La filature sur les traces du « meilleur public du monde » du football féminin commence dès l’aéroport. A peine arrivé à Manchester que deux bobs orange dépassent de la file d’attente des douanes. Maillot orange tapageur sur les épaules, claquettes-chaussettes assorties et tour de cou aux couleurs des Pays-Bas, les Néerlandais ne passent pas inaperçu sur cet Euro 2022. Opposée à la France en quart de finale à Rotherham, le 23 juillet 2022, la vague orange a déferlé en Angleterre.
Et le moins que l’on puisse dire, c’est que le match dans les tribunes n’aura pas lieu. 6 000 supporters néerlandais sont attendus ce soir contre à peine 400 français. Le titre européen de 2017, à domicile, des Néerlandaises a fait figure d’étincelle et a lancé un engouement populaire pour l’équipe nationale féminine. On a cherché à percer leurs secrets.
Après s’être toisés du regard, la famille néerlandaise lâche un grand sourire dans le hall de l’aéroport à la vue de supporters tricolores. Sur le terrain, les deux pays sont peut être adversaires, mais d’ici là, les Néerlandais sont bien décidés à faire la fête avec toute âme volontaire. A peine le temps d’alpager un « cab », ces petits taxis britanniques, qu’on les a déjà perdu de vue. « Depuis ce matin, je ne fais que des aller-retour vers Sheffield », avance prudemment le chauffeur de taxi. Ni une, ni deux, on saute dedans pour suivre la trace de ces auto-proclamés « meilleurs supporters du monde », annoncés en nombre pour le quart de finale du soir.
La suite se déroule à 1h30 de route, dans la campagne anglaise. Mais dans le Peak District National parc, aucune tache orange ne s’annonce à l’horizon. Tout juste distingue-t-on quelques moutons solitaires. Et puis on les voit. Six taches orange au loin. A leur hauteur, le taxi met un coup de frein et abaisse la fenêtre. Fausse alerte : « On est orange parce qu’on fait des travaux. Mais depuis ce matin on se fait klaxonner régulièrement par des voitures qui nous prennent pour des supporters ». Le orange pétaradant nous a mis sur la mauvaise piste. Il faut continuer encore jusqu’à la bourgade de Rotherham, après un passage express par l’hotel : « On est surbooké. Depuis ce matin, ça défile. C’est bien économiquement pour Rotherham et toutes ces petite villes de 250 000 âmes, à peine, qui accueillent les matchs ». Mais sans aucune preuve, on commence à douter de cette vague déferlante.
Mais au moment de descendre du tramway, tout s’éclaire. La ville entière est envahie de lutins oranges, qui campent dans le village depuis le petit matin. Un orange flashy décliné en attirail de toute sorte : bob, casquette, sweat, costume trois pièce et même chapeau en forme de roue de formage. Pas de doute, on les a trouvé. La fan-zone a pris des airs de fête nationale batave. Difficile de déceler des maillots tricolores dans cette mêlée. Les vendeurs à la sauvette distribuent à tour de bras leurs écharpes : « Pas beaucoup pour la France, beaucoup pour les Pays-Bas », compare Mary depuis son stand sur la place.
Bien en évidence, un bus à impériale orange stationne. On y sert l’apéritif. Orange lui aussi, évidemment. « On fait tous les matches avec le bus » explique Henk Van Beek, grand néerlandais a la barbe proéminente et au large sourire. Avec 20 ans de métier à supporter l’équipe féminine, Henk les suit aussi physiquement depuis 2014 : « On fait absolument tous les matches de l’équipe nationale. On ne se concentre pas sur le fait que ce soit du football féminin, ni sur le titre de meilleurs supporters. On fait surtout ce qu’on aime dans cette super ambiance« .
Mais l’Euro 2017 a irrémédiablement marqué un tournant dans l’engouement de l’équipe nationale. « Gagner après ce parcours, chez nous, ça a créé quelque chose de très fort. Tout à coup les gens se sont mis à vibrer et suivre l’équipe nationale féminine. Ca s’est accompagné aussi d’une meilleure valorisation pour les joueuses, de professionnalisme et donc de supporters », ajoute le Néerlandais. Et l’engouement prend depuis le plus jeune âge. Leenard Verke est venu avec ses deux petites filles, Isa et Lova, 8 et 7 ans, depuis Rotterdam. « Ce sont elles qui voulaient venir. Moi je n’avais jusqu’à présent suivi que des matchs de l’équipe nationale masculine ou des filles mais en clubs, pas de l’équipe nationale. Mais la petite dernière est à fond alors on est venu ».
Un peu à l’écart, on retrouve enfin quelques Français. Lola Melkonian, Jenny Yriarte et Mélanie Touzet jouent au même club à Paris. Voilà des mois qu’elles ont misé sur la présence des Bleues en quart pour prendre leurs billets. « Ça nous fait super plaisir d’être ensemble ici ! On a posé notre vendredi pour pouvoir venir ce week-end aux quarts de finale. Mais c’est vrai qu’il n’y a pas beaucoup de Français. C’est dommage que l’engouement de 2019 n’ai pas tenu », expose Lola Melkonian. Jenny elle suit l’équipe de France depuis le Mondial 2011 : « C’est sûr qu’il y a eu un développement de l’équipe de France, ça n’a rien à voir. Elles sont plus connues individuellement et plus médiatisées. Mais on n’est pas encore à hauteur des Pays-Bas en terme de moyens. »
Chantal Dejou, ancienne joueuse amateure dans les années 70, observe elle aussi ces évolutions depuis les États-Unis où elle vit : « On n’est pas très nombreux mais l’ambiance est formidable ! On va rester pour les quarts, les demies et la finale ! On espère les voir aller loin. Au moins on fait la fête tous ensemble, Français et Néerlandais ».
Du meilleur public du monde au public de tout le monde, il n’y avait qu’un pas. Reste que sur les terrain, les Françaises peuvent se hisser en demi-finale pour la première fois de leur histoire à l’Euro. Leur épopée européenne pourrait, comme pour les Néerlandaises, porter avec lui un élan pour le développement du football féminin.
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