L’été 2023 a donné à l’humanité un goût de « l’effondrement climatique ». Les événements extrêmes et meurtriers se sont enchaînés sans interruption. Une partie du monde dans les flammes, l’autre noyée.
« Alors, t’as eu beau temps? » À l’heure de la rentrée, cette incontournable phrase ne manquera pas d’alimenter les discussions autour de la machine à café. À n’en pas douter, les réponses seront aussi contrastées que l’été que la France a connu cette année.
Si le mois d’août et le début du mois de septembre ont été marqués par des vagues de chaleur, des canicules et autres records de températures, des averses incessantes et parfois des orages conséquents ont également beaucoup fait parler d’eux durant la saison. Des aléas climatiques scrutés de près, après un été 2022 particulièrement dévastateur.
Certes, sur le front terrible des incendies, s’il y a bien eu quelques feux, les scènes désolantes l’an passé n’ont pas été reproduites. Les conditions étaient pourtant là. Un cocktail de chaleur intense et sécheresse désertique sur une grande partie de la métropole. Une prouesse à attribuer aux soldats du feu qui ont « tiré les leçons du traumatisme de l’année passée », comme le raconte le lieutenant-colonel Jérôme Bonnafoux.
Cet été – relativement – calme en Hexagone est pourtant l’arbre qui cache le feu de forêt. L’été 2023 a été pour de nombreuses personnes à travers le monde celui de vies parties en fumée dans les flammes ou ravagées par des torrents meurtriers, de la tranquillité soufflée par des tempêtes aussi imprévisibles qu’incontrôlables. Un été où l’Homme prend de plein fouet les conséquences de l’inaction climatique, malgré les alertes sur l’emballement du climat.
« Le feu est un monstre qui joue avec vos nerfs »
L’étendue de cette menace brûlante, Maximilien Leboulanger a pu la palper, la sentir jusque sous sa combinaison anti-feu, même à « plusieurs dizaines de mètres ». Pendant des jours, le pompier rennais a combattu encore et encore les flammes du Canada. Il se rappelle les immenses nuages de fumée qu’il surplombait quotidiennement en hélicoptère, avant d’être lâché dans le brasier depuis le ciel.
« Nous étions héliportés au coeur du feu dans les massif par équipe de 4 ou 5. Devant nous, des flammes d’une vingtaine de mètres. Heureusement, j’étais très bien préparé à ces situations », raconte l’un des 126 Français mandaté par la France pour prêter main forte.
Ses ennemis, deux feux ayant déjà incinéré 360.000 hectares de nature laissée exsangue par la sécheresse. Un immense champ de bataille où flottait partout comme une sale odeur de conifères cramés dans une cheminée. Chaque jour pendant trois semaines, de 6h30 à 18h, son groupe menait des batailles contre les différents départs de feu, sans jamais avoir l’ambition ou la naïveté de croire gagner la guerre.
Dans un pays aussi immense que le Canada, où toute une partie du territoire n’est peuplée que de rares ours ou de familles de chipmunk, il n’est pas question de viser un objectif zéro flammes.
« D’entrée de jeu, les Canadiens nous ont malheureusement dit devoir vivre avec le feu. Il y a des zones qu’ils savent devoir laisser brûler, on se concentre sur les flammes qui menacent des points d’intérêt ou des habitations », rapporte Maximilien.
L’un de ces points à préserver: une réserve des Premières nations – appellation préférée au terme « indien d’Amérique », très connoté. Là-bas, 1500 Wemindji étaient menacés par la flambée progressive des alentours. Sa mission auprès d’eux a marqué à vie la vie du pompier. S’il estime que « le feu est un monstre qui joue avec [les] nerfs », il surligne encore et encore l’importance de garder la tête froide face à l’ennemi indomptable.
Le Rennais a pu compter sur un accueil digne de la réputation des Québécois pour souffler chaque soir de son « marathon ». « Une image m’a marqué, ces petits mots qu’ils nous laissaient pour nous remercier dans nos déjeuners », sourit-il.
« Merci d’avoir quitté vos maisons pour sauver les nôtres ».
Au moment de rentrer en France, Maximilien a ramené avec lui le goût « du devoir accompli ». Si 255 boules de feu rongent encore le territoire, il aura fait sa part pour soulager une fraction des 6000 incendies répertoriés en douze semaines. Le sentiment d’avoir fait de son mieux pour qu’aucune vie ne s’ajoute aux 6 personnes qui ont perdu la vie dans les flammes du Canada, dont 4 soldats du feu.
En Grèce, les flammes continueront « jusqu’à ce qu’il n’y ait plus rien à brûler »
Au Canada, 15 millions d’hectares ont été la proie des incendies. Soit à peu près l’équivalent d’un pays comme la Grèce. Et justement… L’été fut tout aussi catastrophique pour ce pays du sud-est de l’Europe. Depuis quelques jours, la Grèce est victime d’inondations dévastatrices. Localement, les précipitations avoisinent 500 à 600 mm d’eau, soit l’équivalent d’un an de pluie: d’un coup. Une plaie quasi-biblique qui a, là encore, pris des vies.
Ce chapitre terrible s’ajoute à l’horreur du reste de l’été. Une saison en effet également marquée par des incendies violents. Deux événements qui pourraient par ailleurs être liés. Le dernier rapport du Giec met en évidence les liens entre réchauffement climatique et (très) fortes précipitations. Les incendies viennent intensifier le cycle de l’eau. L’évaporation est plus importante, les nuages plus gorgés, et donc, les précipitations plus vigoureuses.
Si ces événements sont proportionnels, les ravages des inondations ne peuvent que laisser entrevoir le calvaire qu’ont connu les Grecs pendant les incendies, dont 667 auraient été déclenchés par la main humaine, parfois avec des intentions nuisibles.
Rhodes, Béotie, Athène… Le plus terrible de ces brasiers a été identifié dans le parc national de Dadia, dans le nord-est du pays. « Le plus grand incendie jamais enregistré dans l’UE », comme l’ont appelé les autorités, est encore aujourd’hui vivace.
Laissés libres trop longtemps, et dans des conditions de sécheresse absurde, « ces méga-feux ne peuvent pas être arrêtés », prévient Theodore Giannaros, chercheur spécialiste du climat et de l’environnement à l’Observatoire national d’Athène.
« Ils s’allument et se propagent dans des conditions météorologiques extrêmes qui contribuent à leur croissance explosive et, très souvent, au développement d’un comportement imprévisible. Le plus souvent, ils ne s’arrêtent que lorsqu’il n’y a plus rien à brûler ou lorsque les conditions météorologiques s’améliorent ».
En Grèce et dans « d’autres pays méditerranéens », « si nous ne faisons rien pour atténuer le changement climatique, ces incendies de forêt ne feront qu’empirer! », prévient l’expert. Avis aux téméraires, la Grèce offre une semaine de vacances aux touristes évacués en raison des incendies.
« Pris à la gorge »
Des vacances marquées par le rouge d’un brasier, c’est justement ce qu’a rencontré Colyn, un étudiant parti en vacances en Espagne, coincé entre Portbou et Colera, sur le flanc méditerranéen. Le 6 août dernier, lui, sa famille et deux amis se sont retrouvés « entourés par les flammes ».
Pendant de longues heures, il a assisté impuissant à l’arrivée lente mais inévitable d’un feu de forêt vers son camping.
Encore marqué par les événements, il se revoit cloîtré avec 300 campeurs dans un restaurant étriqué pour s’éloigner le plus possible des immenses gerbes orangeâtres et d’une « fumée qui tue » arrivés jusqu’au pas de sa porte.
« On y voyait comme en plein jour. On aurait dit l’apocalypse. (…) Mais je dois dire que regarder le feu danser a quelque chose d’hypnotisant, de fascinant », confie le jeune homme.
Son séjour au camping n’a pas été raccourci par les événements. Rentré une quinzaine de jours après le passage des flammes, il pouvait encore sentir à son départ l’odeur laissée en souvenir par cette soirée. Celle qui l’avait « pris à la gorge ».
En Inde, les torents de boue transportent des corps mutilés
Colyn est récemment rentré d’Espagne. Il a échappé de peu aux scènes de rues noyées par les pluies torrentielles. Des images de villes ensevelies sous une marée brune jonchée d’éléments non-identifiés qui rappellent avec effroi les calvaires vécus en Asie plus tôt, dont en Inde et en Chine.
En Chine, le typhon Doksuri a balayé en juillet une partie du nord du pays. Le bilan officiel fait état de 78 morts. Un compteur qui n’a cessé de progresser tout l’été, au fur et à mesure que le pays était successivement rincé par des perturbations plus ou moins similaires. Des phénomènes répétés, violents, encore une fois exacerbés par dérèglement climatique.
En Inde, au moins 65 personnes ont perdu la vie en raison d’une saison des pluies particulièrement destructrice. Un drame capturé le 14 août a marqué les esprits plus que les autres. L’effondrement d’un temple dédié à la divinité hindoue Shiva, le dieu de la destruction.
Une dizaine de personnes sont mortes lors d’un rassemblement. Ne restent de la tragédie que des clichés crus de corps mutilés et de proches priant pour que leurs familles fassent partie des rares rescapés du drame. En Inde, la saison des pluies, bien qu’intense, n’a jamais semblé aussi mortelle.
Moins mortelles, tout aussi terribles: des inondations exceptionnelles ont englouti une partie du nord et de l’Est de l’Europe:
« Nous n’avons jamais vu des niveaux de crue aussi élevés dans plusieurs rivières », s’alarmait un responsable de l’Agence norvégienne de l’énergie et de l’eau auprès de la presse locale.
En Norvège et en Suède, le passage de la tempête « Hans » laisse derrière lui des photos de maisons presque entièrement immergées, de tempêtes transformées en torrents et de terres agricoles aux allures d’une mer terreuse.
Cette même perturbation s’était par ailleurs émoussée avant d’arriver dans le nord-ouest de la France. Deux passages dépressionnaires, Patricia et Antoni, ont entraîné chez nous des violents coups de vent et des risques de vagues-submersion sur la côte, entre la fin juillet et le début du mois d’août.
« Menace abstraite et distante »
Si pour de nombreux Français, les vacances estivales ont été pluvieuses, ce ne sont pas quelques nuages capricieux qui doivent rester les témoins de la saison écoulée. Pour certains observateurs, comme António Guterres, le secrétaire général de l’ONU, les drames de l’été sont le signe que « l’effondrement climatique a commencé ». Celui-ci s’étrangle régulièrement en commentant l’inaction politique en matière de climat. Mais une séquence aussi brutale que celle-ci éveille-t-elle forcèment les consciences?
Aurore Grandin, doctorante en sciences cognitives à l’ENS et auteure d’une thèse sur la psychologie et la lutte contre le changement climatique, reste prudente:
« Il est indéniable que les épisodes climatiques extrêmes peuvent modifier les perceptions que les gens ont du changement climatique. Ces épisodes constituent des moments où les effets du changement climatique deviennent tangibles et immédiats, alors que la menace climatique est généralement perçue comme abstraite et distante dans le temps par beaucoup de gens », pointe-t-elle en préambule.
Or, « si les épisodes climatiques extrêmes changent les perceptions que les gens ont des risques climatiques, ils ne conduisent pas à des changements de comportements effectifs », ajoute-t-elle.
« Gouvernement climatosceptique »
Quid des politiques? Le 31 décembre 2022, Emmanuel Macron abordait la question par deux fois lors de ses voeux à la Nation. « Qui aurait pu prédire la crise climatique? », interrogeait le président de la République avant de renouveller son voeu d’une planification écologique datant de l’entre deux tours de la présidentielle en avril 2022.
Plus d’un an après, le gouvernement n’a toujours pas présenté ledit projet. Une première date a été donnée par le porte-parole du gouvernement, avant de se raviser sur celle-ci. Quelques jours plus tôt, lors des « rencontres de Saint-Denis », Marine Tondelier a fait savoir que la question de l’urgence environnementale n’avait pas été mise à l’ordre du jour.
Pour la députée écologiste Sandrine Rousseau – dont l’été a été marqué par une polémique saignante sur la viande et son lien aux incendies qui frappent le monde – le gouvernement n’apporte pas de réponse suffisante face à « l’ampleur du problème ». Elle regrette « un manque de leadership » de la part d’un « gouvernement manifestement climatosceptique ».
Pour sa part, la ministre Agnès Pannier-Runacher a reconnu un « été de tous les records » le 6 septembre. Elle a assuré qu’Emmanuel Macron mènerait « la bataille internationale », « sans faillir », contre les énergies fossiles.
« Il faut complétement changer de vitesse et la nature de nos efforts » pour lutter contre le réchauffement climatique, a reconnu la veille Emmanuel Macron en interview.
Une lutte aux allures de course contre la montre. Chaque été qui passe s’annonce comme « le plus frais » et le plus calme du reste de nos vies, selon le spécialiste du climat Daniel Swain. Peu réjouissant.
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