Salomé Vincendon

L’institut de prévisions météorologiques est pointé du doigt pour avoir alerté trop tardivement la Corse sur les violents orages qui s’apprêtaient à frapper l’île, ce sont elle se défend.Une situation qui rappelle celle des inondations meurtrières dans l’Aude en 2018.

Après les violents orages qui ont fait plusieurs morts en Corse jeudi Météo-France s’est défendu de ne pas avoir activé en avance la vigilance orange, concédant avoir été « surpris » par une situation « exceptionnelle », « difficilement prévisible » par ses modèles numériques. Cette situation, rare, rappelle les inondations meurtrières d’octobre 2018 dans l’Aude, lors desquelles l’institut de prévisions avait déjà été pointé du doigt pour une réaction jugée trop tardive.

Le dimanche 14 octobre 2018, plusieurs territoires sont placés en vigilance orange pluie-inondation et orages dans le sud du pays, parmi eux l’Aude. Mais dans la nuit, des précipitations extrêmement fortes touchent ce département, et les dégâts seront très importants. Au final, « 14 décès sont à déplorer ainsi qu’environ 270 millions d’euros de dégâts », rappelle le ministère de l’Intérieur.

Rapidement, Météo-France est pointée du doigt, car l’alerte rouge pluie-inondation n’a été lancée sur l’Aude qu’à 6 heures du matin le lundi, soit trop tard pour certains.

Dans la nuit, « on commence à se dire que c’est l’Aude qui va être touchée »

Le dimanche, « on craint un événement particulièrement dangereux avec de fortes précipitations très localisées, mais on n’est pas capable à ce moment-là de dire où cela va se produire », expliquait alors sur BFMTV Emmanuel Bocrie, ingénieur Météo-France. L’Aude est toutefois placée en vigilance orange.

Dans la nuit on voit une « forte intensité de précipitations se produire, et là on commence à se dire que c’est l’Aude qui va être touchée. Mais avant 6h du matin, on n’est pas capable de dire si c’est l’Aude qui va être touchée, les Pyrénées Orientales ou l’Hérault », déclarait-il à l’époque. « C’est les limites de l’art de la prévision météorologique. »

« C’est vraiment dans le milieu de la nuit qu’on a vu que les cumuls de pluie risquaient d’être plus importants que prévu, vers 2/3h du matin », ajoutait, toujours sur notre antenne, Frédéric Decker, prévisionniste à Météonews.

Pourquoi pas d’évacuations dans la nuit

Si l’information commence à être connue dans la nuit, pourquoi la population n’a pas été directement prévenue? Édouard Philippe, alors Premier ministre, justifiait que lorsque « ça passe en rouge au milieu de la nuit, parce que l’on se rend compte que le phénomène qui devait passer reste, et devient plus intense, c’est compliqué de faire passer l’information ».

Jérôme François, sapeur-pompier, secrétaire général de l’UNSA-SDIS, soulignait également sur notre antenne, le lendemain du drame, qu’il était « difficile de prévoir à quelle vitesse cela montrait et où », donc de lancer des évacuations dans la nuit: « Imaginez que l’on prenne la décision d’évacuer la ville et que des dizaines de voitures soient emportées par les flots. »

Les jours qui ont suivi le drame, les prévisionnistes se sont succédé pour affirmer que la force de cet épisode était quasiment impossible à prévoir à l’avance, ainsi que l’endroit où il se produirait.

Dans un article sur son site Météo-France parlait de « pluies d’une intensité exceptionnelle ». « Plus de 200 mm » d’eau sont tombés « sur la zone affectée par les inondations dramatiques, soit environ 3 mois de précipitations ». Et à Trèbes, ville particulièrement meurtrie, « on a relevé 295 mm en 12 heures ».

« La prévision météorologique c’est une science qui est jeune »

D’autre part, les ingénieurs de Météo-France s’appuyaient à cette époque sur le fait qu’il y avait une vigilance orange en cours dans l’Aude, et qu’il faut prendre au sérieux ces alertes qui signalent un « phénomène dangereux de forte intensité ».

Dans les recommandations ayant suivi ce drame, le ministère de l’Intérieur recommandait d’ailleurs aux préfets d’appliquer « dès le passage en vigilance crues orange » les dispositions du plan Orsec, soit l’organisation des secours à l’échelon départemental, en cas de catastrophe. Météo-France, de son côté, était appelée à affiner ses modèles de prévision.

« Tous les 10 ans on gagne une journée de prévisions, c’est extraordinaire mais cela prend beaucoup de temps » rappelait alors Emmanuel Bocrie. « La prévision météorologique c’est une science qui est jeune, en 150 ans on est passé de la préhistoire à la technologie du laser. »

« Alerter suffisamment et ne pas suralerter »

Ces mêmes remarques sont survenues après les orages meurtriers en Corse. Cela illustre la difficulté encore aujourd’hui, malgré les progrès spectaculaires des supercalculateurs, de traduire les probabilités de phénomènes météo en un système d’alerte crédible pour la population.

« Des modèles très sophistiqués comme AROME arrivent à prévoir de mieux en mieux [les orages], mais pas toujours », a expliqué le prévisionniste François Gourand jeudi, affirmant que les météorologues sont « très souvent dans ces situations où les modèles ne permettent pas de trancher ».

S’il fallait alerter dès qu’un scénario extrême apparaît dans la prévision numérique, « on ferait bien trop de vigilance et le système deviendrait inutile », a averti Christophe Morel, responsable de la permanence prévision. « Il y a un équilibre à trouver, alerter suffisamment et ne pas suralerter », a-t-il souligné, estimant que « là, nous n’avions pas assez d’éléments » en avance.

« Nous devons entendre les critiques », a admis Philippe Arbogast, chercheur à Météo-France, tout en réaffirmant que « nous ne devons pas alerter dès qu’une situation extrême apparaît dans les simulations ».

Salomé Vincendon Journaliste BFMTV

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