Art, liberté, justice... Des professeurs de philosophie décryptent les sujets du bac

Ce mercredi, qu’ils relèvent de la filière générale ou de la filière technologique, les élèves de Terminale étaient appelés à plancher sur l’épreuve de philosophie. Plusieurs professeurs enseignant cette discipline nous ont livré leurs impressions.

Ils sont 523.199 et ce mercredi, ils étaient appelés à se plier à un examen qui est aussi un rite quasi-initiatique en France: l’épreuve de philosophie du bac. Qu’ils évoluent en filière générale ou technologique, l’ensemble des élèves de Terminale se sont vus proposer, respectivement, deux sujets de dissertation et quelques paragraphes à commenter.

Tandis qu’un passage d’Antoine-Augustin Cournot pour les premiers, de Diderot pour les seconds, étaient au programme de l’explication de texte, l’Éducation nationale a dévoilé les sujets de dissertation suivants. Pour la filière générale, le choix était offert entre « Les pratiques artistiques transforment-elles le monde? » et « Revient-il à l’État de décider de ce qui est juste? ».

En ce qui concerne, la section technologique, on pouvait plancher sur « La liberté consiste-t-elle à n’obéir à personne? », ou « Est-il juste de défendre ses droits par tous les moyens? ». BFMTV.com s’est tourné vers des enseignants de philosophie afin de dégager quelques éléments d’analyse éclairant chacune de ces problématiques.

• « Les pratiques artistiques transforment-elles le monde? »

« Un sujet assez classique », introduit Aïda N’Diaye, professeur de philosophie au lycée Alain du Vésinet, elle-même philosophe, chroniqueuse auprès de Philosophie Magazine et collaboratrice régulière de RadioFrance qui relève deux difficultés principales: « la formulation retenue – ‘pratiques artistiques’, alors qu’on aurait pu attendre ‘l’art’ ou encore ‘les oeuvres d’art’ – et puis la notion de ‘monde’ qui est très vaste ».

« Les candidats penseront-ils, par exemple, à parler de la politique, de la société mais aussi de la manière dont l’art peut avoir une influence sur nos modes de vie? » s’interroge-t-elle.

Sur notre antenne, l’essayiste Raphaël Enthoven, ex-animateur des Chemins de la philosophie sur France Culture, ajoute une autre possibilité:

« Transforme-t-on le monde de façon radicale ou notre regard sur le monde? Et à partir de cette alternative, on peut travailler sur une révolution artistique au XIXe siècle qui a consisté à trouver du Beau dans la laideur, des fleurs dans du mal, à modifier non pas le monde en lui-même mais le regard qu’on lui porte », développe-t-il.

Pour Georges*, professeur de philosophie dans un lycée des Pyrénées-Orientales, il s’agit aussi de ne pas négliger la notion de « transformation » en cours de route, comme il l’explique à BFMTV.com.

« S’il y a transformation, ça signifie que les termes de ‘monde’ et de ‘pratiques artistiques’ ne sont pas figés. Ce ‘monde-là’ en tant que réalité objective est-il transformable ? »

Relevant que le sujet a l’avantage de permettre de mobiliser l’ensemble du champ artistique, il poursuit: « La pratique artistique ressort de notre subjectivité, notre ressenti. En fait, le sujet interroge le rapport du subjectif, ‘Moi’, à un monde objectif. » Deux questions résument selon lui les enjeux en présence:

« L’art a-t-il une utilité autre qu’esthétique? Et ma pratique personnelle peut-elle transformer un monde perçu comme insensible, froid? »

La portée du geste artistique est donc au centre de ces questionnements. « L’art choque et interpelle, et en interpellant, il transforme », achève le Pyrénéen qui recommande de mentionner l’art conceptuel – comme les ready-made de Marcel Duchamp – ou un philosophe comme Georg Wilhelm Friedrich Hegel.

• « Revient-il à l’État de décider de ce qui est juste ? »

Aïda N’Diaye nous invite cette fois à considérer cette alternative: « C’est la question de la justice par rapport au politique, contre celle de la justice contre la morale ».

« Ici, c’est le rapport de l’État à la légalité et à la légitimité qui est interrogé. L’État décide… mais sa décision est-elle juste? Faut-il obéir aux lois, ou peut-on au contraire désobéir à la loi? », détaille Georges.

Parallèlement à ce jeu autour du concept de loi, pluriel ou singulier, il convient aussi de traiter « l’idée de servitude volontaire », pour l’enseignant pyrénéen qui note que le sujet permet de « mobiliser des sciences politiques, comme l’histoire, ou même l’économie ».

« Servitude volontaire », « sciences politiques », des notions qui, souligne-t-il, renvoient à quelques auteurs incontournables comme Etienne de La Boétie, Nicolas Machiavel, John Locke ou encore Jean-Jacques Rousseau.

• « La liberté consiste-t-elle à n’obéir à personne? »

Ce premier sujet proposé aux élèves de Terminale technologique peut paraître cousu de fil blanc. « C’est un peu le sujet de base sur la liberté », appuie d’ailleurs Aïda N’Diaye.

« C’est l’idée qu’il y a moins de liberté dans l’arrogance de celui qui croit penser seul que dans l’humilité qui sait qu’il n’en est rien », oriente pour sa part Raphaël Enthoven.

Georges alerte quant à lui: « L’écueil serait de ne travailler qu’autour de la liberté, alors qu’il faut aussi développer la notion d’obéisance, trop souvent connotée négativement et qui renvoie aussi à la contrainte ».

Le professeur synthétise pour nous: « L’enjeu, c’est le rapport de la liberté à autrui. Suis-je libre tout seul, ou dois-je prendre les autres en compte? » Au-delà, il remarque qu’il importe de se pencher sur le principe d’autonomie.

« En fait, n’obéir à personne est impossible, même si la ‘personne’ à laquelle j’obéis c’est moi », tranche-t-il.

Quant aux auteurs à enrôler dans sa copie? Il suggère à nouveau Jean-Jacques Rousseau qui a exploré l’idée d’une corruption de l’Homme par la société, Emmanuel Kant et son impératif catégorique ou encore l’existentialiste Jean-Paul Sartre.

• « Est-il juste de défendre ses droits par tous les moyens? »

Un dilemme qui apparaît cette fois « plus délicat à traiter » pour Aïda N’Diaye qui explique: « Il me semble que la mention ‘tous les moyens’ demande de penser la question de la violence qui n’est pas évidente à conceptualiser ».

De son côté, Georges égrène une liste de questions pour cerner le sujet:

« Qu’est-il possible de faire ou non en société? La justice est-elle en lien avec la vengeance, ou faut-il l’envisager du point de vue légal? »

Mais pour lui, la problématique doit amener le rédacteur à aborder des berges à la fois plus personnelles et métaphysiques: « Il faut lier le sujet au bonheur. Au fond, faut-il à tout prix arriver quelque part? Est-ce le processus qui compte, ou la destination? »

Toutefois, ce sont bien des philosophes politiques qui lui viennent spontanément à l’esprit: Machiavel là encore, mais aussi les penseurs anarchistes, comme un Pierre Kropotkine par exemple, auteur de la Morale anarchiste.

Le professeur conclut en nous faisant part de son appréciation globale de ces quatre dissertations: « J’en suis assez content, car toutes brassent l’ensemble des concepts enseignés durant l’année. Et on voit que cette année, ce sont surtout les normes culturelles qui sont sollicitées plutôt que l’Homme pensant ».

* Le prénom a été modifié

Robin Verner Journaliste BFMTV

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