Carlos Tavares a écourté ses vacances pour passer cette semaine à Détroit, au siège nord-américain de Stellantis. Le groupe peine en effet à trouver un second souffle sur son marché le plus profitable.
En « immersion » avec les équipes locales. Visite d’usine, chez des concessionnaires, cette semaine, Carlos Tavares est à Détroit, au siège américain de Stellantis. Le dirigeant a écourté ses congés pour tenter de résoudre les difficultés que rencontre le groupe en Amérique du Nord, entre des gammes vieillissantes et des stocks qui s’accumulent, le tout sur fond de conflit social.
« Carlos Tavares se positionne en capitaine d’industrie, résume sur BFM Business Renaud Kayanakis, directeur associé chez Sia Partners. Compte tenu du niveau d’urgence sur le marché américain, il prend le parti de montrer qu’il est présent sur le terrain directement pour une nouvelle stratégie. »
Une nouvelle stratégie cruciale, car comme le rappelle à l’agence Reuters une source interne, « les opérations nord-américaines financent grosso modo le reste du groupe ». La locomotive a en effet significativement ralenti ces derniers mois (voir encadré ci-dessous).
L’Amérique du Nord, premier marché de Stellantis
L’Amérique du Nord reste de loin le premier marché de Stellantis avec 45% de ses ventes et plus de 38 milliards d’euros de chiffre d’affaires au premier semestre 2024, loin devant l’Europe à un peu moins de 30 milliards d’euros.
Mais ce chiffre d’affaires nord-américain était en baisse de 16%. Cette zone est aussi la plus rentable, avec une marge de plus de 11%, contre 6,9% en Europe au premier semestre. Mais là encore, la marge de la division nord-américaine s’est érodée: elle était de 17,5% au premier semestre 2023. Carlos Tavares avait d’ailleurs choisi d’endosser la responsabilité de cette contre-performance, estimant avoir été « arrogant » lors d’une réunion dans le Michigan fin juin.
Un trou d’air dans les gammes
Les raisons de ce ralentissement américain se trouvent d’abord, comme souvent dans l’automobile, dans les modèles proposés, avec un contexte de marché en décroissance au premier semestre.
« Aujourd’hui, le plus gros problème, c’est le plan produits qui n’est pas suffisamment dynamique et donc il y a une accumulation de stocks chez les concessionnaires », explique sur BFM Business Bertrand Rakoto, analyste chez Ducker Carlisle.
Trente nouveaux modèles sont attendus ces prochains mois, mais pour le moment ils ne sont pas là. Or les clients retardent leurs achats pour acquérir ces nouveaux véhicules, et comme le groupe a continué de produire les anciennes générations, les stocks s’accumulent, avec un effet ciseau qui risque de peser sur les comptes. Comme le souligne Les Echos, ce trou d’air touche notamment des modèles à gros volume comme les Jeep Cherokee ou Compass qui n’ont pas été renouvelés.
Pour se débarrasser des stocks, Carlos Tavares risque de devoir brader les véhicules, en faisant évoluer sa stratégie marketing, ce qui va à l’encontre de sa politique de « pricing power » (cette capacité à imposer un prix assez élevé au consommateur, en jouant sur la qualité, l’image du produit).
Dans une note publiée le mois dernier, la banque Deutsche Bank relevait que le niveau de stocks de Stellantis représentait encore environ 90 jours de ventes en Amérique du Nord, ce qui pèse sur la génération de cash. La banque allemande s’attendait à des baisses de prix substantielles de la part du groupe pour réduire ces stocks.
Carlos Tavares va aussi devoir revoir les conditions de production dans les usines, pour adapter leur rythme au marché.
Tensions sociales
Et si Carlos Tavares a mis lui-même les mains dans le cambouis, c’est aussi car l’état-major américain de Stellantis est en pleine transition. « Il y a eu plus de sept départs en fait dans les douze à dix-huit derniers mois, donc cela veut dire qu’il faut reconstruire une direction ici et pouvoir redonner une dynamique au niveau des employés, au-delà des produits eux-mêmes », souligne Bertrand Rakoto. De nouvelles nominations sont ainsi attendues début septembre.
La venue du grand patron doit aussi apaiser le dialogue social. Stellantis reste sous pression du puissant syndicat américain, UAW, après la grève d’ampleur de l’an dernier chez l’ensemble des constructeurs américains, et des accords trouvés pour sortir de l’impasse. Mais les possibles 2.500 suppressions de postes et donc une réduction des coûts dans l’usine de Warren dans le Michigan, suite à l’arrêt de la production du RAM 1500, un autre modèle à volume de Stellantis, a ravivé les tensions.
Le futur RAM 1500 sera produit sur un autre site. Le président du syndicat Shawn Fain reproche d’ailleurs directement à Carlos Tavares ces mauvais résultats. « Si un ouvrier du secteur automobile faisait un travail aussi minable que celui de Carlos Tavares, le PDG de Stellantis, il serait viré », avait-il lancé comme le rapporte Auto Infos.
Favoriser la croissance interne
Mais au-delà de ces problèmes conjoncturels se trouve peut-être un écueil plus structurel.
« Jusque-là, PSA puis Stellantis a énormément misé sur la croissance externe, on l’a vu dans la fusion avec Opel, puis celle avec FCA pour donner Stellantis donc beaucoup d’économies à travers des rapprochements et des fusions, souligne Bertrand Rakoto sur BFM Business. Aujourd’hui, il faut faire de la croissance interne, il faut investir sur l’entreprise ».
Une telle stratégie permettra-t-elle de maintenir la marge à deux chiffres, étoile polaire de Carlos Tavares depuis la création du groupe en 2021? C’est l’enjeu des prochains mois. Deutsche Bank juge, en tout cas, que cet objectif est « à risque » pour l’année 2024.
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