Chute de pierres, avalanches… Ces processus naturels ont toujours fait partie de la haute montagne et sont connus de celles et ceux qui la fréquentent. Mais la nouvelle donne climatique rend multiplie et intensifie les risques.
« Les glaciers n’ont pas attendu le changement climatique pour être dangereux », affirme la glaciologue Heïdi Sevestre. Dans la nuit de dimanche à lundi 5 août, une chute de sérac a emporté plusieurs personnes lors de l’ascension du mont Blanc, faisant un mort, deux disparus et quatre blessés dont un grave.
Ces chutes d’énormes blocs de glace sont naturelles et dues à l’avancement du glacier qui fonctionne « comme une machine à pièces avec beaucoup de poids qui pousse par l’arrière donc on peut avoir des chutes de sérac, de glace, par-devant ».
Toutefois, comme l’explique François Gemenne, chercheur et membre du Giec, avec le réchauffement climatique, les chutes de glace, et également de pierres, vont « devenir de plus en plus fréquentes ».
Un itinéraire évité en été
Dans l’accident de ce lundi, le niveau technique des alpinistes n’est pas mis en cause. En effet, les chutes de sérac sont imprévisibles et peuvent survenir à n’importe quel moment. « Le trop-plein de glace est de temps en temps évacué par le glacier, c’est une dynamique normale » explique Luc Moreau, glaciologue.
« C’est toujours un peu la roulette russe », indique-t-il.
Néanmoins, Étienne Rolland, commandant du peloton de gendarmerie de haute montagne (PGHM) de Haute-Savoie, souligne que « les professionnels de la montagne ont tendance à éviter cet itinéraire au fur et à mesure que la saison estivale passe parce que les conditions de neige sont de plus en plus compliquées et que l’itinéraire est de plus en plus technique ».
Vers une disparition des glaciers en France
Le dérèglement climatique est « un accélérateur et amplificateur » des risques préexistants de la montagne. « Les glaciers sont dangereux et les régions deviennent de plus en plus imprévisibles et changent de comportement face à l’augmentation des températures », affirme Heïdi Sevestre.
La fonte des glaciers et la hausse de température du permafrost (ou pergélisol) déstabilisent la montagne. Tout ce qui est habituellement tenu par la glace dans les couches profondes s’écroule ainsi plus facilement. Conséquence: les chutes de sérac ou de pierres sont plus fréquentes.
« Il y a beaucoup de courses (sorties en montagne, NDLR) qu’on ne fait plus aujourd’hui », illustre ainsi Xavier Roseren, député de la 6e circonscription de Haute-Savoie.
Comme le note le ministère de la Transition écologique, les glaciers ont reculé de façon spectaculaire, surtout depuis les années 1980. Dans les Alpes, ils ont perdu 70% de leur volume depuis 1850, dont 10 à 20% depuis 1980. Dans les Pyrénées, le glacier d’Ossoue a perdu 64% de sa surface entre 1924 et 2019.
« Même dans les scénarios les plus optimistes, où la planète atteindrait la neutralité carbone d’ici 2050, les experts prédisent la disparition des glaciers en France, sauf à très haute altitude », écrit le Centre de ressources pour l’adaptation au changement climatique.
Hausse des températures
La hausse des températures et l’élévation de l’isotherme « zéro degré » (l’altitude où le mercure passe en dessous de 0°C) liées au changement climatique ont également d’autres conséquences négatives sur la montagne.
Elles peuvent engendrer « la formation de poches d’eau qui exposent les populations environnantes ». Ainsi la commune de Chamonix a-t-elle dû vidanger en partie le lac formé à la suite de la fonte du glacier des Bossons.
En outre, la diminution de l’enneigement (la neige stocke l’eau pendant l’hiver, l’eau est rendue disponible au printemps lors de la fonte), se pose la question de la disponibilité de la ressource en eau dans ces régions.
Et les êtres humains ne sont évidemment pas les seuls affectés puisque le dérèglement climatique atteint également la biodiversité avec une hausse du risque d’extinction des espèces adaptées au froid. Selon le Giec, en haute montagne, 44 espèces animales et 186 espèces de flore sont menacées.
Perte d’enneigement
« La montagne fait partie des écosystèmes qui vont ressentir le plus durement et fortement les impacts du réchauffement climatique », explique François Gemenne. Dans les Alpes et les Pyrénées françaises, la température a augmenté de +2°C au cours du 20e siècle, contre +1,4°C dans le reste de la France.
« C’est vrai en hiver avec des conditions d’enneigement qui vont devenir de plus en plus difficiles, et en été avec ces risques d’accident pour la randonnée et l’alpinisme », souligne l’expert.
« Ça pose une question sur le futur touristique des stations de montagne », interroge-t-il.
Alors que les Jeux olympiques d’hiver de 2030 ont été attribués, sous conditions, à la France, la pratique des sports de neige, notamment le ski de piste, est questionnée. « Le risque, c’est d’avoir une pratique du ski qui soit réservée à une toute petite élite , alors que c’est déjà qu’une minorité de Français qui part en vacances de sport d’hiver », pointe François Gemenne.
Selon lui, « le changement climatique va à l’encontre de l’idée de la démocratisation de la pratique de ces sports ». D’après une étude, près d’un mois d’enneigement a été perdu dans l’ensemble des Alpes en basse et moyenne altitude depuis un demi-siècle.
Adaptation
Plusieurs stations de montagne cherchent ainsi à s’adapter, à l’instar de celles qui entendent progressivement sortir du « tout ski » en diversifiant leurs pratiques. Les activités d’alpinisme doivent également se réinventer face aux changements provoqués par le dérèglement climatique.
« Maintenant que la chaleur s’est installée au pays du mont Blanc, il y a plein d’autres courses qu’on peut faire plutôt que d’aller chatouiller les démons et prendre des risques inutiles », affirme Jean-Marc Peillex, maire de Saint-Gervais.
« Ça serait bien d’être raisonnable et peut-être se dire qu’au mois d’août, on fait autres choses, on fait d’autres courses, et on reprendra la course du mont Blanc en septembre », complète-t-il, regrettant l’attitude de certains alpinistes qui s’engagent parfois dans l’ascension du plus haut sommet d’Europe sans écouter les recommandations.
« Tout ça, les guides l’ont intégré », assure Xavier Roseren, député de la 6e circonscription de Haute-Savoie.
« C’est un métier d’adaptation et on continuera à faire de la montagne pendant très très longtemps, mais de façon différente », conclut-il.
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