Une médecin et chercheuse en nutrition alerte sur les risques pour la santé du jeûne prolongé. Des risques à court et à long termes.
Alors que le naturopathe Éric Gandon a été mis en examen jeudi et placé en détention provisoire après la mort d’une femme lors d’un stage de « cures hydriques », une médecin et scientifique met en garde contre les risques élevés pour la santé de ces jeûnes de longue durée.
« Le risque, c’est de se rendre malade », dénonce pour BFMTV.com Cécile Bétry, médecin spécialisée en endocrinologie et maîtresse de conférences à l’Université Grenoble Alpes.
Moins de 300 kcal par jour
Le principe de ces « stages » ou « cures »: un jeûne à base d’eau, de tisanes et parfois de jus, bouillons et soupes. Mais à très légère dose: pas plus de 300 kcal par jour. Une restriction alimentaire souvent associée à de l’activité physique: certains séjours proposent en effet de jeûner tout en randonnant une dizaine de kilomètres par jour.
Le problème, pointe Cécile Bétry, c’est que le jeûne prolongé impose au corps de s’adapter en diminuant son métabolisme:
« C’est comme s’il se mettait en hibernation », précise cette praticienne hospitalière. « Il va donc entamer ses stocks, notamment de vitamines, phosphore ou encore potassium, et d’autant plus si on lui impose une activité physique. »
Ce qui peut présenter des risques considérables. Elle prend l’exemple de la vitamine B1.
« On a en moyenne deux semaines de stock. Comme l’organisme va puiser dans ses réserves, les besoins vont être sensiblement augmentés. Or, une carence en B1 peut entraîner des complications potentiellement graves et irréversibles avec confusion, troubles neurologiques ou oculaires et paralysie. »
Quant à une carence en potassium, « le risque, c’est l’arrêt cardiaque », ajoute-t-elle. Des complications qui peuvent d’ailleurs subvenir bien après le jeûne. Éric Gandon est également visé par une autre plainte pour le décès d’un homme âgé d’une soixantaine d’années qui avait participé à un stage le mois précédent alors qu’il présentait un cancer en phase terminale.
« Vous entamez votre capital santé »
Si les organisateurs de ces stages et les jeûneurs eux-même vantent et se félicitent d’une perte de poids, elle serait de court terme, illusoire et non sans risques, pointe encore Cécile Bétry.
« L’organisme est fait de telle sorte que lors d’une perte de poids rapide, il va tout faire pour reprendre ces kilos perdus dès la reprise alimentaire. »
Par ailleurs, cette chercheuse spécialiste des régimes amaigrissants explique que le jeûne prolongé impose à l’organisme de produire de l’énergie. Des corps cétoniques, une sorte d’énergie compensatoire aux glucides qui ne sont pas apportés par l’alimentation et qui ont notamment pour effet de réduire la sensation de faim. « Comme l’appétit diminue, on peut s’imaginer dès le deuxième jour que tout va bien. Mais ce n’est pas le cas. »
Car si l’organisme doit puiser dans les tissus adipeux pour produire ces corps cétoniques, il entame aussi la masse musculaire. « Cela peut ne pas sembler grave à 30 ans. Mais avec plusieurs épisodes de jeûne prolongé qui réduisent à chaque fois votre masse musculaire, sans compter le fait que les muscles diminuent inévitablement avec l’âge, vous entamez le capitale santé de votre futur, quand vous aurez 60 ou 70 ans. »
Pour Cécile Bétry, aucune justification scientifique ou médicale ne permet de promouvoir le jeûne prolongé, tout comme le jeûne de courte durée. « Jeûner un jour ou deux ne présente pas de complication majeure mais pas de bénéfice non plus, si ce n’est de prendre le risque de recommencer, et cette fois un peu plus longtemps. »
Dans une note sur le jeûne à visée préventive ou thérapeutique réalisée avec l’Inserm, le ministère de la Santé rappelle que « tout jeûne important, qu’il soit complet ou partiel (avec apport calorique journalier inférieur à 300 kcal), ne doit être effectué qu’au sein d’une structure médicalisée pour éviter la survenue d’effets indésirables graves ».
« Régénération » et « purification »?
Certains de ces organisateurs de jeûnes d’une, deux ou trois semaines promettent « régénération profonde », « purification » et « nettoyage complet ».
« L’idée de purifier son organisme, en termes de santé ou de médecine, ça ne veut rien dire », tranche Cécile Bétry. Et c’est même l’inverse qui se produit.
« En jeûnant, l’organisme puise dans les muscles et les tissus adipeux. Ce qui libère dans la circulation sanguine tous les polluants qui y étaient stockés. Vous vous retrouvez donc avec plus de toxines dans votre corps. »
Certains organisateurs se targuent aussi d’une « amélioration des symptômes liés à certaines pathologies » et assurent que ce type de jeûne est « efficace » pour « soulager » « cirrhose, cancer du foie, tumeurs ».
« Non, c’est gravissime de dire ça », s’inquiète Cécile Bétry, la chercheuse en nutrition. « Ça ne repose sur rien de scientifique ou de médical ». Et ajoute, dans le cas de certaines maladies, qu’une perte de poids ne ferait au contraire qu’aggraver la pathologie et entamer les chances de survie du patient.
« Quelqu’un qui souffre d’un cancer ou de diabète a déjà un organisme altéré du fait de la maladie. Jeûner, c’est se rendre malade un peu plus. Le jeûne, c’est un stress majeur pour l’organisme. »
Le Réseau nutrition activité physique cancer recherche de l’Inrae, qui a réalisé une expertise sur le sujet, concluait par ailleurs qu’il n’y a « pas de preuve chez l’homme d’un effet protecteur du jeûne et des régimes restrictifs en prévention primaire ou pendant la maladie ».
« Abus de faiblesse » et « dérives sectaires »
Christian Gravel, le président de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes), dénonce sur BFMTV le risque de « dérives thérapeutiques et sectaires » et « d’abus de faiblesse », notamment auprès de personnes qui souffrent déjà de problèmes de santé, parfois graves.
« On est confronté à un public qui est déjà vulnérable (…) qui constitue une base idéale pour des professionnels de l’emprise mentale, qui utilisent les circonstances et leur vendent des recettes miracles qui peuvent se traduire par des drames ».
Le président de la Miviludes assure enregistrer « un nombre croissant » de dérives liées à la naturopathie. « Tous les naturopathes ne sont pas des délinquants ou des prédateurs sectaires mais malheureusementr beaucoup trop le sont. »
« Ce sont non seulement des charlatans mais des criminels », insiste Christian Gravel, de la Miviludes.
Le naturopathe Éric Gandon est poursuivi pour homicide involontaire, abus de faiblesse, mise en danger de la vie d’autrui et exercice illégal des professions de médecin et pharmacien.
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