les Russes sont-ils sur le point de se retirer de Kherson?

C’est la seule ville majeure que les Russes occupent en Ukraine, et ils pourraient bien la perdre sous peu. Difficultés militaires, évacuations, bâtiments officiels désertés, communication des autorités: les signaux d’une annonce imminente d’un retrait russe de Kherson s’accumulent. Cependant, la possibilité d’un piège du Kremlin subsiste. Nos experts ont analysé la situation en plateau ce vendredi.

Du point de vue du Kremlin et depuis l’entrée en vigueur aux premiers jours d’octobre des résultats des pseudos-référendums d’annexion dans les territoires occupés, Kherson est la capitale de l’une des 48 régions intégrant la Fédération de Russie. Après des semaines de recul face aux coups de boutoir de l’armée adverse, elle est surtout la dernière ville majeure que les forces russes détiennent encore en Ukraine. Cependant, ce vendredi, les bruits autour de l’annonce imminente de l’abandon de leur fief par les Russes vont bon train.

Les signaux pointant en direction d’un retrait de l’agglomération se sont enchaînés ces derniers jours, entre les évacuations de population, discours officiels, édifice administratif débarrassé du drapeau russe, ou encore une situation militaire critique. Nos experts en plateau appellent toutefois à rester prudent quant aux intentions de Moscou autour de Kherson.

Un drapeau qui brille par son absence

La photo a abondamment circulé sur les réseaux sociaux ukrainiens. Mais elle importe moins pour ce qu’elle montre que pour ce qui en est absent. On y voit le siège de l’administration de Kherson, raptée par les Russes, sans le drapeau russe qui le coiffait depuis sa prise par l’envahisseur.

« C’est surtout symbolique pour les Ukrainiens de ne plus voir ce drapeau russe », a d’abord observé Sylvie Bermann, consultante diplomatie de BFMTV et ex-ambassadrice de la France en Russie.

« Certaines personnalités de l’administration ont également été évacuée », poursuit-elle. En-dehors de l’exfiltration de ces cadres, ce sont 140.000 habitants qui ont été évacués au cours des deux dernières semaines, déplacés vers la Crimée.

Le bâtiment administratif débarrassé du drapeau russe.
Le bâtiment administratif débarrassé du drapeau russe. © Nexta_TV via BFMTV

« Intenable »

Dans une émission de propagande, le vice-gouverneur pro-russe de la région, Kirill Stremoussov, n’a pas hésité à sauter un pas supplémentaire. Il a assuré que l’armée s’apprêtait à lâcher la ville. D’après les images diffusées par BFMTV, ses troupes ne sont, en tout cas, déjà plus visibles dans les rues.

Selon le colonel Michel Goya, l’un des consultants de BFMTV pour les questions de Défense, il n’y a pas lieu de s’en étonner: « La ville de Kherson est située sur la rive droite du Dniepr. A terme, les Russes ne pourront pas la tenir, c’est une bataille perdue d’avance qui sera forcément gagnée par les Ukrainiens. »

Situation géographique de Kherson.
Situation géographique de Kherson. © BFMTV

Le danger d’un combat de rues

Son confrère, et lui aussi consultant de BFMTV en matière militaire, Jérôme Pellistrandi, a exposé une position plus nuancée ce vendredi matin.

« Le plus dur reste à faire », a-t-il ainsi initié.

Au moment de faire le point sur les dernières opérations, il a cependant listé les atouts ukrainiens: « Quand on regarde une carte, on a la rive droite du Dniepr et une reconquête progressive de zones plutôt agricoles. Et tout ce qui est autour de Kherson est relativement facile (d’accès, NDLR) quand on est en offensive. »

En revanche, pour le général, si l’approche de la cité est relativement aisée, un combat de rues le serait beaucoup moins: « Maintenant l’intérêt des Russes est de s’appuyer sur la ville de Kherson qui est intacte pour profiter de ses infrastructures. C’est une ville qui est sur le fleuve, c’est un port et une ville industrielle donc s’ils veulent user l’armée ukrainienne, c’est le meilleur endroit. »

Les opérations en cours autour de Kherson.
Les opérations en cours autour de Kherson. © BFMTV

L’officier a alors soumis une option tactique: « Une des hypothèses de travail pourrait être: ‘On abandonne une partie de la rive droite car ce n’est pas défendable mais on s’accroche dans la ville’. » La guérilla urbaine présente en effet un double avantage pour les Russes: elle promet de se révéler gourmande en hommes pour l’assaillant, tout en permettant une certaine économie de moyens pour l’assiégé.

« En offensive, vous devez avoir un rapport de six contre un. Donc si on met 10.000 soldats russes à Kherson, il faut 60.000 soldats ukrainiens », a chiffré le général Jérôme Pellistrandi.

La question civile

Le Kremlin pourrait faire le calcul d’autant plus rapidement que le sacrifice de quelques milliers de vies humaines ne l’effraie pas vraiment. « La question des pertes n’est pas un problème pour Vladimir Poutine. Si vous infligez des pertes égales aux soldats ukrainiens qui iront au combat urbain, vous avez quand même un gain tactique », a d’ailleurs affirmé le consultant Défense de BFMTV.

Certes, de nombreux civils ont déjà été conduits hors les murs de la ville. Mais même en déduisant ces 140.000 évacués des 290.000 habitants que comptait Kherson avant la guerre, les 150.000 qui y demeurent se trouvent au centre de ces feux croisés. Une donnée à même de ralentir l’offensive.

« C’est un vrai dilemme tactique pour les Ukrainiens car il va peut-être falloir bombarder et détruire une grande partie d’une ville dans laquelle il y a une grande partie de la population ukrainienne qui est restée », a posé le général Jérôme Pellistrandi.

Bataille pour l’opinion

Intervenant en duplex depuis Kiev, la députée ukrainienne Alona Shkrum a préféré souligner l’adhésion des locaux à la cause nationale, même arrachés à leur patrie par les visées expansionnistes de Vladimir Poutine. « Je peux vous dire qu’il y a une résistance super forte à Kherson. Il y a eu beaucoup de flyers, de peintures à Kherson pour dire que Kherson, c’est l’Ukraine, que c’était un faux référendum », a-t-elle assuré.

L’affrontement militaire se double en effet d’une bataille pour l’opinion. Et l’autocrate russe doit prendre son propre public en compte au moment de trancher le sort de Kherson. « Théoriquement, Kherson reste russe puisque ça a été annexé. Une décision qui paraît aberrante, et qui symboliquement fera mal si la Russie doit évacuer Kherson », a enfin mis en évidence la diplomate Sylvie Bermann.

Robin Verner

Robin Verner Journaliste BFMTV

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