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Généralisées depuis le 1er janvier 2023, les cours criminelles départementales jugent les crimes passibles de 15 à 20 ans de réclusion criminelle. Des affaires jusqu’alors passibles des assises.

En mai 2020, encore avocat, Eric Dupond-Moretti pourfendait le principe des cours criminelles départementales, y voyant « la mort de la cour d’assises » et la disparition du « juré populaire d’assises ». Après une expérimentation de trois ans, ces nouvelles juridictions, composées de cinq magistrats professionnels et chargées de juger les crimes passibles de 15 à 20 ans de prison, sont désormais généralisées depuis le 1er janvier.

« Est-ce que vous voulez au nom d’un propos qui a été le mien autrefois je vienne démolir quelque chose dont on me dit qu’il marche », se justifiait au début du mois le ministre de la Justice sur France Inter.

Depuis plusieurs semaines, ce sont les opposants à ces cours criminelles qui utilisent les arguments d’Eric Dupond-Moretti l’avocat contre le garde des Sceaux Eric Dupond-Moretti. Un site « Sauvons les assises » vient d’ailleurs d’être lancé, ainsi qu’une pétition sur la plateforme du Sénat pour la « préservation du jury populaire de cour d’assises et l’abandon des cours criminelles départementales ».

Si elle recueille au moins 100.000 signatures en six mois, elle sera transmise à la Conférence des présidents, qui réunit le président de l’institution, les vice-présidents, les présidents de groupes politiques et des diverses commissions. Si cette instance y donne suite, elle peut inscrire la pétition au débat parlementaire. Dans le même temps, la députée EELV Francesca Pasquini a déposé une proposition de loi « visant à préserver le jury d’assises ». Mais que reprochent concrètement les opposants?

· La remise en cause d’un principe démocratique

« La justice est rendue au nom du peuple, par le peuple. » Cette devise est aujourd’hui menacée par la généralisation des cours criminelles départementales, estiment les détracteurs de cette nouvelle juridiction, qui en demandent tout simplement l’abandon.

« Les jurés populaires sont un héritage démocratique important », plaide auprès de BFMTV.com Benjamin Fiorini, maître de conférences en droit privé et sciences criminelles à l’université Paris-8, à l’origine de la pétition. « Il s’agit d’un instrument démocratique ».

Au-delà de l’aspect philosophique, de nombreuses voix craignent un renforcement de l’éloignement et de la défiance des Français envers leur justice. Ainsi, les affaires de viol ne seront plus jugées par des jurés populaires mais par des magistrats professionnels. Une abbération pour de nombreux avocats qui estiment que les citoyens doivent justement s’emparer de ces sujets de société.

« Les cours d’assises sont un instrument d’humanité de la justice », insiste Benjamin Fiorini. « C’est le moment où l’on prend le temps d’expliquer la procédure. C’est un moment où on établit une vérité judiciaire des crimes. »

Face à cette critique, Eric Dupond-Moretti rappelle que « si le justiciable n’est pas content d’une décision rendue par la cour criminelle, il a interjette appel et en appel il retrouve la cour d’assises traditionnelle », composée d’un jury populaire.

· La crainte d’une suppression totale des jurés populaires

« Demain, moi, l’urne bicentenaire de Coutances, je vais être rangée au fond d’une armoire de ce tribunal comme une vieille relique qu’on ne sortira pratiquement plus. » Ces mots sont ceux du président de la Cour d’assises de Coutances, cités par Actu.fr. Le magistrat, clairement opposé aux cours criminelles, s’est livré au mois de décembre à un exercice symbolique en prêtant sa voix à l’urne d’où sont tirés au sort les noms des jurés.

Avec cette généralisation des cours criminelles, les professionnels craignent la suppression à terme des jurés populaires et des cours d’assises où l’oralité des débats préside. « La participation des jurés devient minoritaire pour les crimes », martèle Benjamin Fiorini, qui estime à 60% le nombre de dossiers criminels qui reviennent désormais aux cours criminelles.

« Il s’agit de la politique des petits pas », déplore Me Emmanuel Le Miere. « On détruit le système qui existe, on sape les fondements de ce système, on ne pourra que constater que finalement ça ne fonctionne pas. »

À Coutances, les dossiers passibles des assises sont majoritairement des dossiers de viols. « La grande criminalité qui dépasse les 20 ans de réclusion criminelle est, heureusement, chez nous assez rare », note l’ancien bâtonnier Me Le Miere. « Cela signifie qu’on va organiser une session d’assises pour un dossier, deux tout au plus. »

Or, organiser une session d’assises prend du temps et est coûteux, avec le tirage au sort des jurés, leur journée de formation, la visite d’une prison et leur rétribution. À terme, l’avocat craint que les cours d’assises deviennent régionales dans certains territoires. « Si on commence à sacrifier les jurés dans de si nombreuses affaires au nom de la gestion des stocks, c’est qu’on va les supprimer partout », estime même Benjamin Fiorini.

« J’ai renforcé la souveraineté populaire », se défend le ministre de la Justice, balayant les arguments mis en avant pour avancer la suppression des jurés populaires.

« J’ai exigé que pour condamner il y ait une voix de juré en plus car cette expression de souveraineté populaire avait perdu beaucoup de sens puisque car on pouvait condamner sans avoir obtenu une majorité de jurés, j’ai rétabli ça », explique-t-il.

· L’impact sur la correctionnalisation des viols limité

L’un des objectifs prioritaires de cette réforme, avancé par la Chancellerie, est d’éviter la correctionnalisation des viols, à savoir que certains dossiers soient jugés devant un tribunal correctionnel afin d’être traités plus rapidement.

« Il y a eu un premier rapport de la Direction des affaires criminelles et des grâces, il y a eu un rapport parlementaire conduit par deux avocats, qu’est-ce que dit ce rapport? Que ça marche bien, que ça va plus vite, que surtout ça permet de régler la question de la correctionnalisation que l’on infligeait aux victimes », a assuré la semaine dernière Eric Dupond-Moretti sur France Inter.

Le comité de la mission d’évaluation et de suivi des cours criminelles départementales a interrogé quatre juridictions, alors que le dispositif est testé depuis trois ans. « Les statistiques disponibles ne laissent pas apparaître de réelle évolution sur le niveau de correctionnalisation des affaires », note la mission dans son rapport après avoir questionné la cour d’appel des Ardennes, de Rouen et de Cayenne. Sentiment partagé par l’Association française des magistrats instructeurs qui note qu’il n’y a pas « d’influence significative ».

Ainsi, le comité, constitué des acteurs du droit essentiellement, estime qu’une étude devrait être menée uniquement sur ce point, soulignant la difficulté d’évaluer l’impact positif ou non sur une dé-correctionnalisation des affaires de viols.

· La crainte d’une « justice d’abattage »

L’autre objectif de la réforme des cours criminelles départementales est de juger les affaires plus rapidement, là où de nombreux citoyens dénoncent la lenteur de la justice. Selon le comité d’évaluation et de suivi de la réforme, le gain de temps est de 12% en moyenne.

La loi a fixé un délai d’audiencement de six mois devant les cours criminelles, « intenable » pour le comité, qui préconise que ce délai soit fixé à 9 mois. Une durée qui s’approche de celle observée devant les cours d’assises. « On va sacrifier les jurés populaires pour gagner 15 jours d’audiencement », se désole Benjamin Fiorini.

« La justice de la cour d’assises, une justice de qualité, on va en faire une justice d’abattage, comme celle rendue devant les tribunaux correctionnels », reproche sur France Bleu Me Pierre Dunac, le bâtonnier du barreau de Toulouse.

Comme la quasi-totalité des barreaux de France, il a adopté une motion pour préserver le juré d’assises.

Eric Dupond-Moretti relève lui que l’expérimentation des cours criminelles depuis trois ans a permis de révéler des « débats apaisés ». « L’ensemble des personnes entendues par le comité, y compris les plus critiques à l’égards des cours criminelles départementales s’est accordé pour reconnaître que, dans le cadre de l’expérimentation, les principes de l’oralité des débats et du contradictoire avaient été respectés », conclut la mission de suivi de ces nouvelles juridictions.

· Un dispositif coûteux en ressources humaines

Le garde des Sceaux a annoncé un budget de 11 milliards d’euros d’ici à 2027. Une augmentation du budget de la Justice sans précédent qui devrait notamment permettre de recruter 10.000 fonctionnaires dont 1.500 magistrats pour venir épauler une profession à bout de souffle, accablée par la charge de travail.

Et c’est notamment cette situation qui inquiète les opposants à la réforme prévoyant la généralisation des cours criminelles. Ces juridictions sont composées de cinq magistrats professionnels quand les cours d’assises en comptent trois. Leur généralisation impose donc plus de magistrats disponibles, plus de magistrats qui ne travaillent pas sur leurs dossiers.

« La généralisation des cours criminelles est étroitement liée à la question des ressources humaines et est conditionnée (…) à un renforcement significatif des ressources humaines », note la mission de suivi et d’évaluation.

Les détracteurs de cette réforme craignent que faute de magistrats disponibles, on passe de cinq magistrats dans les cours criminelles à trois puis à seulement un.

« Les deux prochaines promotions de l‘École nationale de la magistrature, c’est une augmentation de plus 81% des auditeurs de justice. Il y a sept voies d’accès pour être magistrat, on va simplifier pour permettre à d’autres professions de devenir magistrats, dont les avocats », veut rassurer Eric Dupond-Moretti.

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