A l’international comme en France, l’année 2022 n’a pas été de tout repos pour les acteurs des médias. Après deux années atypiques marquées par la pandémie, le marché espérait retrouver ses marques en 2022, aussi bien pour les acteurs traditionnels (chaînes de télévision, producteurs, opérateurs télécom) que pour les nouveaux acteurs de l’économie numérique, principalement les plateformes de SVOD. Hélas, la réalité dépassa les pires scénarii pessimistes. Ce qui n’a pourtant pas empêché le secteur des médias de s’inventer de nouvelles perspectives.
Comme souvent, c’est le marché américain qui impulse sa dynamique au marché des médias et cette année il n’a pas été à la fête. Il est difficile d’affirmer que si la crise entre l’Ukraine et la Russie n’avait pas eu lieu, que si l’inflation n’avait pas explosé un peu partout, les choses auraient été radicalement différentes. Quoiqu’il en soit, en 2022, on a vu pour la première fois les streamers affronter des difficultés : explosion du churn, licenciements, très fort ralentissement de la croissance et surtout accélération des pertes opérationnelles. Tout cela dans un contexte de chute des cours de bourse de l’ensemble des valeurs technologiques, prises dans la spirale baissière de l’action de Meta mais aussi de celle de Netflix. Des valorisations boursières évaporées qui ont eu pour effet de bousculer les organigrammes des studios avec comme principal événement, le remplacement de Bob par Bob chez Disney : Chapek a donc laissé sa place à Iger pour remettre Disney sur les rails.
Avec une interrogation majeure : alors que les studios n’ont pas retrouvé leur niveau de revenus en salles et que leurs chaînes de télévision perdent de l’audience donc des recettes publicitaires, certains commencent à se demander si le streaming est vraiment leur relai de croissance à l’horizon 2030 ? Toutes les prévisions l’affirment, mais la réalité du terrain s’avère nettement plus complexe. Et on commence à voir des entailles aux incontournables « mission statement » : Disney qui augmente ses prix et introduit une offre publicitaire ; Netflix qui lance aussi une offre publicitaire et qui cherche à mettre fin au partage de compte ; WamerBros. Discovery qui enterre définitivement le Day & Date pour ses films et qui repousse de mois en mois le lancement de son service « Max » issu de la fusion entre HBO Max et Discovery+.
Du côté des consommateurs, les chiffres publiés par le DEG (Digital Entertainment Group) indiquent que malgré le churn (arbitrage entre les plateformes), malgré la montée en puissance de l’AVOD, les dépenses des ménages sont au beau fixe en affichant une croissance de 12,2% sur les neuf premiers mois de l’année, laissant entrevoir un nouveau record de dépenses de divertissement à fin décembre. Dans le même temps, les entrées salles ont repris des couleurs si bien que le box-office va plus que doubler en 2022 pour dépasser 7 milliards de dollars de recettes aux Etats-Unis.
Une fois le chapitre 2022 refermé, tout le marché s’interroge sur ce que sera 2023. Entre prédictions des grands cabinets internationaux et boule de cristal des observateurs les plus téméraires, bien malin est celui qui peut dire si 2023 sera une année faste ou tragique pour les médias. Cependant, plusieurs grandes tendances se dégagent et auront un impact certain sur le business de la télévision et du streaming. Sans hiérarchie et sans certitude aucune, en voici quelques-unes glanées au fil des publications, des études et déclarations des patrons des grands groupes média. Une sorte d’inventaire des médias à la Prévert, mais pas une boule de cristal.
Depuis quelques semaines on ne parle que ça. ChatGPR et son AI (intelligence artificielle) capable de relever les défis les plus fous, en particulier celui de pouvoir écrire une série ou un film, définir les intrigues et les personnages. A l’heure de la surproduction pour les streamers, ChatGPR est en embuscade pour remporter son premier Oscar ou son premier Golden Globe. La preuve :
Le géant de Los Gatos continue de nourrir les spéculations les plus folles : en signant un accord avec Xandr, on y voit la main de Microsoft qui pourrait racheter son nouveau partenaire. Pendant ce temps, Netflix pourrait s’offrir Lionsgate qui cherche à spliter son activité studio de son service à la demande Starz. Et puis il y a Paramount, dont la valorisation boursière en fait une proie idéale, mais pour qui ? La vague des consolidations est loin d’être terminée et 2023 risque même de voir cette vague se transformer en tsunami. Le streaming a bouleversé le modèle économique des grands acteurs des médias, principalement aux Etats-Unis, où les pertes abyssales engendrées ont fragilisé les studios et accéléré le grand Monopoly de la consolidation. A ce jeu que fera Apple et de sa monstrueuse trésorerie, est-ce qu’Amazon va continuer de s’offrir des studios, est-ce que l’alliance WarnerBros Discovery avec Max passera l’année 2023 ?
La grande question de 2023 est de savoir si Netflix et Disney+ vont réussir leur pari avec leurs offres incluant de la publicité. Avec des CPM record, des promesses de ciblage ultra performantes et un potentiel de clients inégalés dans le monde les deux géants de la SVOD jouent très gros : soit ils réussissent leur pari de l’AVOD et privent le marché de la pub TV d’une grosse part de leurs recettes, soit ils échouent et seront contraints de revoir leur modèle économique. Un vrai risque pour 2023 car ni l’un ni l’autre ne pourront augmenter leurs prix indéfiniment, surtout si le partage de compte devient payant. Il suffira de quelques mois en 2023 pour fixer le marché.
A Wall Street, on aura les yeux rivés sur les cours des actions des streamers dès le 2 janvier. En espérant que 2023 ne ressemble pas à 2022 et que les courbes des cours s’inversent rapidement. Mais le coup de froid subi en 2022 va laisser des traces et les analystes ont compris que la performance des streamers ne se jugeait pas qu’à la simple lecture du volume d’abonnés. Désormais le taux de churn, l’ARPU et surtout la rentabilité sont des indicateurs suivis à la loupe. Ce qui ne devrait pas arranger les affaires des principaux streamers qui ont accumulé les pertes en 2022.
Disney, Apple, Amazon, Canal, Sky misent sur les offres bundle depuis pas mal de temps. Mais avec le durcissement de la concurrence, il y a de fortes chances que les regroupements d’offres de services de streaming se multiplient en 2023. La solution ne consiste pas à regrouper les streamers, mais à trouver un public ailleurs. Selon Nielsen, 64 % du public souhaite une offre groupée, certains ont déjà montré la voie en matière de divertissement : Hulu et Spotify, ou Apple TV+ et PlayStation. Reste à voir si le concept arrivera à convaincre des millions de nouveaux utilisateurs. Reste le sujet des bundles entre jeu vidéo et VOD : Netflix poursuit ses investissements, et le marché s’interroge sur le potentiel du mariage des deux activités.
Le débat fait rage aux Etats-Unis, il a aussi gagné le Royaume-Uni. En France, les annonceurs et les agences réclament une plus grande transparence du marché publicitaire du streaming. De son côté Médiamétrie s’outille pour relever le défi. GRP contre CPM va animer le marché tout au long de l’année. Il ne suffira plus de publier un communiqué de presse ou de réaliser un classement made in house pour justifier des performances d’un service de streaming, en particulier si celui-ci contient une offre publicitaire. Ce raisonnement s’applique aussi aux offres AVOD et FAST.
La liste des programmes exploités par les streamers qui se perdent dans la longue traîne augmente de jour en jour. Une fois « rincés », ces programmes plongent dans les profondeurs des visionnages et n’ont pas forcément un rôle à jouer pour recruter de nouveaux abonnés ou pour fidéliser ceux qui le sont déjà. C’est donc le moment de mettre ces programmes sur le marché des droits TV pour améliorer leur amortissement. 2023 sera probablement la première année où certains films et séries passent de la SVOD à la TV.
On pensait que les rôles entre les streamers et les chaînes étaient clairement établis : des séries exclusives, des documentaires conçus pour ces services, des films qui ne sortent pas au cinéma, un zeste de catalogue et le tour était joué pour les streamers. Aux chaînes l’info, les grands divertissements, mais surtout les grandes compétitions sportives en live. Erreur ! Le sport est tellement fédérateur, événementiel, populaire qu’il n’a pas mis longtemps à titiller les streamers les plus riches. Ce que nous avons vécu jusqu’à maintenant n’est rien comparé à ce qui va se passer dans les 3 prochaines années : Amazon s’est positionné, Apple, Youtube aussi. Et quand Netflix entrera dans la bataille, cela prendra une nouvelle dimension. Car Netflix ne se contentera pas éternellement de gentils documentaires sur la F1, le Tour de France et sur quelques sportifs stars.
En France, à une moindre échelle, les bouleversements ont aussi été nombreux et n’ont pas fini de modifier la configuration du marché et le comportement des acteurs : fin de la redevance, échec de la fusion entre TF1 et M6, poids croissant de la SVOD dans les loisirs des ménages, discussions autour de la redéfinition de la mesure des audiences entre streaming et télévision, réflexions concernant la définition du marché publicitaire pertinent, questionnement sur l’avenir de Salto et rebond des entrées salles au dernier trimestre. Comme toujours, le réglementaire et le politique occupent une place importante dans le business des médias, ce qui a un impact fondamental sur l’organisation du marché. Le meilleur exemple de l’année est l’avis de l’Autorité de la Concurrence qui a mis fin aux espoirs de fusion de M6 et TF1, et qui va avoir des conséquences opérationnelles dès 2023 au sein des deux groupes. Cela n’a pas empêché les consommateurs de consacrer toujours plus d’argent à leurs loisirs numériques : les dépenses vidéo dépasseront les 2,2 milliards d’euros en 2022 et 51% des internautes ont accès à une offre de SVOD selon les chiffres publiés par l’ARCOM.
Longtemps la rumeur a couru que Sky UK voulait acheter Canal+. Et aujourd’hui c’est une autre rumeur qui parcoure le marché. Selon Clap, le groupe Canal serait intéressé pour racheter Sky Deutschland. Une preuve de plus que le groupe détenu par Vivendi mise sur une croissance internationale. Et si le champion du streaming que la France se cherche était là ?
Ce sera une des principales préoccupations du marché en 2023. Fini le streaming irresponsable. Place à une plus grande maîtrise des débits et à la poursuite d’une empreinte carbone neutre pour tous les streamers, en particulier en France. En effet, l’ARCOM vient de lancer une consultation publique sur la question : « Consultation préalable à la publication d’une recommandation visant à informer les usagers de services audiovisuels de la consommation d’énergie et d’équivalents d’émissions de gaz à effet de serre liées à la consommation de données sur ces services. » En 2023, il faudra streamer vert !
Mai 2023 est un rendez-vous important pour les deux ex-futurs mariés. En effet, mai est le mois de la décision du renouvellement des concessions des deux chaînes privées. Même si, selon les spécialistes, les risques de voir les groupes Bouygues et Bertelsmann se faire sortir est quasiment nul, 2023 sera le théâtre d’une bataille d’un nouveau genre avec des acteurs déjà bien implantés sur le marché et de nouveaux venus aux ambitions média très affirmées : Xavier Niel qui poursuit ses emplettes et qui lorgne sur TF1 et Rodolphe Saadé, le patron de GCA/CGM qui a franchi le cap de 5% du capital de M6.
A mesure que les acteurs découvrent les difficultés de gagner de l’argent rapidement avec la SVOD, les grands groupes média et de nombreux acteurs indépendants se sont lancés dans le développement d’offres AVOD et de chaînes FAST. Leur objectif est simple : proposer un maximum de programmes gratuitement, le plus souvent de catalogue, afin de construire des audiences pour ensuite vendre de la publicité. Ce marché a explosé aux Etats-Unis avec plus de 1000 chaînes disponibles, il croît rapidement au Royaume-Uni et en Allemagne et commence à s’organiser en France avec plusieurs centaines de chaînes. 2023 sera une année d’effervescence du marché AVOD et FAST avant que la période de la rationalisation des offres intervienne et fasse le tri entre tous les éditeurs et distributeurs de ces services.
Si les professionnels arrivent à se mettre d’accord, l’année 2023 pourra démarrer avec une chronologie des médias optimisée, mais pas encore totalement satisfaisante en fonction de l’endroit où on se situe dans la vie d’un film. Mais il faut savoir profiter des avancées d’un système considéré comme trop rigide par un certain nombre d’acteurs, tandis que les consommateurs ne souhaitent qu’une chose : voir les films qu’ils aiment le plus vite possible, sur tous les terminaux et quel que soit le mode d’exploitation.
On promettait le pire aux chaînes de TV. Elles ont résisté en 2022, partout dans le monde, et se sont mises en ordre de marche pour riposter aux streamers. En France, le service public se lance dans l’AVOD avec des films de cinéma, les chaînes privées en clair musclent leurs services de streaming (replay, SVOD, AVOD, FAST) et Canal continue de se renforcer dans son rôle d’agrégateur/distributeur avec ses bundles intégrant Netflix, Disney+ et Paramount+. Le probable rachat d’OCS va aussi contribuer à sécuriser le positionnement du groupe Canal sur la télévision payante. Bien que les audiences continuent de perdre régulièrement du terrain, le vrai danger pour les chaînes vient de la sécurisation de leurs recettes publicitaires : le marché stagne à 3,5 milliards d’euros par an et s’il était attaqué en 2023 par les nouvelles offres FAST et AVOD, on pourrait alors commencer à s’inquiéter pour la survie de la télévision linéaire classique.
Et puis 2023 continuera de nous faire rêver sur les promesses du Metavers, des NFT, de la blockchain qui devraient moderniser le monde des médias, même si on ne sait pas forcément comment cela se passera. Et on continuera de s’interroger sur la montée en puissance de TikTok qui n’en finit pas de secouer le marché de la publicité et des médias sociaux. En attendant très bonne année 2023 à toutes et à tous.
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