Des publications appelant à un rassemblement sur une esplanade à Doha (Qatar), puis immortalisant la scène, sur une page d'un groupe de supporters de l'Argentine au Qatar. (ARGENTINA FANS QATAR / INSTAGRAM)

« Des fans du monde entier se rassemblent à Doha », se réjouissait la Fifa dans un tweet*, dimanche 13 novembre, à une semaine du lancement de la Coupe du monde au Qatar. Du monde entier, vraiment ? Dans les commentaires, certains internautes s’interrogent sur l’identité de certains de ces supporters. C’est le sous-entendu d’une vidéo postée sur TikTok par un DJ français, L.B. One, et très partagée sur plusieurs plateformes. Les images de cortèges aux couleurs du Brésil, de l’Argentine ou encore de l’Espagne sont montées sur un morceau reprenant un extrait de musique indienne, et son commentaire s’accompagne du hashtag #bollywood et d’un emoji montrant des billets.

@djlbone Rien qui cloche là ? #qatar2022 #worldcup #pourtoi #mdr #qatar #fyp #coupedumonde2022 #bollywood #foryou ♬ Addictive – L.B. One

Le sous-texte est peu subtil : ces supporters seraient originaires d’Inde (ou des pays voisins) et auraient été payés pour se faire passer pour des supporters. Certains veulent d’ailleurs y voir un signe que les fans des pays qualifiés boudent ce Mondial, désavouant le choix très critiqué de l’organiser au Qatar. Mais si ces supporters ont en effet des liens avec l’Inde, rien ne permet de déterminer avec certitude s’ils ont défilé de leur propre initiative ou de celle des organisateurs. Franceinfo fait le point sur ce sujet, à quelques jours du début de la Coupe du monde 2022.

Beaucoup d’entre eux sont originaires d’Inde

Sur certaines images, ces supporters défilent derrière les bannières de groupes aux noms étonnamment uniformes : English Fans Qatar, Brazil Fans Qatar, Argentina Fans Qatar… Des groupes présents sur Instagram, ce qui permet de glaner quelques indices sur l’identité de ces personnes. Et de confirmer l’authenticité des images : ces pages appelaient bien à se rassembler, vendredi, dans un même lieu de Doha, l’esplanade des drapeaux, que l’on reconnaît en arrière-plan.

Les pages Instagram de ces groupes laissent apparaître des liens clairs avec l’Inde. Brazil Fans Qatar a célébré lundi ses 15 000 followers* en mentionnant le compte d’une importante fédération de supporters au Brésil, mais aussi trois pages de passionnés de la Seleçao basés au Kerala, un Etat du sud de l’Inde, connu pour être la région où le football y est le plus populaire. Les récentes photos de rassemblements de supporters au maillot jaune au Qatar sont créditées à des utilisateurs qui se présentent tous comme originaires d’Inde.

Une publication célébrant le nombre d'abonnés d'une page de supporters du Brésil au Qatar, interpellant d'autres groupes de fans au Brésil mais aussi dans l'Etat du Kerala en Inde, le 14 novembre 2022. (BRAZIL FANS QATAR / INSTAGRAM)

Cela ne veut pas dire pour autant que ces supporters ne se trouvent au Qatar qu’à l’invitation des organisateurs. Si certains des photographes postaient encore des images de l’Inde il y a quelques semaines, d’autres profils appartiennent manifestement à des expatriés, installés dans l’émirat depuis des années. C’est aussi ce que suggère l’observation des comptes qui réagissent à ces publications. On y trouve principalement des Indiens expatriés au Qatar.

Ces pages ont d’ailleurs fait la promotion de rassemblements de supporters organisés plusieurs semaines avant le coup d’envoi de la compétition, une période où les fans venus de l’étranger pour la compétition n’étaient, en toute logique, pas arrivés. Le 28 octobre, Argentina Fans Qatar a organisé pour ses membres une étonnante « nuit des hinchas »* (un terme désignant les supporters argentins) dans une salle de Doha. Le 21 septembre, ce groupe de supporters avait présenté son maillot*, dérivé de celui que portera Lionel Messi pendant la compétition mais orné du logo de l’association, en partenariat avec une radio diffusée au Qatar, Radio Malayalam. Un nom qui n’a rien d’anodin puisque le malayalam est la langue parlée dans la région indienne du Kerala.

Ce ne sont pas forcément de « faux » supporters

Que ces supporters soient en grande partie originaires d’Inde, plutôt que du Qatar ou des pays qu’ils soutiennent, n’en fait pas pour autant de « faux » supporters. Les pages Instagram des fans du Brésil et de l’Argentine ont été créées, respectivement, en 2021 et cet été. Mais les profils de certains des internautes qui les commentent témoignent d’un goût pour le football qui ne date pas d’hier : ils se mettent en scène avec des maillots dans des publications parfois vieilles de plusieurs années, avant même leur arrivée au Qatar.

Un groupe de supporters de l’équipe de France, le French Football Fans Club India*, également présent au rassemblement de vendredi à Doha, suit les performances des Bleus (et des Bleues) depuis 2019 et a organisé plusieurs échanges avec un représentant des Irréductibles français, leur principal groupe de supporters en France.

Les publications sur Instagram d'un groupe de fans indiens de l'équipe de France, qui mêlent des photos prises en Inde et au Qatar. (FRENCH FOOT FANSCLUB INDIA / INSTAGRAM)

Cet engouement peut surprendre, vu de France, tant le poids de l’Inde semble dérisoire dans le football mondial. Mais il y a malgré tout, dans son immense population (estimée à près de 1,4 milliard d’habitants), des passionnés de ballon rond. En juillet, l’Inde figurait dans le top 10 mondial des pays où avaient été achetés le plus de billets pour ce Mondial, selon la Fifa*. Elle a été dépassée par d’autres nations depuis. Certains de ces passionnés, interrogés par la chaîne qatarienne Al Jazeera*, expliquent cet engouement par la relative proximité du pays hôte, qui offre une occasion de voir pour la dernière fois des icônes comme Lionel Messi et Cristiano Ronaldo, mais aussi la probabilité d’avoir un proche susceptible de les héberger au Qatar.

En 2019, le nombre d’Indiens qui vivaient dans le petit émirat était estimé à 700 000, dépassant largement les 333 000 Qatariens, selon le décompte le plus souvent cité, compilé en 2019 par un cabinet de communication local*. Le Qatar, pour sa part, ne publie plus de recensement des étrangers présents sur son sol. Un facteur qui peut expliquer également qu’ils soient nombreux dans les groupes de supporters fondés sur place. C’est le point de vue défendu par la fondatrice du groupe local de fans du Portugal, Elisabete Reis, elle-même expatriée dans le pays. « Il n’est pas nécessaire d’être portugais pour soutenir l’équipe du Portugal », rappelle-t-elle, citée lundi par le média portugais Renascença (lien en portugais). « Nous avons des fans de nombreuses nationalités, nous devrions en être fiers. Nous ne payons personne pour aimer le Portugal ou notre équipe. »

De précédents exemples de fans payés sèment le doute

Certains détails interpellent tout de même. Tous ces groupes de supporters n’ont sans doute pas organisé un rassemblement le même jour au même endroit par hasard. Et il est rare que des groupes de fans soient tous habillés avec les mêmes maillots. Ont-ils tous acheté des kits du parfait supporter, comme celui qu’un fan indien de l’Argentine ouvre en se filmant ? Les organisateurs ont-ils œuvré pour structurer ces démonstrations d’enthousiasme ? Sont-ils allés jusqu’à payer des participants ? Difficile de trancher. Une publication d’un utilisateur indien d’Instagram, qui s’affiche aux événements des Argentina Fans Qatar, porte ainsi la mention « partenariat rémunéré ». Il n’y promeut aucun produit, simplement son départ pour le Mondial pour y soutenir la sélection albicéleste.

Un influenceur indien exprime son soutien à l'équipe d'Argentine et annonce son arrivée au Qatar, le 4 juin 2022, dans une publication signalée comme un "partenariat rémunéré" par Instagram. (IAMRIFAD / INSTAGRAM)

Rémunérer certains spectateurs ne serait pas inédit, explique à franceinfo Raphaël Le Magoariec, chercheur à l’université de Tours. « Acheter des gens pour mettre de l’ambiance, ça se fait. La culture qatarienne amène à ce type de pratiques », estime ce spécialiste, co-auteur de L’Empire du Qatar : le nouveau maître du jeu ? (éd. Les Points sur les i). Il dit l’avoir observé dans les tribunes de matchs d’Al-Duhail, un des clubs du championnat local, où des spectateurs originaires du Yémen ou d’Afrique de l’Est lui ont expliqué avoir été payés pour être présents. En 2014, des médias britanniques, dont le Guardian*, rapportaient des témoignages similaires en marge d’un tournoi de beach-volley. Que l’émirat ait à nouveau recours à ces méthodes pour le Mondial ne semble donc pas impossible. « Ils veulent que ce soit la plus belle Coupe du monde de tous les temps, ils vont tout faire pour que ce le soit à leurs yeux », analyse Raphaël Le Magoariec.

A cet historique s’ajoute une confusion avec une autre accusation pesant sur le Qatar avant ce Mondial 2022 : des supporters assurent avoir été approchés par les organisateurs pour poster des messages positifs sur le déroulement de la compétition, en échange d’invitations tous frais payés. Trois fans français ou belges ont témoigné auprès de franceinfo. Le comité d’organisation explique simplement avoir voulu créer un réseau de fans pour communiquer auprès du public aux quatre coins du monde. Il s’agit, quoi qu’il en soit, d’une campagne visant des supporters originaires des pays qualifiés pour le tournoi.

Leur présence ne dit pas grand-chose du succès de ce Mondial

La présence de ces groupes de supporters, encouragée ou non par le Qatar, ne permet pas vraiment de présager de l’affluence dans les stades quand la compétition débutera. Mi-octobre, le président de la Fifa* affirmait avoir vendu 2,9 millions de billets, dont 63% hors du pays hôte. Des fans qui, en toute logique, n’étaient pas arrivés une semaine avant le match d’ouverture. « Les organisateurs veulent juste mettre de l’ambiance avant que les gens arrivent. Ça ne va pas être ça pendant tout le Mondial », estime Raphaël Le Magoariec.

Spécialiste de l’histoire sportive des pays du Golfe, il ne s’attend pas non plus à ce que le public local soit invisible lors de cette compétition : « Les Qatariens connaissent bien le football. Il y a vraiment un engouement à l’échelle locale, je ne m’en inquiète pas trop. » Outre les immigrés indiens, le chercheur estime que les expatriés originaires de Syrie, d’Egypte ou du Maghreb, des régions passionnées de football, devraient contribuer à l’ambiance. Pour savoir si le Qatar a besoin de « faux supporters » pour remplir ses stades, il faudra donc attendre qu’ils ouvrent leurs portes, à partir du dimanche 20 novembre.

* Tous ces liens renvoient vers des contenus en anglais

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