqu’au Gouvernement. Mieux encore, on a appris cette semaine que le couple qui se disait victime, n’est peut-être pas tout à fait blanc comme neige. Naturellement, une bourde arrive à tout le monde, mais c’est toujours amusant de voir le procès fait au Web en matière de hiérarchisation de l’information quand les médias traditionnels courent eux-mêmes derrière le clic et le reach. Notons que les personnes présentent sur ce plateau de BFM TV ont toutes allégrement dépassées la trentaine et plus et qu’évidemment, c’était principalement l’abstention des jeunes qui était fustigée, ainsi que leur supposée ignorance politique et démocratique. C’est aussi oublier que le Web peut être un très bon outil de vérification et d’acquisition des connaissances.
Passion BTP
Les journalistes qui ont travaillé sur le cas d’Adrien Bocquet ont eu recours à des techniques d’OSINT : Open Source Intelligence. Ils ont géolocalisé les photos, fait des regroupements, analysé les images, etc. C’est des techniques d’investigation que tout le monde peut acquérir assez simplement. Il n’y a pas de barrière technique ou financière à l’entrée. Il suffit d’un peu de pratique et d’intérêt pour la matière. Et avouons-le : il y a un petit frisson hacker tout-puissant derrière son écran quand on fait de l’OSINT. Mais, on n’est pas tous journalistes et le Web permet parfois de se former à des choses plus pratiques.
Mes parents retapent une maison et ont décidé de faire l’essentiel des travaux eux-mêmes. Ce n’était pas forcément leur première intention, mais ils ont été confrontés à un problème. Les artisans ne venaient pas. Au bout du dixième artisan, mon père a craqué. Il a mis YouTube et s’est tapé toutes les vidéos de bricolage, de carrelage, de pose de plâtre et autres joyeusetés du BTP qu’il a trouvé. En dehors de quelques travaux spécifiques, il a tout fait lui-même.
Quant aux travaux qu’il a délégués, grâce aux Youtubeurs bricoleurs, il a pu les superviser dans le détail, quitte à faire refaire le travail quand c’était nécessaire. À mon regret, il a refusé de me déléguer la partie démolition. Il n’est d’ailleurs pas le seul qui a appris à bricoler grâce à YouTube. Pendant le confinement, tous mes voisins ont fait des travaux, avec plus ou moins de succès.
Dans d’autres domaines, mon père, qui n’a pas du tout fait d’études, est parfaitement apte à détecter le vrai du faux. S’il lui est déjà arrivé de lire des articles orientés sur certains blogs — comme à moi — il a ses canaux d’infos traditionnels et numériques privilégiés. Bref, ce n’est pas lui qui goberait la première vidéo sur Twitter. Pourquoi ? En un mot : expérience.
Senior contre jeunes : une histoire d’acquis
L’une des plus grandes légendes urbaines concernant le numérique vise les jeunes. Si j’avais reçu un euro à chaque fois que j’ai lu que les jeunes étaient « naturellement » plus aptes au numérique, non seulement Arcadie serait financée pour les trente prochaines années, mais je pourrais prendre ma retraite à Majorque.
Ce n’est pas parce qu’on sait faire une vidéo sur TikTok qu’on maîtrise l’informatique ni qu’on est apte à détecter les âneries sur le Web. D’ailleurs, vu le nombre de copains, qui sont développeurs ou administrateurs système, qui sont excellents dans leur domaine, qui retweetent des conneries plus grosses que le Hindenburg, j’en viens à douter qu’être formé en informatique protège des sottises.
Deux éléments permettent de séparer le vrai-faux. Le premier est tout simplement l’expérience. Pour sa « formation » en BTP, mon père a regardé des centaines de vidéos — et il m’a tout retranscrit. Non seulement pour apprendre, mais aussi pour détecter les techniques, les astuces, les matériaux. Ayez une pensée pour les vendeurs de magasins de bricolage. Quand ils tombent sur mon père et essaient de lui vendre des matériaux dont il n’a pas besoin, c’est toujours un grand moment.
L’autre élément est l’esprit critique. Évidemment, on peut l’acquérir à l’école, mais attendu que notre institution scolaire est principalement une machine à formatage, ce n’est pas gagné. Qu’est-ce que l’esprit critique ? C’est tout simplement se demander « pourquoi cette personne me dit cela ? » Cela vaut pour les médias comme pour les vendeurs en téléphonie. Quand mon vendeur de Bouygues Telecom tient absolument à me fourguer un abonnement fibre, une coque, un téléphone pour faire des vidéos TikTok, une assurance, une extension de garantie, je sais pourquoi il le fait. Et je me rappelle généralement pourquoi je suis devenue accro à Amazon Prime.
D’ici la semaine prochaine, j’aurais fini mes travaux de plomberie et je vous expliquerai pourquoi le dernier Scream est une réussite.
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