Nicolas Sarkozy est jugé en appel depuis lundi pour « corruption » et « trafic d’influence » dans l’affaire dite « Paul Bismuth ». Des écoutes de ces conversations sur une ligne officieuse ont été diffusées.
« Moi aussi, j’ai le droit au mien! » Les avocats de la défense préfèrent s’en amuser. Ils sont logés à la même enseigne que toutes les personnes présentes, avocats généraux y compris, dans la salle de la cour d’appel qui juge depuis lundi Nicolas Sarkozy pour « corruption » et « trafic d’influence ». Alors que des écoutes des conversations téléphoniques de l’ancien président de la République doivent être diffusées, des sacs congélation ont été distribués pour que chacun y glisse son téléphone portable, éteint, et le dispose de manière visible aux yeux des gendarmes présents dans la salle.
Précautions prises, il est 14h passé lorsque la voix de Nicolas Sarkozy résonne dans la salle d’audience. Une première. « Allô mon Thierry, je te dérange pas? », l’entend-on dire à son avocat et « ami » Thierry Herzog ce 28 janvier 2014 à 12h24. La conversation porte immédiatement sur le sujet qui intéresse l’ancien chef d’État, le pourvoi en cassation qu’il a formé pour faire annuler la saisie de son agenda présidentiel dans le cadre de la procédure Bettencourt. Chaque jour les deux hommes se parlent, parfois plusieurs fois par jour.
« On a des nouvelles de la Cour de cassation? », questionne alors Nicolas Sarkozy le 18 février 2014, mais aussi lors de chaque échange avec son avocat.
Au fil de ces écoutes, on sent l’ancien président de la République inquiet de la saisie de ses agendas et de la procédure en cours pour les récupérer.
« On pourrait peut-être appeler Gilbert »
À cette époque, la Cour de cassation doit rendre sa décision concernant le pourvoi formé par l’ancien président. Le rapporteur général de la juridiction vient de rendre son rapport, « neutre » selon Thierry Herzog, des réquisitions viennent d’être prises qui vont dans le sens de la demande de Nicolas Sarkozy, estimant que les juges en charge du dossier Bettencourt ont « délibérément ignoré la qualité de président » et la chambre criminelle de la Cour de cassation doit se prononcer.
« On pourrait peut-être appeler Gilbert maintenant, il m’a dit une chose importante. Ils (les conseillers de la Cour de cassation, NDLR) se décident maintenant », demande Nicolas Sarkozy à son avocat Thierry Herzog.
Gilbert Azibert est alors premier avocat général près de la Cour de cassation mais dans une chambre civile. Il apparait dans ces 25 extraits de conversations diffusés que le magistrat, et « ami » de Thierry Herzog comme il l’a dit à la barre, qu’il s’est renseigné sur la décision qui va être prise par la Cour de cassation.
« Je viens d’avoir Gilbert », indique plusieurs fois Thierry Herzog. Le 29 janvier, le 5 février, le 10 février le 11 février ou encore le 15, le nom de Gilbert Azibert apparaît dans ces écoutes diffusées pour la première fois dans une salle d’audience.
– « T’as eu Gilbert? », interroge Nicolas Sarkozy le 10 février 2014.
– « Non, il m’a dit qu’il avait vu un conseiller qui siège dans la formation », explique ce jour-là l’avocat.
– « Je lui ai encore laissé un message, explique le lendemain l’avocat. Il va me rappeler, il ira à la chasse demain. Il en a vu un (conseiller de la Cour de cassation, NDLR) encore hier qui ira dans le bon sens. Il en aura vu trois avant qu’ils délibèrent. »
« Dis-lui que je m’en occuperai »
Nicolas Sarkozy, Thierry Herzog et Gilbert Azibert sont jugés en appel pour « corruption ». Il est reproché au magistrat d’avoir tenté de peser sur la décision de la Cour de cassation concernant l’ancien président de la République. « Peut-être que d’ici mercredi je croiserai des conseillers de confiance », lance un interlocuteur, magistrat aussi à la Cour de cassation, à Gilbert Azibert lors d’une conversation téléphonique le 27 février 2014, également diffusée à l’audience.
En échange de ces renseignements fournis à l’ancien chef d’Etat, Gilbert Azibert a demandé un coup de pouce pour l’obtention d’un poste à Monaco. Cette demande, qui constitue selon l’accusation la contre-partie nécessaire pour faire exister un pacte de corruption entre les trois hommes, a été porté par Thierry Herzog auprès de Nicolas Sarkozy sur cette ligne officieuse ouverte sous le nom de « Paul Bismuth ». « Appelle moi sur l’autre téléphone (sa ligne officielle, NDLR) », réclame parfois l’ex-chef d’Etat alors qu’il se sait sur écoute dans le cadre d’une autre, encore, procédure judiciaire.
– « Il m’a parlé d’un poste à Monaco. Je lui ai dit ‘bien sûr, t’inquiètes pas, laissons pas ça’. Le poste se libère en mars, je lui ai dit ‘le président te recevra' », explique Thierry Herzog ce 5 février 2014.
– « Dis-lui que je m’en occuperai, là je vais à Monaco, je mettrai un mot », répond Nicolas Sarkozy, à son ton, visiblement informé pour la première fois de cette demande, répondant de manière à écourter la conversation.
Le 24 février, Nicolas Sarkozy reparle de cette demande, « un service rendu à son ami Thierry Herzog », avait-il martelé lors du procès en première instance. «
– « Je vais essayer de voir un ministre d’État à Monaco, pour Gilbert », informe-t-il.
– « Si tu lui donnes un coup de main, ça serait forcément mieux », estime Thierry Herzog.
– « Tu peux lui dire que je suis là-bas, et je vais faire une démarche auprès du ministre d’État », insiste Nicolas Sarkozy.
Pas de lien de causalité selon la défense
Pourtant, changement radical d’attitude, mais aussi de ton, le 26 février 2014 quand Nicolas Sarkozy, sur un ton beaucoup moins amical et de confidence que lors de ses conversations sur sa ligne officieuse, informe Thierry Herzog qu’il n’avait pas porté la candidature de Gilbert Azibert auprès du haut fonctionnaire monégasque.
« Tu vas m’en vouloir, j’ai réfléchi depuis, explique-t-il sur sa ligne officielle. J’ai pas parlé de Gilbert, c’est pas venu dans la conversation. Ça m’embête de lui demander quelque chose parce que je ne le connais pas. »
Pour la défense, le pacte de corruption, qui a motivé la condamnation en première instance de Nicolas Sarkozy à trois ans de prison dont un an ferme, n’existe pas. Selon elle, le lien de causalité entre les renseignements fournis par Gilbert Azibert et la demande d’une aide pour obtenir un poste à Monaco n’existe pas. Au final, le pourvoi en cassation de Nicolas Sarkozy a été rejeté et Gilbert Azibert a pris sa retraite en 2014.
Pour l’accusation, ce revirement est dû au fait que Nicolas Sarkozy et Thierry Herzog ont appris que cette ligne Bismuth était elle aussi sur écoute.
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