Le meurtre de Lola, 12 ans, et sa découverte dans la nuit, baillonnée au fond d’une malle, a choqué le pays. Au-delà de l’émotion devant la mort d’un enfant dans des circonstances effroyables, comment expliquer qu’un crime frappe l’opinion au cœur? BFMTV.com a soulevé la question auprès d’un psychothérapeute et d’un historien spécialiste des faits-divers.
La découverte du corps supplicié de la jeune Lola, 12 ans, au fond d’une malle vendredi dernier dans la cour de son immeuble du 19e arrondissement de Paris, a fait passer un frisson dans le dos de tout le pays. Signe supplémentaire de cette émotion collective à vif: la classe politique se déchire autour du traitement public à réserver à cette affaire.
Au-delà de l’émoi naturellement suscité par un homicide perpétré dans des circonstances aussi atroces, les raisons pour lesquelles un crime frappe si profondément l’opinion interrogent. Pour mettre en lumière les ressorts psychologiques animant ce phénomène, BFMTV.com s’est tourné ce jeudi vers un historien spécialiste du fait-divers et un psychothérapeute.
Le corps profané
En premier lieu, on note que le choc ressenti par la population repose sur une évidence: le meurtre d’un enfant tient toujours du scandale. « La mort d’un enfant touche davantage que celle d’un adulte », initie le psychothérapeute Benjamin Lubszynski, « et encore plus si l’enfant apparaît comme la figure de l’innocence ».
Pourtant, les infanticides ne sont hélas pas si rares et tous ne prennent pas cette ampleur médiatique. Il leur faut, pour ce faire, s’entourer d’une aura particulièrement scabreuse.
Les affaires criminelles relatives à l’enfance « touchent d’autant plus quand elles s’aggravent de circonstances et d’actes qui profanent le corps de la victime », analyse en effet Bruno Fuligni, historien et auteur notamment de Souvenirs de police. La France des faits divers et du crime vue par des policiers (1800-1939). La dépouille de Lola marquée de coups à l’arme blanche, et les deux pieds recouverts de mystérieux chiffres à l’encre rouge, vérifie ce critère.
« Empathie de proximité »
Dans le langage des sciences humaines et de la psychologie, le lien établi entre le grand public et un dossier aussi douloureux que le meurtre d’une enfant comme Lola porte un nom, selon le praticien Benjamin Lubszynski: « l’empathie de proximité ». « C’est une émotion qu’on partage tous: cet enfant pourrait être le nôtre », pose le psychothérapeute.
Relevant que beaucoup de facteurs – depuis la futilité du mobile allégué par la mise en examen jusqu’aux modalités du crime – font que ce dernier est « difficilement explicable » à ce stade, Benjamin Lubszynski ajoute que cette incertitude renforce encore la crainte soulevée par l’affaire. Et le sentiment d’identification du même coup:
« Penser que votre enfant peut être tué comme ça et de manière si atroce réveille une peur archaïque. On est dans quelque chose d’extrêmement proche ». « La conjonction de cette hyper proximité, d’un meurtre si violent et d’une figure de l’innocence favorise le retentissement empathique », achève le spécialiste.
Un détail supplémentaire retient de surcroît l’attention, dans la mesure où il est propre à instiller la peur au cœur même du quotidien des Français: l’adolescente a été tuée dans son immeuble, de retour de l’école, en plein après-midi. « Le fait que le crime soit survenu en journée empire la chose. Car ça ne devrait pas arriver en plein jour », pointe ainsi Benjamin Lubszynski.
Le crime et son époque
On le sait: la commotion est telle au sein de l’opinion qu’elle s’est étendue à ses responsables. Tandis que l’extrême droite a organisé deux rassemblements – l’un organisé par le Rassemblement national, l’autre par des proches de Reconquête – en hommage à Lola, l’autre partie du spectre politique dénonce une récupération.
De quoi relancer le débat épineux entre deux positions antagonistes qui s’affrontent traditionnellement en pareil cas. Pour les uns, suivant le mot du sociologue Pierre Bourdieu, « le fait-divers fait diversion« , pour les autres, il est le révélateur d’un phénomène de société.
Sans entrer dans ce duel, Bruno Fuligni élargit la réflexion. Se souvenant de l’affaire Landru, lors de laquelle le criminel avait séduit et fait disparaître des femmes après une Première guerre mondiale ayant vu les femmes accéder à un statut social inédit, il observe: « Ce qui fait un grand fait-divers, c’est son adéquation avec son contexte, s’il apparaît comme un condensé de son époque ».
C’est une autre comparaison historique qui vient à l’esprit de Benjamin Lubzsynski. Elle montre que, pour le psychothérapeute, le meurtre Lola est lui aussi appelé à s’inscrire durablement dans les mémoires. « Vraisemblablement, c’est une mort aussi marquante que celle du petit Grégory en son temps », avance-t-il: « Elle va hanter les cauchemars de beaucoup de parents qui vont avoir une attitude plus protectrice vis-à-vis de leur enfant ».
L’horreur au féminin
Il reste à débusquer l’impensé potentiellement niché au fond de la douleur inspirée par les sévices infligés à Lola. Ce crime horrifie-t-il davantage lorsqu’il est attribué à une femme, censée, dans l’imaginaire commun, nourrir un instinct maternel à l’égard de l’enfance, et être moins prompte qu’un homme au passage à l’acte?
« Il y a l’a priori de considérer que les femmes sont plus douces. Bien sûr, c’est faux: il y a des femmes criminelles », réfute Bruno Fuligni. Puisant dans sa culture judiciaire, l’auteur de Souvenirs de police. La France des faits divers et du crime vue par des policiers (1800-1939) remarque d’ailleurs que la presse a eu tendance à affubler les meurtrières de surnoms particulièrement démonstratifs: « On a parlé d »ogresse’ – comme pour ‘l’ogresse de la Goutte-d’Or -, de ‘sorcière’, comme si ce ne pouvait être que le fait de personnages irréels ».
C’est pourtant un drame bien humain, jusque dans son abjection, que les enquêteurs doivent à présent éclairer. Et dans toute sa réalité.
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