Avec la pression des médias et de l’opinion publique, les avocats estiment devoir sortir de leur réserve pour ne pas laisser la parole « à une seule partie ».
Alexandre Martin est depuis dimanche soir l’avocat de Romain C., l’homme qui a avoué avoir violé et tué Vanesa, une collégienne de 14 ans à Tonneins, dans le Lot-et-Garonne. Un nouveau dossier qui suscite l’attention et l’émotion de l’opinion publique pour celui qui défend déjà Cédric Jubillar. Le conseil toulousain est arrivé dans cette affaire après la garde à vue du suspect alors que sa première avocate s’est dessaisie.
« On lit le dossier, on rencontre le client, on parle avec lui tout en sachant que l’étude de ce dossier va prendre quelques mois, explique Me Alexandre Martin sur BFMTV. L’essentiel de ce dossier, dans les prochaines semaines, va résider dans les analyses que feront les experts de ce passage à l’acte. Dans l’immédiat l’heure est au recueillement, il ne m’appartient pas trop de rentrer dans les détails. »
Etre guidé par « l’intérêt du client »
Les avocats sont soumis au secret professionnel. « Ce qui se passe entre ma cliente et moi-même doit rester entre ma cliente et moi donc je ne saurai à aucun moment trahir cette confiance ou tout du moins ce secret auquel je suis tenu déontologiquement », rappelait sur BFMTV le 17 octobre dernier Me Alexandre Silva, l’avocat de Dahbia B., mise en examen pour le viol et le meurtre de Lola, cette collégienne parisienne de 12 ans.
« L’avocat respecte le secret de l’enquête et de l’instruction en matière pénale, en s’abstenant de communiquer, sauf pour l’exercice des droits de la défense, des renseignements extraits du dossier », précise aussi le règlement intérieur national de la profession d’avocat.
« Je considère que chaque sortie médiatique de l’avocat est guidée par l’intérêt de notre client, estime auprès de BFMTV.com Me Gabriel Dumenil, avocat pénaliste. Nous ne sommes jamais à l’initiative d’une communication, nous avons rarement un intérêt à la médiatisation de leur cas. »
Gabriel Dumenil défend notamment, aux cotés de son associé Marc Bailly, Willy Bardon condamné en appel à 30 ans de réclusion criminelle pour le viol, l’enlèvement et le meurtre d’Elodie Kulik en 2002. C’est l’avocat amiénois Stéphane Daquo qui avait contacté son cabinet au moment de la mise en examen de l’ancien plombier en 2013. Un pourvoi en cassation de la défense a été examinée au mois d’octobre dernier.
« Dans les dossiers médiatiques, il y a des choses qui peuvent être programmées, poursuit Me Dumenil. A un moment, dans le cas de Willy Bardon, il nous est apparu important de laisser plus libre la parole de notre client alors qu’il y avait un fantasme et une hystérie collective notamment sur la personnalité de Willy Bardon. On lui a alors laissé la parole et il a pu apparaître pour s’exprimer. »
Cette configuration est rare notamment dans des dossiers criminels où la personne mise en examen est la plupart du temps en détention provisoire. Dahbia B., Romain C., Théo L., tous sont suspects dans des affaires qui ont suscité l’émoi de l’opinion publique ces dernières semaines.
Dans l’affaire du meurtre de Lola, Me Alexandre Silva, saisi car de permanence pénale le jour de l’interpellation de la suspecte, a simplement pris la parole à la fin de la garde à vue de sa cliente avec « le souci de mettre un terme aux rumeurs », expliquait-il sur BFMTV.
« Pression supplémentaire »
Quand des éléments de l’enquête sont révélés dans les médias, l’avocat doit « au mieux rétablir la distance » avec « la seule parole visible, celle de la partie civile ». Le 30 janvier 2018, après trois mois d’interrogations, Jonathann Daval est mis en examen pour le meurtre de sa femme Alexia. Me Randall Schwerdorffer l’a accompagné pendant ces 48 heures d’interrogatoire par les enquêteurs. Face aux journalistes, il annonce les aveux de son client, affirmant qu’il l’a étranglée « accidentellement » et assurant qu’il n’était « pas un mauvais homme ». Des propos qui avaient soulevé la polémique.
« On était dans l’émotion, on venait de vivre un moment très intense, à ce moment-là on était encore dans la garde à vue, on était encore avec lui, se souvient auprès de BFMTV.com Me Randall Schwerdorffer. Quand on se prend le mur, on venait simplement annoncer ses aveux. Mais le mur a plein de questions et même si on n’a pas envie d’y répondre, on joue le jeu. C’est là que le temps était trop court. Aujourd’hui je prendrais deux heures pour moi, pour faire attention à ma communication. »
L’avocat, habitué à traiter des dossiers médiatiques du haut de ses seize années d’exercice, reconnaît aujourd’hui ne pas avoir « pris l’ampleur, ne pas avoir compris l’engouement médiatique » pour cette affaire. Me Schwerdorffer avait été contacté par Jean-Marc Florand, qui au début de l’affaire représentait toute la famille d’Alexia Fouillot, y compris son mari, pour savoir s’il était « intéressé » pour défendre Jonathann Daval. Une pratique fréquente entre avocats lorsqu’une difficulté se présente à eux pour représenter sereinement un client.
« La médiatisation ne change rien dans des dossiers normalement médiatiques, l’affaire Daval était anormalement médiatique », estime l’avocat.
Pour le pénaliste, « il faut assumer que les affaires criminelles passionnent » et estime que « sur toutes les affaires médiatiques, tout filtre ». Les interventions médiatiques sont alors plus subies que choisies. « On est obligé de participer à la chose médiatique car les gens qui jugeront ne sont pas hermétiques, poursuit Me Schwerdorffer. Ce n’est pas un choix, ça s’impose à nous. Soit vous laissez l’espace à l’accusation, soit vous commencez à vous défendre. » Le procès commence alors dès la mise en examen d’un suspect.
« La médiatisation ne changera rien à la stratégie de défense, elle rajoute simplement une pression supplémentaire car elle multiplie la possibilité de faire des faux-pas, conclut Me Dumenil. En tout cas, la communication n’est jamais à l’avantage de la personne mise en examen. »
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