faut-il craindre une escalade entre la Chine et les Etats-Unis?

Le voyage de la speaker américaine intervient dans un moment crucial pour Pékin. Xi Jinping, qui doit être prolongé pour un troisième mandat à l’automne, fait face à une économie en berne.

En 1991, Nancy Pelosi, élue quatre ans plus tôt à la Chambre des représentants américaine, est en visite officielle en Chine. Lors de ce voyage parfaitement encadré, elle décide, avec deux autres élus américains, de venir glisser son grain de sable dans la machine diplomatique. Alors que le petit groupe se trouve à proximité de la place Tiananmen, les manifestations étudiantes ont été réprimées dans le sang deux ans plus tôt, les trois représentants américains s’isolent et déplient une banderole « à ceux qui sont morts pour la démocratie en Chine ».

Trente-et-un ans plus tard, devenue présidente de la Chambre des représentants, la Californienne n’a rien perdu de ses réticences face à l’empire du Milieu. Dernier fait d’armes? Son arrivée mardi à Taïwan pour une visite officielle, malgré le statut international flou de ce territoire revendiqué par la Chine.

Du côté de Pékin, cette visite du troisième personnage du pouvoir fédéral à Washington a entraîné insultes et menaces. Des « réponses militaires ciblées » ont même été promises. De quoi provoquer une opération chinoise sur Taïwan, voire, plus grave, une confrontation militaire entre Pékin et Washington?

La reconquête, objectif prioritaire de Xi Jinping

Pour comprendre les tenants et aboutissants de cette crise qui se dessine, il faut d’abord mesurer ce que Taïwan représente pour la Chine continentale. Depuis 1949, avec l’arrivée au pouvoir des communistes à Pékin et la fuite à Taïwan du gouvernement nationaliste chinois, les deux territoires sont gouvernés séparément. Mais en plus de 70 ans, la Chine continentale n’a jamais caché ses intentions de les réunir en un seul et même Etat, par la force s’il le faut.

« La reconquête de Taïwan fait partie de la mission historique du Parti communiste chinois », explique sur BFMTV Yannick Mireur, spécialiste des États-Unis.

Ces menaces d’invasion se sont intensifiées ces dernières années, avec l’arrivée à la tête du Parti communiste chinois (PCC) de Xi Jinping. L’actuel chef d’État s’est montré plus clair qu’aucun de ses prédécesseurs avant lui dans sa volonté de récupérer Taïwan. En juin dernier, son ministre de la Défense a déclaré lors d’une conférence à Singapour que Pékin « n’hésitera pas à se battre » pour la reconquête.

Et pour les 100 du PCC l’année dernière, Xi a précisé que la réunification des deux territoires constituait la mission historique de son parti. Les incursions de plus en plus nombreuses d’avions chinois dans la zone de défense aérienne taïwanaise en sont la preuve. 969 ont été enregistrées en 2021 selon l’Agence France-Presse. Cette année, plus de 600 ont déjà été recensées.

L’escalade des mots

Or, la visite de Nancy Pelosi à Taïwan, qui a rencontré dans la nuit de lundi à mardi la présidente Tsai Ing-wen, partisane de l’indépendance de son île, vient mettre à mal le récit avancé par Pékin. La speaker, plus haut dignitaire américain à visiter l’île depuis 1997, vient donner une légitimité et une visibilité mondiale aux dirigeants taïwanais. Et ceci alors que les États-Unis continuent officiellement de reconnaître la doctrine chinoise selon laquelle Pékin et Taipei ne constituent qu’un seul et même Etat.

Les dirigeants chinois sont fébriles, de peur que Washington abandonne progressivement ce principe et vienne à reconnaître l’indépendance de Taïwan. « Ceux qui offensent la Chine seront punis », a encore déclaré ce mardi un ministre chinois.

Après avoir évoqué une possible frappe visant l’avion de Pelosi en route pour Taïwan, Hu Xijin, le populaire éditorialiste du média rattaché au PCC Global Times, a évoqué sur Twitter une escalade du conflit.

« Laissons-là aller à Taïwan. Mais qu’elle prie avant son départ: pour que son retour se passe en toute sécurité, et pour qu’elle ne soit pas considérée dans l’histoire comme une pécheresse responsable d’une escalade ayant transformé des frictions militaires à une guerre de grande échelle dans le détroit de Taïwan », a-t-il déclaré.

Face aux menaces pesant sur la présidente de sa Chambre des représentants, Washington a demandé au Pentagone et à son commandement indo-pacifique basé à Hawaï de s’assurer de la sécurité de Nancy Pelosi, comme l’indique le New York Times, et le porte-avions américain Ronald Reagan est actuellement déployé dans la région. La Maison Blanche se montre d’ailleurs particulièrement discrète sur la visite de Nancy Pelosi.

Un climat intérieur difficile à Pékin

L’escalade verbale entre Pékin et Washington, ainsi que le risque accru d’invasion, peut s’expliquer par la situation délicate dans laquelle se trouve la Chine. Le « miracle » économique chinois s’essouffle, et la population est fatiguée après deux ans d’une gestion drastique de l’épidémie de Covid-19. De même, il est nécessaire pour Xi Jinping de se montrer ferme et de jouer sur les accents nationalistes de sa population. En octobre se tiendra le congrès du Parti communiste chinois, qui doit renouveler pour une troisième fois – un record – son mandat.

Mais pour nombre d’experts, malgré la provocation que constitue aux yeux de Pékin la visite de Nancy Pelosi, une invasion militaire de Taïwan, voire une confrontation directe entre Pékin et Washington – les États-Unis ayant expliqué à diverses reprises qu’ils n’hésiteraient pas à venir en aide à Taipei en cas d’agression – est pour l’instant improbable.

« Je ne pense pas que l’armée chinoise soit prête à aller à une confrontation directe avec Taïwan ou avec les États-Unis « , a expliqué ce mardi sur BFMTV la chercheuse en géopolitique Valérie Niquet.

Un propos confirmé par William Overholt, chercheur à Harvard cité par le New York Times. « La Chine veut absolument récupérer Taïwan. Mais ça ne veut pas non plus dire qu’elle est prête à une guerre sanguinaire et à la fin du miracle économique chinois », explique-t-il.

La puissante armée chinoise

Car les conséquences d’une confrontation directe entre Pékin et Washington seraient dramatiques pour la Chine, autant sur le plan humain qu’économique. Une invasion de Taïwan, pays soutenu en coulisses par de nombreuses capitales occidentales, isolerait de manière certaine Pékin de la scène internationale et l’exposerait à des sanctions drastiques sur le plan économique. Mais l’exemple russe en Ukraine prouve que les considérations rationnelles ne rentrent parfois pas en compte dans la planification d’une guerre.

Attention également à ne pas sous-estimer les capacités militaires chinoises, qui a activement développé son industrie de l’armement ces dernières années. Pékin possède aujourd’hui la première flotte mondiale. Chercheuse à Stanford, Oriana Skylar Mastro explique dans une analyse diffusée dans le New York Times que l’armée de Pékin est désormais en capacité de cibler et de neutraliser les porte-avions américains à l’aide de puissants missiles.

« L’une des options possibles serait de voir la Chine soutenir la Russie dans son invasion de l’Ukraine, alors que Pékin est resté plutôt neutre à cet égard pour l’instant », fait valoir sur notre antenne Zhaohan Shen, expert en sécurité militaire dans la zone Asie-Pacifique. Moscou a d’ailleurs multiplié les déclarations condamnant la visite de Nancy Pelosi.

Pour l’instant, la réponse chinoise se limite à la multiplication d’exercices aériens dans le détroit de Taïwan et à des menaces verbales. Six zones autour de l’île sont inaccessibles, et le ministère de la défense taïwanais a encore indiqué que 20 avions militaires chinois avaient violé son espace aérien.

« Beaucoup de choses peuvent se produire. Mais j’aimerais être nuancé. Cela ne va pas déclencher la troisième guerre mondiale, il n’y aura pas de confrontation directe. Mais cela nous en rapproche », conclut Zhaohan Shen.

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