La Russie a dit son intention d’organiser prochainement à Marioupol le procès des combattants du régiment Azov – qui ont lutté pour la défense de la ville, jusqu’à sa chute en mai dernier – qu’elle tient pour des « terroristes » et des « nazis ». Tandis que les vétérans du régiment et anciens prisonniers des Russes s’émeuvent, le président ukrainien Volodymyr Zelensky avertit que ces audiences constitueraient le franchissement d’une ligne rouge.
En six mois d’invasion russe, il n’est sans doute pas plus grand symbole de la résistance ukrainienne que la ville-martyre de Marioupol, tombée en mai dernier, aux mains de l’envahisseur. Et les soldats du régiment Azov qui ont lutté pied à pied et jusqu’au bout contre les Russes, recroquevillés au fond de leur dernier bastion de l’aciérie d’Azovstal, ont incarné cette défense héroïque au premier chef. Ce sont justement ces combattants que la Russie dit désormais vouloir juger au travers d’un procès organisé au sein du théâtre de Marioupol. Les images de la salle philarmonique réaménagée en prétoire, filmées par la télévision russe et mises en ligne par le New York Times dès le 11 août dernier, ont ulcéré les dirigeants et la population de l’Ukraine.
Des grilles et des cages
Il n’est plus question d’art lyrique à la Philarmonie de Marioupol, à en juger par les plans qu’y ont tourné les équipes de télévision russes. On y voit l’endroit garni de grilles, de cages, figé dans l’attente d’un « Nuremberg » des plus rudimentaires. Car les Russes entendent y faire comparaître les combattants du régiment Azov qu’elle décrit officiellement comme des « nazis » et des « terroristes », selon les termes utilisés le 2 août par la Cour suprême moscovite, une ultime qualification qui expose les accusés à des peines allant de 20 ans de prison à la peine de mort.
« Les débats se tiendront à Marioupol, donc ce n’est pas la Russie qui jugerait mais bien les séparatistes. Cette nuance implique la possibilité de la peine de mort, qui est soumise à un moratoire en Russie », explique Patrick Sauce, éditorialiste international pour BFMTV.
Un « faux procès »
Et il ne faut pas rêver à l’impartialité des audiences. » Ce serait un faux procès », a ainsi alerté sur notre antenne ce mardi, Anastasia Kirilenko, journaliste indépendante russe et réalisatrice du documentaire Poutine, la mafia et la Russie. Pour elle, il ne faut pas s’y tromper: des magistrats séparatistes pourront bien porter l’hermine, c’est bien la Russie qui prononcera le verdict.
« La Russie va imputer ses propres crimes de guerre à ce régiment Azov. Déjà sur le site du comité d’enquête russe, on attribue aux ‘néonazis d’Azov’ le bombardement de la maternité de Marioupol, comme le bombardement du théâtre dramatique« , a-t-elle indiqué.
Certes, les liens historiques entre le régiment Azov et l’extrême droite ukrainienne ont existé mais l’unité était depuis incorporée au sein de l’armée régulière. De toutes façons, peu importe le profil de ses membres, les soldats captifs sont en principe protégés par le droit international. Or, les prévenus ne devraient bénéficier cette fois d’aucune garantie.
« La Russie annonce un procès international. Peut-être qu’il y aura des observateurs de la Syrie », a suggéré Anastasia Kirilenko.
Récits de tortures
Vladislav Jaïvoronok, vétéran du régiment, blessé lors des combats et ancien prisonnier des Russes, a dénoncé devant nos caméras: « La Russie avait déjà déclaré que le régiment Azov était une organisation terroriste. Le monde entier sait que c’est faux mais leur objectif est de prouver que les combattants sont des terroristes. Et ils le font uniquement pour le grand public russe. »
Les « ex » du régiment Azov qui ont pu recouvrer leur liberté après un échange de prisonniers entre l’Ukraine et la Russie font état de sévices et de tortures subies en captivité. Durant une conférence de presse en ligne à laquelle l’AFP a assisté lundi, Denys Tcherpouko, lui aussi ancien défenseur de la scierie d’Azovstal, a raconté:
« En captivité, j’ai vu comment nos gars ont été passés à tabac (…) ils nous ont déshabillés, nous ont forcé à nous baisser en étant nus. Si quelqu’un levait la tête, ils commençaient à le frapper immédiatement. (…) J’ai vu un soldat être emmené de notre cellule et deux jours plus tard, ils l’ont ramené. Il ne pouvait plus bouger, ses côtes et ses jambes étaient cassées. Je ne connais pas son sort ».
Insoutenable incertitude
Une incertitude que vient redoubler celle de cet hypothétique procès et qui pèse sur l’opinion ukrainienne. A Kiev, une bannière, élaborée par l’Association des familles des combattants d’Azovstal, a été déployée au fronton d’un immeuble, proclamant (en anglais): « Libérez les défenseurs de Marioupol! »
Dans son allocution nocturne de dimanche soir, le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, a lui-même lancé:
« Si ce procès-spectacle ignoble a lieu, si notre peuple se retrouve là-bas en violation de toutes les règles internationales, s’il y a des abus, une ligne sera franchie et toute négociation impossible. »
Un retard dans un processus de paix – dont on peine à imaginer l’aboutissement pour l’heure – d’autant plus cruel que le bilan de la guerre est déjà lourd au plan militaire pour l’Ukraine. D’après les chiffres dévoilés par son armée elle-même, 9000 soldats ukrainiens ont déjà perdu la vie depuis le 24 février, et le pays a été criblé de 3500 missiles de croisière russes.
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