Depuis quatre jours, les meilleurs grimpeurs du continent se sont donné rendez-vous au Königsplatz de Munich pour les Championnats européens. En plein cœur de la ville, où Manon Hily a décroché le bronze en difficulté et Sam Avezou l’argent en bloc, les murs d’escalade changent constamment de visage. Entre les qualifications et la finale d’une épreuve (de bloc ou de difficulté) les grimpeurs ne s’attaquent jamais à la même voie ou au même bloc.
Ces modifications sont loin d’être le fruit du hasard. Tout est pensé dans les moindres détails par un petit groupe de travailleurs de l’ombre, les ouvreurs. Leur mission ? « Créer des voies et des blocs d’escalade en respectant tout un tas de contraintes », résume Rémi Samyn, ouvreur français présent à Munich. Il faut à la fois limiter les risques, doser correctement le niveau pour pouvoir départager les compétiteurs, proposer une certaine diversité pour les grimpeurs tout en assurant un show et une esthétique pour intéresser le public et les téléspectateurs. « Cela fait beaucoup de choses auxquelles on doit penser constamment », souligne l’Isérois de 38 ans, lunettes de soleil vissées sur la tête.
Passionné d’escalade, ouvreur depuis une vingtaine d’années, Rémi Samyn a commencé à travailler sur les compétitions internationales en 2012. « C’est un vrai travail d’équipe. Chaque compétition rassemble quatre à huit ouvreurs pour concocter les voies et les blocs. » Pour les Championnats européens, ils sont arrivés cinq jours avant le début officiel de la compétition.
La préparation des murs se découpe en différentes phases. « La première est de penser les tracés en petit groupe. Un ouvreur met un tracé en place et on le teste, avant que d’autres ouvreurs s’essaient à leur tour sur ce même passage », explique Rémi Samyn. Commence alors une phase de réglages pour réajuster le niveau en fonction des retours des différents collègues. « Il arrive très souvent que l’idée de départ ne fonctionne pas, c’est toujours un pari », sourit le Tricolore, qui confie pouvoir passer jusqu’à cinq heures sur la configuration d’un bloc.
Les ouvreurs opèrent à l’envers, en se concentrant d’abord sur les tracés des finales, puis des demies et ainsi de suite. Une fois calées sur les murs, les prises sont marquées, photographiées et stockées jusqu’à l’épreuve en question. « Mais rien n’est gravé dans le marbre : au fur et à mesure de la compétition, on peut faire des ajustements », précise le Français, ancien responsable de bloc de l’équipe de France. Dans son milieu, la précision est extrêmement importante « car la moindre prise tournée d’un centimètre à gauche peu complètement changer la donne sur une voie ou un bloc, en devenant inaccessible, voire dangereuse. »
Reconnaissables grâce à leurs t-shirts noirs floqués « officials », les ouvreurs sont ceux qui passent le plus de temps sur le site de la compétition. « On observe toute la journée les passages des grimpeurs et quand la compétition se termine, on se met réellement au travail », raconte l’ouvreur. Dans le haut niveau, l’escalade se pratique à vue. Les grimpeurs ne doivent avoir aucune information sur les tracés qui les attendent. Rémi Samyn et ses collègues travaillent donc cachés, à l’abri des regards. « Il arrive souvent qu’on finisse de caler les prises à des heures très tardives. » Les blocs des qualifications des femmes ont ainsi été posés dans la nuit.
S’il est capable de réaliser des bouts de voie du tracé qu’il a conçu, Rémi Samyn ne pourrait pas « tout enchaîner comme le font les grimpeurs ». « On a également un nombre d’essais et un temps illimités, et contrairement aux athlètes, on a connaissance de la voie. Ce sont de très gros avantages », poursuit l’ancien membre de l’équipe de France. « L’ouvreur qui voudrait se comparer aux grimpeurs internationaux n’a rien compris à son métier. »
Pour Rémi Samyn, la créativité représente la base de son travail. Les ouvreurs sont souvent qualifiés « d’artistes de l’escalade », une comparaison juste selon le Français. « A l’instar d’un peintre face à une toile blanche, on met des couleurs sur nos murs, du mouvement, de la 3D, décrit le trentenaire avec ses mains. Comme dans le monde du cinéma, on créé des scénarios. On choisit l’ordre des blocs pour raconter une histoire, dont les grimpeurs sont les acteurs principaux. »
Malgré la partie de calcul nécessaire pour tracer des voies réalisables et sans danger, les ouvreurs sont souvent « des rêveurs, avec chacun un style de prédilection ». « On a un côté freestyle, ce qui nous permet de créer de la nouveauté. Il n’y a jamais deux tracés similaires, les combinaisons sont infinies, même en prenant toujours les mêmes prises. »
Vivre en tant qu’ouvreur reste le privilège d’un cercle restreint. « On doit être environ 35 à ouvrir dans les compétitions internationales, mais des centaines de professionnels le font au niveau national », estime Rémi Samyn, prenant en compte ceux qui travaillent pour des salles privées, un secteur en pleine ascension. Ce petit milieu tend donc à s’agrandir, notamment depuis l’introduction de l’escalade aux Jeux olympiques.
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