Entre 2006 et 2021, le nombre d’enseignants d’allemand dans l’Hexagone a été divisé par presque deux. Une dynamique qui inquiète, en totale contradiction avec les discours politiques prônant l’amitié entre Paris et Berlin.
À quelques semaines des 60 ans du Traité de l’Élysée, qui en 1963 a scellé la réconciliation entre Paris et Berlin, l’amitié franco-allemande aurait-elle du plomb dans l’aile? Si l’on se fie aux données relatives à l’enseignement de l’allemand en France, la situation est en tout cas inquiétante.
Les résultats du dernier Capes d’allemand, qui fournit le principal vivier de professeurs de langue germanique dans l’Hexagone, font état de 72% de postes non pourvus en 2022, dans un contexte généralisé de pénurie de professeurs.
« Cela fait des années que nous voyons une évolution allant vers le bas se dessiner », soupire Ulrike Zahn, la présidente de l’Association pour le développement de l’enseignement de l’allemand en France (ADEAF). « Mais malgré cela, le choc a été important. »
Une rude concurrence avec l’espagnol
Certes, cette année était charnière pour le Capes. Si les étudiants passaient auparavant le concours en première année de master, ils doivent désormais s’y soumettre en deuxième année, conférant à 2022 des airs d’année blanche. Mais comme l’indique le ministère de l’Éducation, cela n’a pas empêché tous les postes d’être pourvus cette année en histoire-géographie, en espagnol ou en SVT.
En réalité, la tendance est bien plus profonde pour l’allemand. Entre 2006 et 2021, le nombre de professeurs dans les établissements publics a été presque divisé par deux: de 10.189 professeurs, on est passé à 5801 en 2021, selon les chiffres transmis par l’ADEAF. Pendant ce temps, le nombre de germanistes a pourtant augmenté dans l’enseignement primaire et secondaire, passant de 625.909 à 803.292 élèves apprenant la langue.
Un professeur d’allemand a donc désormais sous sa responsabilité deux fois plus d’élèves qu’il y a 15 ans.
Mais même si en nombre, les germanistes progressent, le désamour des élèves pour la langue de Goethe se fait tout de même sentir: le pourcentage d’élèves apprenant l’allemand est en diminution depuis les années 1990. Les élèves du primaire et secondaire n’étaient que 14,7% à pratiquer la langue de nos voisins germaniques en 2021, contre 22,9% en 1995. À l’opposé de l’espagnol, passé de 28,9% à 58,3% d’adeptes sur la même période.
« La baisse de l’enseignement de l’allemand s’explique entre autres par des années et des années de concurrence avec l’espagnol, réputé comme langue plus facile et plus utile », avance Anne Tallineau, secrétaire générale de l’Office franco-allemand pour la Jeunesse (OFAJ).
« Nos élèves viennent tous d’un parcours social similaire », regrette l’ADEAF. C’est-à-dire souvent de milieux favorisés d’un point de vue financier ou culturel. « Les élèves qui choisissent l’allemand aujourd’hui sont soient extrêment motivés pour des raisons personnels, ou bien ont été forcés par leurs parents », reconnaît-on dans les rangs de l’association.
La réforme du collège dans le viseur
Derrière ce sinistre constat, plusieurs causes sont pointées du doigt. D’abord la réforme du collège menée en 2015, qui a supprimé la majorité des classes bilangues et européennes. Elles permettaient pourtant à des élèves de commencer une deuxième langue dès la 6ème. Elles ont été finalement rétablies en partie par Jean-Michel Blanquer en 2017. Trop tard?
« C’est cette réforme qui a tout fait basculer et qui a fortement touché les langues. Elle était présentée comme un progrès. Ça n’a pas été le cas. Ça a tout désorganisé », fulmine encore Thérèse Clerc, ancienne présidente de l’ADEAF et enseignante d’allemand.
Hélène Vinckel-Roisin, spécialiste de linguistique allemande moderne et responsable de la licence d’allemand à Sorbonne Université de 2013 à 2021, note qu’en 14 années de préparation au Capes, elle a vécu pas moins de trois réformes, rendant difficile le maintien d’une ligne claire concernant l’enseignement des langues vivantes dans le pays.
« Malgré les discours officiels, la dynamique depuis les années 2000 est celle d’une réduction drastique d’heures d’enseignement de l’allemand et de fermeture ou de non-ouverture de classes dans les collèges et lycées publics », souligne l’universitaire.
L’ADEAF alerte en parallèle sur les conditions d’exercice des professeurs déjà en poste. Katrin Goldmann, la vice-présidente de l’association, dit ainsi avoir été alertée sur le cas d’une professeure agrégée « qui devait travailler sur quatre établissements en même temps », sans compter qu’en plus des cours, « un enseignant d’allemand doit aller dans des classes de primaire pour promouvoir sa langue, organiser des voyages scolaires et des échanges ».
Si bien que désormais, en ce qui concerne le profil des candidats au Capes d’allemand, on est passé de jeunes germanistes passionnés à une majorité de personnes en reconversion professionnelle, très souvent dénuées de toute connaissance disciplinaire, note Hélène Vinckel-Roisin.
Un grand plan pour la relance de l’allemand réclamé
Si l’allemand n’a donc plus la côte en France, le constat est en complète contradiction avec le discours affiché par les dirigeants politiques, rappelant sans cesse l’importance de l’amitié franco-allemande. Lors du Conseil des ministres franco-allemand du 31 mai 2021 mené par Emmanuel Macron et Angela Merkel, 13 nouveaux projets de coopération ont été annoncés. En haut de la liste: « Développer une stratégie de promotion de la langue du partenaire. »
Un an plus tard, cette initiative est toujours au point mort. Contactée par BFMTV.com, l’ambassade d’Allemagne à Paris indique que « cette proposition conjointe, qui vise à mutualiser davantage la promotion de l’apprentissage des langues, devrait être finalisée et communiquée avant la fin de l’année », tout en se disant consciente « que les postes de professeurs d’allemand en France ne peuvent pas tous être pourvus ».
Hélène Vinckel-Roisin veut malgré tout se montrer positive. « La situation de l’enseignement de l’allemand est grave, mais pas désespérée », veut-elle tout de même croire. « Il faut sensibiliser le grand public aux enjeux du plurilinguisme et donner à l’école publique française les moyens budgétaires pour redynamiser l’enseignement de l’allemand au niveau national. »
Mais tout cela nécessite une volonté politique. À l’ADEAF, on n’a toujours pas digéré la rapide entrevue avec Jean-Michel Blanquer au début de sa prise de poste en 2017.
« Il nous a serré la pince et nous a dit: ‘dites-moi ce dont vous avez besoin, je vous dirai oui’. On n’a plus jamais eu de nouvelles”, grince-t-on encore dans les rangs de l’association.
Contacté, le ministère de l’Éducation nationale français n’a pas répondu à nos sollicitations.
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