Salomé Vincendon

Faire grève est un exercice d’équilibriste pour les soignants: il s’agit de réussir à mettre la pression aux décideurs, sans arrêter pour autant complètement de s’occuper des patients.

Grève des infirmiers libéraux, des internes, du personnel des urgences, des psychiatres… Les mouvements sociaux chez les soignants se multiplient ces derniers mois, les protestataires réclamant plus de moyens pour exercer leur activité, plus de personnel et la revalorisation de leurs métiers. Les médecins libéraux sont actuellement en grève, réclamant notamment une hausse du prix de la consultation.

Mais en cette fin d’année, la grogne du personnel médical s’aligne avec une triple épidémie mêlant bronchiolite, grippe et Covid-19, qui remplit les urgences.

« En cette période d’extrême difficulté pour le système de santé », le ministre de la Santé François Braun a ainsi taxé mercredi de « particulièrement malvenue » la grève actuelle des médecins libéraux. « Ce n’est pas le bon moment », a-t-il jugé.

En tant que médecin, « de toute façon ce n’est jamais le bon moment pour faire grève », souligne auprès de BFMTV.com Jérôme Marty, médecin généraliste, président de l’Union française pour une médecine libre.

Les enjeux humains liés au métier de soignant rendent en effet difficile la concrétisation de mouvements sociaux, car il faut réussir à faire pression sur les décideurs sans toutefois nuire aux patients.

La grève, « une solution de dernier recours »

Faire grève, ce n’est clairement « pas la vocation première du soignant », explique Rachel Bocher, psychiatre, présidente de l’intersyndicat national des praticiens hospitaliers (INPH). Un médecin en grève qui cesse son activité, ce sont par conséquent des patients qui doivent se tourner vers d’autres réponses médicales et en cette période de surcharge des services hospitaliers, il est par exemple plus difficile de trouver où se soigner.

« Les moyens de l’hôpital sont totalement saturés et limités », expliquait mercredi sur BFMTV Bruno Mégarbane, chef du service de réanimation à l’hôpital Lariboisière (Paris). « Notre capacité de réagir est extrêmement faible, très rapidement nous sommes débordés et nous devons prendre en charge les patients de façon non optimale ».

Les soignants aujourd’hui en grève sont bien évidemment au courant de cette situation de tension. La grève est une action utilisée en « ultime recours », quand la profession n’arrive plus à se faire entendre et arrive au bout de ses possibilités, assure Rachel Bocher.

« C’est désespérant d’en arriver à fermer les cabinets pour mettre la pression », lançait également mardi sur BFMTV Jean-Paul Hamon, médecin généraliste en grève.

« C’est très difficile, particulièrement délicat », abonde auprès de BFMTV.com Cyrille Venet, médecin hospitalier, secrétaire général du syndicat national des médecins hospitaliers – Force Ouvrière (SNMH-FO), pour qui la grève n’est aussi qu’une « solution de dernier recours ».

« Une urgence vitale, évidemment qu’on va la prendre »

Un service minimum reste de toute façon assuré, même en cas de grève, car « si tous les agents publics hospitaliers ont le droit de faire grève », l’État « a la possibilité de nous assigner », explique Jean-François Cibien, médecin urgentiste, président de l’intersyndicale Action praticien hôpital. Cette réquisition des personnels permet à la société de ne pas se retrouver dans une situation où un malade grave trouverait portes closes à l’hôpital, bien que pour les soignants interrogés, la situation actuelle, sans grève, est déjà dramatique.

« Cet été des gens ont passé 10 jours sur des brancards », déclare le médecin urgentiste, qui souligne qu’il y a des pertes de chance pour les patients dans ces conditions.

Face à la grève des médecins libéraux, certains d’entre eux « ont déjà été réquisitionnés », expliquait mercredi sur RMC Noëlle Cariclet, médecin psychiatre en grève et porte-parole du collectif « Médecins pour demain ». « C’est normal il faut pouvoir tenir la continuité des soins sur le territoire, c’est le jeu, et les médecins qui ont été réquisitionnés ne se sont pas plaints (…) ils sont contents de pouvoir porter main forte aux services d’urgence ».

Concrètement, être en grève ne veut pas dire que les patients sont rejetés, « on n’est pas inconscient », dit Jérôme Marty. « On n’a pas de médecins qui laissent mourir quelqu’un devant eux », lance également Cyrille Venet.

« Si on a une urgence vitale, évidemment qu’on va la prendre », abonde Jean-François Cibien.

Certains ne font grève qu’une heure pour le symbole, ou appuient le mouvement sans se mettre concrètement en grève, parce qu’ils se trouvent dans une zone de désert médical. À l’hopital, il arrive ainsi que les soignants se disant en grève viennent travailler mais portent un message ou un brassard pour siginifier qu’ils rejoignent le mouvement de protestation. « Moi-même j’étais de garde le jour de Noël », explique Jérôme Marty.

« Un mot d’ordre pour dire la gravité de la situation »

En ce sens, pour les soignants, une grève représente plutôt un moyen symbolique de s’exprimer. Il ne s’agit pas d’arrêter complètement de soigner, mais « d’alerter les usagers sur la situation du milieu médical en France », explique Rachel Bocher, de dire aux patients que la situation dégradée des soins depuis des mois n’est pas de la faute du personnel, et aux autorités qu’il faut faire évoluer l’état des choses.

« C’est un mot d’ordre pour dire la gravité de la situation », résume Cyrille Venet, qui reconnait que faire grève pour un médecin reste « une problématique presque insoluble. »

La grève actuelle des médecins libéraux a tout de même un impact et surcharge d’autres secteurs. Mais pour les grévistes, la situation rend nécessaire les mouvements sociaux en cours, car les conditions de travail se dégradent, les personnels sont épuisés et les patients sont de moins en moins bien pris en charge.

Face à cet état des lieux, « c’est de notre responsabilité de faire quelque chose », appuie Jérôme Marty qui parle d’un « effondrement du système sanitaire, on nous a rendu maltraitants » et « on ne veut plus être complices de ce système ».

« Beaucoup [de soignants] sont partis dernièrement » rappelle aussi Rachel Bocher, qui explique qu’en psychiatrie, comme ailleurs, « l’organisation des soins ne correspond plus à nos valeurs il y a une perte de sens ». La psychiatre assure que par endroits, faute de moyens « on soigne mal » et qu’il y a une véritable « situation de souffrance humaine dans la profession ».

Jean-François Cibien dénonce avec véhémence la situation actuelle. « Aujourd’hui il y a un véritable épuisement des personnels, il y a des étudiants qui quittent leur formation« , déplore-t-il. Alors « je préfère qu’ils fassent grève plutôt que d’avoir des wagons de gens qui quittent la profession ».

Salomé Vincendon Journaliste BFMTV

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