Attention au départ, les pieds clipsés au vélo, les cyclistes s'élancent sur la piste de Saint-Quentin-en-Yvelines, en ce mois d'avril 2022. (LOUISE LE BORGNE / FRANCEINFO: SPORT)

Bolide en carbone ? C’est bon. Chaussures à cales ? C’est bon. Casque fuselé ? C’est bon. Freins ? … Freins ??? Trop tard. Depuis l’aire centrale, je m’élance prudemment sur ce drôle d’engin, pour ce qui ressemble bien plus à un exercice d’équilibriste qu’à une promenade en Vélib’. Je prends mon souffle, et c’est parti.

Dans le vélodrome de Saint-Quentin-en-Yvelines, qui accueillera les épreuves olympiques de Paris 2024, plusieurs curieux sont venus ainsi réaliser leur baptême en cyclisme sur piste. Une première qui, contrairement aux apparences, est loin de faire tourner en rond comme je peux le constater par moi-même.

Pas de panique à bord, il suffit de suivre l’instructeur. Les pieds solidement amarrés, il n’est de toute façon plus question de descendre. Contrairement à un vélo classique, le cyclisme sur piste se pratique sur un pignon fixe : les pédales tournent en permanence sur l’anneau de 250 mètres, jusqu’à l’arrêt complet de l’engin. Pas franchement rassurant. 

« J’ai l’impression d’embarquer sur un avion de chasse mais sans le permis de conduire », confie un néophyte, chaussettes remontées jusqu’au mollet et regard nerveux. De mon côté, je commence à me demander comment nous allons pouvoir tenir sur les murs verticaux qui servent de virages à la piste. 

Sans être la discipline la plus attendue par le public, le cyclisme sur piste est présent aux Jeux olympiques depuis ses origines (1896) et a été au programme de toutes les éditions, à l’exception de Stockholm en 1912. En revanche, il a fallu attendre le championnat du monde de 1958 pour voir les premières femmes arpenter la piste.

Phase de préparation : il faut sauter dans ses chaussures et attraper un casque. (LOUISE LE BORGNE / FRANCEINFO: SPORT)

Retour sur la piste. Chacun se positionne en file indienne, l’entraineur en tête avant de dévaler la piste sur le bon tracé et à la bonne vitessePremière étape : sortir de l’anneau gris, sorte de « bande d’arrêt d’urgence » de l’ovale, pour entrer à proprement parler sur le plan incliné. Les choses sérieuses commencent. Le parquet est étonnamment silencieux. Le vélo glisse, avale les longueurs, comme happé par le tracé. « On reste dans la traaaaace, restez collés », crie au loin un instructeur. Partagée entre appréhension et détermination, je contracte les mollets et m’allonge bien en ligne sur le vélo.

En face, le premier virage s’annonce. Un véritable mur. Avec 45 degrés d’inclinaison et un rayon de 23 mètres, il y a de quoi être impressionné. « Vise la ligne rouge, à l’intérieur du viraaage ! » A 85 cm du bord intérieur, la première bande colorée qui court sur la piste se prénomme la « ligne des sprinteurs ». En compétition, lorsqu’un coureur double, il doit dépasser cette ligne et ne peut se rabattre que s’il possède une certaine longueur d’avance. « Pas si facile de tenir le tracé sur cette machine », halète un cycliste en queue de peloton, zigzaguant sur le parquet. Je m’applique à maitriser le vélo, sans trop me crisper.

Dans le vélodrome de Saint-Quentin-en-Yvelines, cyclistes professionnels et néophytes se succèdent sur la piste, comme ici le 28 avril 2022. (GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP)

Mais pas le temps d’appréhender l’entrée dans le mur que les roues, légères et rigides, s’engagent déjà dans le virage. Le corps entier s’incline, d’abord timidement, puis de façon plus marquée. Un coup d’œil vers le centre du vélodrome laisse entrevoir le pouvoir de la cinétique : le sol défile presque à l’horizontale. La sensation de vitesse est décuplée. 

Les mollets subissent un rythme effréné. Le vélo dévore les lattes, s’élance dans les virages inclinés. « On gaaaaaarde le rythme, continuez de pédaler », s’époumone l’instructeur. « Le risque de chute vient des gens qui en oublient de pédaler. Mais sans vitesse, on n’accroche pas au virage et on tombe. Il faut donc vraiment faire l’effort de poursuivre le geste », expliquait dans son laïus préliminaire l’instructeur. A pleine vitesse, les choses vont se corser.

« Vise la ligne bleeeue ! ». A chaque tour, nous gagnons en intensité pour s‘élever plus haut sur le parquet de pin de Sibérie (qui favorise la vitesse). Des fourmis dans les mollets, il faut accentuer l’effort. Cette fois, direction la « ligne des stayers », la plus éloignée du bord intérieur. Située à un tiers de la largeur de la piste, elle est utilisée pour le demi-fond : les coureurs doivent se trouver en dessous pendant la course, hormis pour les dépassements. Les quelques mètres supplémentaires rendent l’effort plus intense.

S’il y a autant de lignes, c’est que les 17 épreuves olympiques de cyclisme sur piste s’avèrent particulièrement différentes. Certaines s’adressent à des coureurs puissants et très rapides (vitesse individuelle, 200 m), d’autres à des coureurs plus endurants (demi-fond). Chacun, à tout âge et gabarit, peut donc y trouver son compte. Lancée dans une course folle, j’ai déjà l’impression d’être au maximum de ma vitesse.

Du haut de la piste du vélodrome de Saint-Quentin-en-Yvelines, la plongée dans le virage donne le vertige, comme le montre cette photo d'avril 2022. (LOUISE LE BORGNE / FRANCEINFO: SPORT)

« Sixièèèèèème tour ! » La sensation de hauteur s’impose en bloc. On en aurait presque le vertige. Ce qui était une brève sensation de vitesse à quelques mètres du sol devient une longue chevauchée où seule l’inertie maintient les coureurs en équilibre. « Une fois lancés, on dépend des autres. Il faut lâcher prise et se faire confiance. S’il y en a un qui tombe, on risque de tous y passer », acquiesce en bord de piste une habituée des lieux. Le souffle se fait plus court. Une goutte de sueur perle sur le front.

« Toi, tu descends, ça ne va pas tenir. » Pas de vitesse, pas de virage. Les cyclistes plus lents décrochent au coup de semonce de l’instructeur. Ce qui semblait être un sprint devient une course de fond. « On doit atteindre les 30 km/h pour tenir le virage tout là-haut« . Pas question de craquer, je m’accroche. Le regard fixé sur les circonvolutions du parquet, aucune idée parasite ne filtre par le casque. La vision devient floue. L’infernale cadence aspire toute la concentration

« Dernieeeeer tour, on monte, allez, allez ! » Il faut pousser fort sur les mollets pour atteindre le « sommet » du vélodrome, à près de huit mètres de haut. Pas le temps d’apprécier la vue, il faut redoubler d’efforts. Nous ne sommes plus que deux cyclistes. Le dernier virage s’annonce rude et le moment n’est plus à l’économie. A la manière d’un avion de chasse, le vélo file sur la rampe de lancement avant de s’engager dans l’immense descente. Les mèches rebelles volettent hors du casque, tandis que le vent siffle dans les oreilles. La pente est saisissante, deux larmes coulent sur mes joues rougies par l’effort. La sensation ressemble à celle ressentie sur un grand huit, mais l’on se gardera cette fois de lever les bras.

Le sommet atteint, il faut désormais décélérer. « Intérieur, ligne bleue, on ralentit !«  Un tour, puis deux défilent avant que, peu à peu, la vitesse ne diminue. Les vélos s’arrêtent un à un sur la rambarde centrale dans une chaleur étouffante. Tout est calme. Un rayon de soleil filtre sur les gradins, et les néons diffusent une lumière chaude sur le parquet blanc. « Je fais une pause, je bois une bassine d’eau, je change de mollets, et je suis chaud pour repartir pour un tour ! », ironise un trentenaire en sueur. 

Au moment de descendre du vélo, les mollets flagellent, étonnés de retrouver un sol plat. Même si mes poumons crachent du feu, j’essaie de faire bonne figure. Je marche d’un pas décidé vers la zone d’équipement.

A peine ai-je quitté la piste que l’équipe de France, domiciliée depuis 2014 dans le centre flambant neuf, s’élance sur l’ovale dans un bruit de tonnerre. « Je connais chaque latte, chaque angle de la piste. Son dessin est très spécifique avec des virages très longs. C’est une des plus belles pistes au monde ! », s’enthousiasme Florian Grengbo, médaillé de bronze à Tokyo en vitesse par équipes. Pour le moment, il faut bien dire que j’ai bien plus subi le tracé de la piste qu’élaboré une stratégie de course. La prochaine fois, fini le placement en ligne, à moi l’adrénaline de la course, la vraie, guidon contre guidon. D’ici là, chacun peut exercer ses mollets sur l’étonnant parquet de Saint-Quentin-en-Yvelines. En piste !

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