A quelques jours du départ, le village de la Route du rhum fourmille. A Saint-Malo, lundi 31 octobre, les visiteurs sont venus en nombre pour observer les bateaux qui s’élanceront, mardi 8 novembre ou mercredi 9 novembre, vers la Guadeloupe, à destination de Pointe-à-Pitre, lors de la 12e édition de la plus célèbre des transatlantiques en solitaire.
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Le long des quais, se côtoient des grands noms de la voile, comme François Gabart, Armel Le Cléac’h, Yannick Bestaven ou Roland Jourdain pour ne citer qu’eux, mais aussi des amateurs, plus ou moins anonymes, passionnés de voile et de courses au large. Parmi les 138 skippers engagés – un record dans l’histoire de la transat – 38 sont des amateurs très éclairés.
Jean-Sébastien Biard en fait partie. Ce gérant d’une société de déménagement à Rennes (Ille-et-Vilaine) va vivre sa première Route du rhum et sa première expérience à travers l’Atlantique. « J’ai assisté aux onze précédents départs, le premier je n’avais pas huit ans. Depuis les deux trois dernières éditions, je m’imagine sur le départ et j’ai finalement franchi le pas en décembre dernier, juste après avoir fêté mes 50 ans », confie ce Malouin, qui espère fêter son prochain anniversaire, le 15 novembre, en mer.
Le déclic est immédiat et sa détermination immense. Avant même que l’organisation ne valide son inscription, Jean-Sébastien Biard décide de partir en mer en janvier pour réaliser son parcours de qualification de 1200 miles, soit près de 2000 km. « J’étais convaincu que pour avoir une chance d’être sélectionné, il fallait que je prenne les devants, et que je montre de quoi j’étais capable », estime-t-il. Le pari est gagnant puisqu’il reçoit une invitation de l’organisation.
Jean-Sébastien Biard entre alors dans la cour des grands. Son fidèle bateau de plaisance, qu’il possède depuis sept ans, doit subir quelques transformations. « On l’a allégé pour le rendre moins fragile, on a enlevé les portes, des placards. On l’a aussi rendu plus fiable pour me permettre de finir cette course », explique celui qui sera à la barre de JSB déménagements, le plus petit bateau de la flotte, en classe Rhum mono.
Afin d’être prêt pour le départ, ce chef d’entreprise a dû « casser sa tirelire » pour lancer son aventure, à commencer par ses droits d’inscription à hauteur de 8 000 euros, pour un budget global d’environ 150 000 euros, hors coût du bateau. A titre de comparaison, les budgets pour les Class40 se situent entre 300 et 500 000 euros, les Imocas entre 2 et 2,5 millions et les Ultims, où les budgets sont les plus élevés, entre 3 et 3,5 millions d’euros.
En parallèle de ses économies, Jean-Sébastien Biard a donc dû se lancer dans une recherche de sponsors pour entrer dans ses frais. « Sur une même journée, on change plusieurs fois de casquettes entre celle du chef d’entreprise et du skipper. C’est vraiment particulier parce qu’on ne peut pas être à 100 % d’un côté ou de l’autre, ce qui est peut-être la difficulté des amateurs », reconnaît Jean-Sébastien Biard, qui regrette de ne pas avoir pu plus naviguer. Sans parler des soutiens logistiques à terre qui sont moins importants pour les amateurs. Car quand Jean-Sébastien Biard n’a aucune équipe réellement constituée sur le continent, Yannick Bestaven a lui une équipe d’une vingtaine de personnes.
Laurent Camprubi, styliste en chaussures de 62 ans basé au Portugal, jongle lui aussi entre son métier et sa préparation. « Ce qui est très dur, et ce qui représente la grosse différence avec les professionnels, c’est le manque de récupération. Une fois la navigation terminée, une deuxième journée commence avec la gestion de notre travail », reconnaît le Marseillais, engagé en class40 sur Glaces Romane, l’une des classes au plateau le plus relevé.
De son côté, Loïc Escoffier, marin pêcheur devenu armateur de pêche, n’a pas eu de souci pour concilier ses deux vies. « Les débuts de semaine, et les matins entre 5 et 9 heures, je m’occupe de la pêche, puis ma femme reprend le flambeau, ce qui me permet ensuite de me consacrer à mon entraînement avec mon équipe sur le reste de la journée, à l’exception du dimanche, que je garde pour ma famille », explique le frère de Kevin Escoffier et fils de Franck-Yves, qui vise un podium en Rhum multi avec Lodigroup. Un rythme intense qui n’a jamais découragé ce navigateur aguerri.
« Quand on fait vingt ans de pêche embarquée soit 300 jours par an sur l’eau, entre 15 et 20 heures par jour, c’est que du bonheur de vivre ce que je vis. »
Loïc Escoffier, skipper amateurà franceinfo: sport
Si Jean-Sébastien Biard et Laurent Camprubi participeront pour la première fois à la Route du rhum, Loïc Escoffier prendra lui le départ pour la deuxième fois. « J’ai participé à ma première Route du rhum en 2006. J’avais 23 ans et j’étais le plus jeune en Trimaran à être engagé sur cette course, que j’ai terminé quatrième [en Multi50] », se souvient Loïc Escoffier, habitué aux courses au large. « Sur les autres courses que j’ai faites, j’ai déjà côtoyé des Franck Cammas, Loïck Peyron et Michel Desjoyeaux, et ça m’arrivait même de finir devant eux sur des petits parcours, alors on va essayer de finir devant eux sur un grand parcours cette fois », sourit-il.
Se confronter aux meilleurs skippers est bien ce qui attend les amateurs. Et malgré une professionnalisation et un niveau toujours plus élevé, l’essence même de cette compétition reste intacte chez ces skippers passionnés. « Lors de la Route du rhum, il y a plein de projets variés, de l’élite des skippers aux amateurs éclairés. Le grand public qui passe devant les bateaux peut autant rêver devant les ultims que devant des plus petits bateaux d’amateurs. C’est ce qui fait le charme de cette course », témoigne Loïc Escoffier.
Un point de vue partagé par Yannick Bestaven, vainqueur du Vendée Globe 2020-2021. « C’est très bien de mélanger les genres et les expériences, les amateurs et professionnels. C’est d’ailleurs important de ne pas être trop élitiste et que tout le monde ait sa place. Et s’ils sont là, c’est qu’ils partagent avec nous l’amour de la voile et de la course au large. »
Pour d’autres encore, il s’agit même d’un « aboutissement ». « L’an passé, j’ai fait la Jacques Vabre pour la première fois et je suis tombé amoureux de la class40. La Route du rhum, qui est LA course mythique, était une suite logique dans mon parcours. C’est une motivation incroyable, dure à expliquer. C’est transcendant », livre Laurent Camprubi, qui après un chavirage en août dernier, a revu son objectif à la baisse, faute de navigation. D’un top 20 espéré, il souhaite à présent « simplement aller au bout, naviguer proprement, avec une belle stratégie, car être au départ est déjà une grande victoire. »
« Côtoyer les plus grands skippeurs, qui pour certains ont déjà réalisé plusieurs tours du monde à la voile, est une expérience très riche pour nous, les amateurs. »
Jean-Sébastien Biard, skipper amateurà franceinfo: sport
« C’est ce qui fait la magie de cette course, et qui contribue à son succès populaire, estime à son tour Jean-Sébastien Biard, qui lui vise un objectif de 24 jours, soit le record pour un bateau de plaisance, établi en 1982, d’autant plus que le village se clôture le 4 décembre. Pour avoir été des deux côtés de la barrière, je me rends compte que les gens s’identifient à mon projet, pas pour le côté performance, mais pour le côté osé de cette aventure. »
Car pour ce « plaisancier que je suis et que je reste », prendre le départ de la Route du rhum est un « rêve de gosse » devenu réalité. « Quand il a reçu sa veste officielle, on aurait dit un gamin qui ouvre son cadeau de Noël, rit son gendre Thibaut Huet, qui s’est occupé des visites du bateau la semaine avant le départ. D’ailleurs, il ne quitte même plus sa chemise floquée du logo de la transat. » Dimanche, le rêve prendra vie pour tous ces amateurs et restera, à coup sûr, l’une des plus belles expériences de leur existence.
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