Les progrès technologiques sont en train de révolutionner la façon de prédire la météo, au risque d’un effacement de l’homme derrière la machine selon certains spécialistes.
Un vent de contestation souffle dans les couloirs de Météo-France. Plus que jamais en première ligne face aux phénomènes extrêmes induits par le changement climatique, le service météorologique basé à Toulouse est perturbé par une grève depuis le 3 décembre.
Solidaires-Météo, SNM-CGT et SNITM-FO ont déposé un préavis qui court jusqu’au 7 janvier pour protester contre une « nouvelle organisation de la chaîne de prévision ». Baptisée « Programme Prévision Production », ou « 3P », celle-ci généralise l’automatisation de la production des bulletins météo et chamboule le travail des prévisionnistes.
En rodage depuis septembre, l’automatisation a été entérinée le 13 novembre 2023, malgré une première grève des syndicats au moment de la bascule.
Des prévisions automatiques qui alimentent « directement » le site
Pour réaliser ses prévisions, Météo-France utilise des modèles informatiques, dits « de prévision numérique du temps », qui simulent l’évolution de l’atmosphère à partir des données envoyées par les stations météorologiques ou les satellites.
« De ces modèles sortaient une trame, un brouillon pris en main par les prévisionnistes et affinés grâce à leur connaissance de la science météorologique et du terrain », explique à BFMTV.com Renaud Tzanos, ingénieur chez Météo-France et conseiller national à Solidaires-Météo.
Or avec la nouvelle organisation, « les sorties de modèle alimentent directement les prévisions, sans intervention systématique des prévisionnistes ». Un unique salarié, basé au siège, est chargé d’opérer les corrections nécessaires.
Depuis le 13 novembre, seules les vigilances sont entièrement faites « à la main ».
« Résultats aberrants »
Dans leur communiqué, les syndicats « dénoncent les conditions dans lesquelles s’est déroulée la bascule dans cette nouvelle organisation de la chaîne de prévision et alertent sur les conséquences (…) sur la qualité du service rendu aux usagers (…) et sur la santé des agentes et agents ».
Selon eux, les modèles, bien que performants, ne sont pas parfaits et peuvent donner des « résultats aberrants » s’ils ne sont pas corrigés de la main de l’homme. C’est ainsi que le site de Météo-France a annoncé 28°C à Strasbourg en plein mois de décembre ou encore de la neige dans les Hautes-Alpes… sous 9°C.
« Il y a quelques semaines, un maire de Bretagne a fait saler les routes de sa commune toute une nuit parce qu’on lui avait envoyé des prévisions de température négative. Au petit matin, il s’est rendu compte qu’il n’avait pas gelé… », raconte Renaud Tzanos.
« Ces ‘bugs’ sont très mal vécus par les prévisionnistes qui doivent ensuite faire le service après-vente auprès des clients mécontents », soupire Renaud Tzanos. « Nous ne sommes pas ‘anti-automatisation », mais dans les conditions actuelles, on ne peut pas la généraliser sans réduire la qualité des prévisions », résume-t-il.
Sous-effectifs
Interrogée par BFMTV.com, la direction explique que « le progrès technique » permet de « renforcer l’automatisation de notre base de données de prévision et aussi certaines tâches de production ».
« Cela permet à nos prévisionnistes experts de disposer de plus de temps à consacrer aux enjeux météorologiques les plus importants et à l’accompagnement de nos partenaires et usagers », assure-t-elle.
« L’expertise de nos 600 prévisionnistes conserve une place majeure », poursuit la direction, qui promet d’ »améliorer les outils » et affirme que les « bugs apparus » ont été « corrigés ».
L’argument ne convainc pas les syndicats, pour qui la nouvelle organisation n’est pas le fruit d’un progrès technologique mais une manière de compenser la “baisse d’effectifs vertigineuse depuis plus de 15 ans”.
Selon un rapport du sénateur Vincent Capo-Canellas, entre 2008 et 2022, le nombre de salariés est passé de près de 3.600 à 2.500. De nouveaux recrutements ont eu lieu en 2023, mais ne sont pas de nature à inverser la tendance.
« C’est pour faire face à la surcharge de travail des prévisionnistes que Météo-France a dû développer en catastrophe et de façon très peu maîtrisée de nouveaux outils », affirme Renaud Tzanos. « La baisse des effectifs a précédé les gains en savoir-faire », abonde sur son compte X (ex-Twitter) le syndicat FO-Météo.
Google jette un pavé dans la mare
Si les algorithmes d’automatisation de Météo-France n’ont rien de révolutionnaire, l’intelligence artificielle (IA) pourrait elle rebattre totalement les cartes de la prévision météo. En la matière, une étude publiée le 14 novembre par des chercheurs de Google DeepMind dans la prestigieuse revue Science a fait l’effet d’un pavé dans la mare.
Les chercheurs de la branche IA de Google y exposent les résultats impressionnants de GraphCast, un outil de prévision météo qui pourrait bien surpasser tous les modèles actuels. À en croire leurs conclusions, GraphCast réalise des prévisions plus précises que celles du Centre européen pour les prévisions météorologiques à moyen terme (ECMWF en anglais) dans 90% des cas.
Contrairement aux modèles de Météo-France qui font appel aux grandes lois de la physique pour prédire l’évolution de l’atmosphère, GraphCast se base sur les données climatiques des quarante dernières années – rendues publiques par l’ECMWF – pour établir ses scénarios.
Passée une phase d’ »apprentissage » (machine learning) des données, il suffit de lui donner les deux états météorologiques les plus récents de la Terre -celui à l’instant T et six heures plus tôt– pour qu’il prédise l’évolution des conditions atmosphériques jusqu’à 10 jours dans le futur.
Le résultat est obtenu « en moins d’une minute », quand les modèles utilisés par Météo-France peuvent prendre plusieurs dizaines de minutes.
Marge de progression
Du côté de Météo-France, on tire son chapeau. “Nous avions connaissance du fort potentiel de l’IA mais le travail de Google nous permet de s’engager sur ce chemin avec davantage de certitude”, dit à BFMTV.com Marc Pontaud, directeur de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche à Météo-France.
L’ingénieur pointe toutefois « une forte marge de progression », notamment sur la finesse des prévisions. « Google a utilisé une base de données européenne dont la résolution est de 30 km. Par comparaison, nos modèles ont une résolution d’1,3 km, voire 500 m pour certains d’entre eux”.
À ce stade, l’outil de Google rencontre donc des difficultés pour les phénomènes très localisés. “Lors de la tempête Ciaran, GraphCast a bien prévu la trajectoire et le creusement de la dépression mais n’a pas anticipé les vents forts en surface. À Météo-France, nos modèles avaient prévu la vitesse des bourrasques 48 heures à l’avance, ce qui a permis à l’État de déclencher les vigilances”, explique Marc Pontaud.
L’IA en test à Météo-France dès 2025
Les possibilités offertes par l’IA ont néanmoins convaincu Météo-France de lancer “un programme de travail” pour développer son propre modèle de prévision par intelligence artificielle. « Nous conserverons nos modèles traditionnels que nous continuerons à améliorer. L’idée est de tirer le meilleur des deux systèmes”, précise Marc Pontaud.
L’objectif affiché par l’établissement public est d’avoir en 2024 la première “maquette” d’un modèle de prévision météo à “échelle fine” sur toute l’Europe de l’ouest, avant une phase de test prévue fin 2025. Météo-France aura de la concurrence. Outre Google, l’américain Microsoft ou encore le chinois Huawei ont annoncé travailler sur le propre outil de prévision météo par IA.
Mises en garde
Si les résultats sont prometteurs, l’outil n’en est qu’à ses débuts, de l’aveu même des chercheurs de Google. “Notre approche ne doit pas être considérée comme un substitut aux méthodes traditionnelles de prévision météorologique qui ont été testées rigoureusement (…) et qui offrent de nombreuses caractéristiques que nous n’avons pas encore explorées”, écrivent-ils dans Science.
D’autres spécialistes ont formulé des mises en garde, notamment sur le plan éthique. ”L’intelligence artificielle est une ressource très attractive mais elle revient à laisser aux informaticiens la faculté de résoudre des questions qui sont du ressort des autres disciplines”, a ainsi alerté auprès de la RTS Jacques Ambuhl, ancien chef de la recherche chez Météosuisse (équivalent suisse de Météo-France).
Comme dans tous les domaines, l’IA pose en effet la question du rôle de l’humain. Pour l’agroclimatologue Serge Zaka, contacté par BFMTV.com, « une modélisation est par définition imparfaite et l’humain reste le meilleur facteur réducteur d’erreurs ».
Alors que Météo-France a fermé la plupart de ses centres départementaux pour se recentrer sur ses 7 antennes régionales, le scientifique craint que les prévisionnistes « perdent pied avec le terrain ». « Il n’y a que l’homme pour connaître les microclimats, ces fonds de vallée ou ces sommets de montagne qui échappent aux modèles qui ne descendent pas à une échelle aussi basse », insiste-t-il.
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