Jérome Dupire, président de Cap Game et Stephane Laurent, responsable de Cap Game Testing, le 2 novembre 2022, à la Paris Games Week. (Louise Le Borgne)

Jouer à une main ? En duo avec des manettes adaptées et des contrôleurs aux pieds ? Ou bien encore en inspirant et expirant dans des tubes pour mouvoir les joueurs sur Fifa ? Autant de manières de jouer aux jeux vidéo présentées au grand public, par l’association Cap Game, lors de la Paris Games Week qui s’est tenue du 2 au 6 novembre.

L’objectif affiché est de sensibiliser les joueurs et de pousser les entreprises à intégrer des options d’accessibilité dans leurs jeux. En France, 20% de la population est en situation de handicap selon la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) et, à l’échelle de la communauté des gamers, plus d’1 million de joueurs ont des besoins spécifiques. Mais ces configurations ne sont, pour le moment, pas autorisées sur les compétitions d’esport. Pour les joueurs en situation de handicap, c’est un parcours du combattant.

« Avant 2017 on criait dans le désert. Depuis, de grandes entreprises du jeu vidéo nous contactent, car on est quasiment les seuls en Europe à s’être emparés de ce sujet », confie Jerome Dupire, président de l’association Cap Game qui agit pour que la pratique compétitive des jeux vidéo soit accessible aux joueurs en situation de handicap. Un pull jaune « organisation adaptabilité » sur les épaules, le chercheur au Centre d’études et de recherche en informatique et communications, s’active sur le stand de l’association à l’occasion de la Paris Games Week. 

Un peu plus loin, Tiago, 9 ans, en fauteuil roulant, teste un nouveau jeu de voiture. « Il adore ça. L’adrénaline, le frisson. Il n’a pas besoin d’adaptation spécifique puisqu’il a un total usage de ses mains, mais certains jeux ne sont pas accessibles. L’esport, pour le moment, je ne lui en parle pas. J’aurais peur qu’il accroche trop et qu’il y passe trop de temps ! », sourit son papa.

Si l’accessiblité n’était auparavant pas abordée dans la conception des jeux vidéo, une loi américaine passée sous la présidence de Barack Obama en 2017 a changé la donne. « Le Twenty-First Century Communications and Video Accessibility Act (CVAA), impose l’implication des sociétés pour rendre la communication et l’information de leurs produits accessibles. Indirectement, elle a concerné l’industrie du jeu vidéo à partir de 2018″, expose Stéphane Laurent du blog Cap Game Testing.

Sur le stand de Cap Game, un jeune garçon essaye de diriger sa voiture avec un dispositif dirigé du menton, le 2 novembre 2022 à la Paris Games Week. (Louise Le Borgne)

Aujourd’hui, la dynamique est enclenchée : des joueurs handicapés sont engagés dans le processus d’élaboration des jeux vidéos, des modes sous-titrés sont presque systématiquement intégrés et on commence à voir des options de colorimétrie pour les daltoniens. Des jeux ont également porté un intérêt particulier aux sons. « Les aveugles bottaient les fesses aux autres joueurs sur ‘The last of us' », lâche sourire aux lèvres Jerome Dupire, qui a organisé des compétitions d’esport inclusives en 2018, lors de la Paris Games Week. 

« Mais l’adaptabilité des jeux dépend aujourd’hui de la sensibilité du développeur. Uncharted 4 intègre par exemple des options motrices depuis longtemps, Fifa et les jeux Pegi 3 ont aussi beaucoup d’options d’adaptation », énumère Stéphane Laurent, du blog Cap Game Testing. Au-delà de ces quelques bons élèves, l’adaptabilité des jeux n’est pas encore normalisée et les barrières – de console, de game design, d’accessibilité – freinent le décollage de l’esport, en amateur ou professionnel, parmi les personnes en situation de handicap.

Les handigamers s'emparent également de la réalité virtuelle sur le stand d'Eva, une entreprise d'esport en réalité virtuelle, à la Paris Games Week, le 2 novembre 2022. (Louise Le Borgne)

En France, les avancées pour rendre les jeux accessibles sont frileuses. Un texte fait la navette depuis plus d’un an à l’Assemblée nationale, « mais son contenu a été très dilué… Pour que l’accessibilité devienne la norme, nous avons besoin d’une vraie impulsion politique« , s’impatiente le président de Cap Game. 

Autre frein à la pratique de l’esport : le matériel coûte très cher. Comptez 1 500 euros pour une console « au souffle » dédiée aux tétraplégiques, 100 euros pour la console adaptative Xbox et 100 euros pour le kit de contacteurs. Un budget et des contraintes logistiques qui ont pu freiner certains clubs d’esport.

Une fois les jeux rendus accessibles, l’enjeu est d’ouvrir le champ de la compétition, notamment à haut niveau, aux personnes en situation de handicap. « On a découvert l’esport presque par hasard sur la Paris Games Week, et on s’est dit qu’il y avait quelque chose de vraiment intéressant. Nous voulons, dans l’association, travailler sur l’aspect réglementaire de l’esport. Mais, pour le moment, on est au niveau 0″, pointe Jerome Dupire. 

Principal problème : le contrôleur. Ce dernier doit être maîtrisé par le joueur pour participer au championnat. Or, si le jeu se joue avec une gâchette et une souris, il faut donc pouvoir maîtriser ces éléments. L’organisateur de la compétition fournit en effet le même matériel aux joueurs afin d’éviter toute triche ou avantage. Les équipements adaptés des handigamers ne sont donc pas reconnus.

La console de Xbox adaptative permet de brancher des contacteurs de sorte à la rendre accessible au plus grand nombre, le 2 novembre 2022, à la Paris Games Week. (Louise Le Borgne)

« A partir de quand ces apports techniques sont-ils un avantage ? Quelle est la part d’expertise ? Personne ne sait le dire, les installations sont différentes en fonction de la personne, et donc pour le moment les handigamers se font rares dans l’esport. »

Jérôme Dupire, président de l’association Cap Game

à Franceinfo: sport

La gameuse française Jennifer « Amelitha » Gomes, spécialisée en jeux de combat et atteinte d’une paralysie partielle de la main et du bras, en a fait les frais. Accueillie en grande pompe par la team Rebird, la gameuse a finalement jeté l’éponge. En cause, un temps de jeu trop faible et un espace de travail inadapté.

Au sein du stand d'une écurie de esport, le 2 novembre 2022, à la Paris Games Week. (Louise Le Borgne)

Aujourd’hui, plusieurs joueurs en situation de handicap bénéficient d’une renommée conséquente comme Toucouille ou BrolyLegs. La fédération française de handisport a, de son côté, investi le champ de l’esport et s’est rapproché des associationsMais ces joueurs demeurent l’exception et sont rarement intégrés dans les équipes professionnelles. 

« Les choses évoluent lentement, l’intégration de joueurs en situation de handicap dans les équipes d’esport passera également par une meilleure prise en compte de ces joueurs dans l’industrie du jeu vidéo » conclut Jerome Dupire dans les allées de la Paris Games Week.

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