« Des images très violentes existaient et elles ont été effacées sept jours après les faits, pourquoi n’ont-elles pas été réquisitionnées ? » La question du sénateur socialiste David Assouline illustre l’incompréhension qui s’est répandue sur les bancs du Sénat, jeudi 9 juin, après l’audition du directeur des relations institutionnelles de la Fédération française de football (FFF), Erwan Le Prévost.
Ce dernier a en effet révélé que les images de vidéosurveillance du Stade de France concernant la finale de la Ligue des champions, le 28 mai à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), avaient été « automatiquement détruites », alors que l’enchaînement exact des événements au cours de cette soirée chaotique fait toujours débat. Retour sur cette nouvelle polémique, qui survient au cœur d’un dossier déjà sensible.
Quelles sont les images concernées ?
« Présent au PC sécurité » le soir des événements, Erwan Le Prévost a affirmé avoir pu visionner des « images extrêmement violentes », captées en direct par les 220 caméras privées du Stade de France. Les caméras de vidéosurveillance filment les gradins, ainsi que les abords immédiats du stade, des escaliers jusqu’aux grilles, a expliqué une source judiciaire à France Télévisions. Selon les informations de franceinfo, on pouvait principalement y voir des bagarres entre des supporters et des stadiers, à l’entrée immédiate du Stade de France, aux tourniquets et aux consignes.
Les images de vidéosurveillance de la RATP ont elles aussi été effacées, a affirmé l’entreprise au Parisien, là encore faute de réquisition judiciaire. La RATP (qui exploite la ligne 13 du métro, desservant le Stade de France) ne conserve ces images que pendant 72 heures, délai à l’issue duquel elles sont automatiquement écrasées par les nouveaux enregistrements.
Après avoir annoncé que les images des RER D et B avaient été effacées, la SNCF a finalement expliqué qu’elles avaient été conservées. « L‘effacement automatique des images a été bloqué et les images ont été conservées, comme l’autorise la législation, pour une durée de 30 jours », a exposé un porte-parole à l’AFP.
La préfecture de police a affirmé dans un tweet que les images des caméras situées sur la voie publique n’avaient pas non plus été effacées. Celles-ci sont « à la disposition de la justice », a précisé la préfecture.
#StadeDeFrance | Les images en possession de la @prefpolice sont évidemment toujours à la disposition de la justice, dans le cadre de réquisitions dressées dans une enquête pénale. Ne confondons pas images de la police et images d’un opérateur privé. pic.twitter.com/FFeZmRZ2FZ
— Préfecture de Police (@prefpolice) June 9, 2022
Pourquoi n’ont-elles pas été conservées ?
« Les images sont disponibles pendant sept jours. Elles sont ensuite automatiquement détruites. On aurait dû avoir une réquisition pour les fournir » aux autorités, a détaillé Erwan Le Prévost lors de son audition devant les sénateurs. Pourtant, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) rappelle sur son site que « la durée de conservation des images issues d’une caméra filmant la voie publique ou un lieu ouvert au public […] ne doit pas dépasser un mois. »
Pourquoi les images de vidéosurveillance des caméras du Stade de France ont-elles donc été supprimées après seulement une semaine ? « Le Stade de France prévient dans ses contrats qu’il ne peut garder les images dans ses serveurs que sept jours. Cela coûte très cher de les stocker très longtemps », a expliqué le sénateur socialiste David Assouline, vice-président de la commission d’audition du Sénat, au micro de franceinfo. « La loi dit un mois, mais eux les stockent sept jours, donc tous les acteurs qui contractent avec le Stade de France le savent », a-t-il ajouté.
« Les images s’écrasent toutes seules dans le délai qui est imparti par la loi. Si le procureur de la République ne fait pas de réquisition, évidemment, elles disparaissent », a confirmé le sénateur Les Républicains François-Noël Buffet, président de la commission des lois du Sénat.
Qui aurait dû les réclamer ?
La justice avait donc sept jours pour saisir les images des 220 caméras de vidéosurveillance du Stade de France. Le parquet de Bobigny a ouvert une enquête, le 31 mai, sur la « fraude massive aux faux billets » à la suite d’un signalement du préfet de police, mais pas sur les violences aux abords du stade. « Nous sommes surpris, le préfet a saisi la justice très rapidement, il y a eu largement le temps de saisir [ces images], il faut qu’on comprenne ce qui s’est passé », a déclaré à l’AFP le président de la commission sénatoriale de la culture, de l’éducation et de la communication, Laurent Lafon (Union centriste).
Un officier de police judiciaire chargé de l’enquête a finalement réclamé jeudi soir, sur demande du parquet de Bobigny, la saisie des images de vidéosurveillance du Stade de France, a appris France Télévisions de source judiciaire, confirmant une information du Monde (abonnés). Une requête effectuée quelques heures après que la destruction des images a été rendue publique. La demande risque donc d’être infructueuse.
Cette source judiciaire justifie l’absence initiale de saisie de ces images par le fait que les caméras du stade filment uniquement l’intérieur et les abords immédiats du stade. Or, toujours selon cette source, les faits de violence qui se sont produits lors de la finale de la Ligue des champions ont eu lieu plus loin. Elle regrette également que la FFF et ceux qui ont pu visionner ces images n’aient pas alerté la justice plus tôt s’ils y avaient vu des faits « violents ». Une partie des agressions dénoncées par des supporters et des interventions critiquées des forces de l’ordre se sont pourtant déroulées à proximité de ces grilles, qui apparaissent sur beaucoup d’images amateur.
Vendredi, le parquet de Bobigny a finalement annoncé avoir ouvert une seconde enquête pour « vols », « vols aggravés » et « violences aggravées », et l’avoir confiée au commissariat de Saint-Denis.
Un oubli ou un raté intentionnel ?
Le sénateur Michel Savin, président du groupe d’études consacré aux grands événements sportifs, s’est fendu d’un communiqué mettant en cause le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, lui aussi présent au PC sécurité le soir de la finale de la Ligue des champions. Dans son communiqué, Michel Savin s’est dit « extrêmement choqué » que les images n’aient pas été réquisitionnées « alors que le ministre Darmanin s’était pourtant engagé à nous les fournir » lors de son audition le 1er juin.
Pierre Barthélemy, avocat de groupes de supporters, dénonce« une dernière tentative de garder une zone de flou », une manœuvre « pour couvrir ce faux argument des faux billets ». Une vision que partage Bruno Retailleau, chef de file des sénateurs Les Républicains, pour qui « tout porte à croire qu’on a sciemment laissé détruire des pièces à conviction compromettantes ». Marine Le Pen a elle aussi accusé Gérald Darmanin d’avoir voulu « couvrir » des « mensonges énormes ». « Ça s’appelle couvrir ses traces » a-t-elle réagi sur BFMTV.
Le sénateur David Assouline, interviewé au micro de franceinfo, a déploré quant à lui un « manque de coordination (…) incroyable » mais a cependant rappelé qu’« il n’y a[vait] pas de bouton ‘effacer’. « J’espère qu’on va apprendre qu’un informaticien pourrait restituer ces images qui ont été effacées », a-t-il ajouté. Outre-Manche, le maire de la métropole de Liverpool, Steve Rotheram, qui était lui aussi auditionné au Sénat et présent dans le stade le soir du match, a déploré la suppression des images de vidéosurveillance et a déclaré qu’il « ne parvenait pas à comprendre pourquoi elles avaient été détruites ».
Toutefois pour Aurore Bergé, présidente déléguée du groupe LREM à l’Assemblée nationale, la suppression de ces images de vidéosurveillance ne devrait pas entraver l’enquête. « On a suffisamment d’éléments », notamment des images « tournées de multiples fois, et par les journalistes et par des supporters », a-t-elle assuré. « Les images, vous les avez, elles existent, et on a énormément de témoignages et d’images qui devraient permettre quand même d’éclairer » les enquêteurs, a-t-elle estimé sur RMC.
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