face aux seniors qui refusent de lâcher le volant, le dilemme des proches

Le permis de conduire à vie va-t-il disparaître? Les eurodéputés vont débattre de la possibilité de le conditionner à un examen médical régulier. En France, le débat agite déjà bon nombre de familles, parfois démunies face au refus des parents ou grands-parents de lâcher le volant de leur voiture… Bien que leurs proches ne les jugent plus suffisamment alertes pour conduire.

« Conduis, mamie! » Ilan redoute chacun de ses trajets avec sa grand-mère. Au volant de sa toute petite voiture, la retraitée de 70 ans a le chic pour exaspérer son petit-fils, qui juge qu’elle conduit au pas et se laisse distraire par la moindre diversion sur sa route.

« Elle est dangereuse dans sa conduite », résume l’étudiant en droit de 18 ans. D’autant que pour ne rien arranger, « son chien monte systématiquement sur ses genoux, sous le volant ». « À chaque fois c’est horrible, on se fait klaxonner de partout parce qu’elle roule trop lentement », raconte le jeune homme, « extrêmement gêné » vis-à-vis des autres conducteurs qui s’énervent ou perdent patience, « souvent à raison ».

Selon lui, sa grand-mère est « de plus en plus tête en l’air » et « perd un peu la mémoire ». « Elle est dans son monde: elle colle les voitures de devant, ralentit dès qu’on lui parle puis réaccélère d’un seul coup. Elle peut aussi très bien s’arrêter au beau milieu de la chaussée pour apprécier des monuments ou une église. »

La crainte de la perte d’autonomie

Difficile, pourtant, d’aborder le sujet avec elle. Dans la famille, Ilan reconnaît que le sujet est un peu tabou: personne n’a vraiment le courage de confronter la matriarche sur ce point car tout le monde sait qu’elle se vexe facilement ou qu’elle évite les conversations sur ce sujet. Et pour cause, tout le monde est un peu gêné à l’idée de lui demander de renoncer à son seul moyen de se déplacer en région parisienne.

C’est là tout le cœur des discussions qui agitent en ce moment l’Europe: pour endiguer la mortalité routière, une réforme visant à enterrer le permis de conduire à vie sera débattue au Parlement européen ce mardi 27 février.

L’idée serait d’imposer une visite médicale tous les 15 ans, comme il en existe déjà dans certains pays européens. Les personnes déclarées médicalement inaptes pourraient ainsi perdre le droit de conduire. Mais la possibilité de retirer la voiture aux personnes âgées pose indéniablement la question du risque d’isolement de cette catégorie de population.

En France, pour l’heure, rien d’obligatoire. La Sécurité routière concède que l’aptitude à la conduite évolue avec le temps, mais invite les proches à faire « de la pédagogie ». Les autorités recommandent d’inciter les personnes âgées adapter leur parcours, en évitant par exemple les heures de pointe ou la conduite la nuit, ou en encouragent les trajets courts plutôt que les longues distances.

« Brandir le spectre de l’interdiction auprès des seniors est contre-productif », estime la gériatre Sylvie Bonin-Guillaume sur le site de la Sécurité routière. « Le senior va tenter à tout prix de prouver qu’il est toujours en capacité de conduire. »

« Tu ne vas pas m’apprendre à conduire! »

C’est précisément ce qui se passe pour le père d’Élodie, qu’elle décrit pourtant comme « un énorme danger » sur la route. Quasi sourd depuis une quinzaine d’années, cet ancien militaire âgé de 78 ans refuse d’arrêter de conduire, bien qu’il fasse « n’importe quoi au volant ».

À l’entendre, « personne ne conduit mieux que lui »: « il maîtrise » et ce sont les autres « qui conduisent comme des pieds ». Mais dans les faits, sa fille estime qu’il ne calcule plus vraiment l’environnement qui l’entoure, qu’il a perdu ses réflexes et toute notion de priorité. Pas plus tard que la semaine dernière, le septuagénaire a perdu 4 points sur son permis de conduire pour avoir pris un sens interdit dans Paris.

Élodie, qui refuse désormais catégoriquement de monter à bord avec lui, est absolument persuadée qu’il va finir par lui arriver quelque chose.

« Il grille des feux rouges, va à deux à l’heure et il n’entend pas ce qui se passe autour de lui, ni les motos ni les ambulances à laisser passer », déplore-t-elle.

« Une fois, je me suis entretuée avec lui en voiture parce qu’il a pilé en plein milieu de l’échangeur de la porte de Bagnolet (à Paris) pour répondre à un coup de téléphone », se souvient-elle. « Il y avait un trafic monstre, tout le monde accélérait et lui il bloquait le passage. »

« Le pire c’est qu’il ne se rendait absolument pas compte de la dangerosité de ce qu’il faisait. Il me criait dessus: ‘Je fais ce que je veux! Tu ne vas pas m’apprendre à conduire!' », raconte-t-elle.

Déclin de la vision, de l’ouïe, des réflexes…

Quelques semaines plus tard, il renversait un motard au niveau du démarrage d’un feu – sans que personne ne soit blessé. La quadragénaire, attachée de presse à Paris, essaie désespérément de lui faire entendre raison depuis des mois, mais pour lui c’est hors de question.

« Suggérer qu’il lâche le volant, c’est comme lui dire qu’il va aller en maison de retraite », explique cette Parisienne de 48 ans.

« À chaque fois, ça finit en dispute. J’ai l’impression d’être celle qui veut lui enlever sa seule raison d’être. C’est son dernier espace de liberté », analyse-t-elle. Pour elle, seul un accident pourrait faire en sorte qu’il se remette en question. « Tant que ça passe, ça passe. Jusqu’au jour où il sera trop tard… », redoute Élodie.

Mais même un accident de la route n’est pas toujours suffisant pour que les personnes âgées prennent conscience du fait qu’elles ne sont plus en âge de prendre le volant. Il y a quelques années, la grand-mère de Jérôme est morte des suites d’un accident de la route provoqué par son mari, à l’époque âgé de 86 ans. Cela faisait des années que l’ensemble de la famille essayait de lui retirer ses clefs de voiture, en vain.

« On essayait tout le temps de le dissuader de prendre la voiture parce qu’on voyait bien qu’avec l’âge il avait perdu ses capacités cognitives d’avant », raconte son petit-fils, aujourd’hui policier à Metz (Moselle).

« Mais il était d’une mauvaise foi incroyable. Personne n’avait le droit de remettre en question sa capacité à conduire. Il ne voulait pas changer ses habitudes ni perdre en autonomie. Je me souviens qu’il niait l’évidence avec des petites phrases comme ‘j’ai pas de souci’, ‘laissez moi tranquille' ».

La crainte de l’accident

Mais un jour, le vieil homme a eu un accident fatal avec un tiers à un carrefour de Chalon-sur-Saône (Saône-et-Loire). « Tout laisse supposer qu’une fois de plus, il a grillé le feu rouge et coupé la route à l’automobiliste qui arrivait par la droite », raconte son petit-fils, aujourd’hui âgé de 32 ans. L’autre voiture est alors venue s’encastrer dans la portière droite, du côté où était assise son épouse. Grièvement blessée, elle est morte quelques jours plus tard.

Ce n’est qu’à partir de ce moment-là que les trois enfants de l’octogénaire se sont mis d’accord pour lui confisquer définitivement ses clefs de voiture, contre son gré.

« Même après la mort de sa femme, il ne voulait pas lâcher l’affaire. Il ne voulait pas reconnaître qu’il avait fait une erreur », se souvient Jérôme.

Avec le recul, Jérôme raconte que son père garde une certaine amertume vis-à-vis de ce drame et regrette de ne pas avoir réussi à contraindre son père à lâcher le volant. « À l’époque, il me disait toujours qu’il ne pouvait pas l’empêcher de faire ce qu’il voulait, qu’il était majeur et qu’il avait encore toute sa tête. Il n’avait aucun levier administratif pour l’arrêter, en fait. » Et d’ajouter: « N’empêche que s’il n’avait pas été aussi obtus, mamie serait peut-être encore là aujourd’hui. »

Que faire si vous estimez que l’un de vos proches n’est plus en état de conduire?

Le site de la Sécurité routière délivre une série de conseils pour l’encourager à adapter ses trajets ou son véhicule. Si vos conseils ne sont pas suivis d’effets, vous pouvez signaler votre proche au préfet du département concerné, qui pourra demander un examen réalisé par un médecin agréé expert en aptitude à la conduite.

Une fois l’avis médical rendu, le préfet pourra décider de conserver le permis en l’état, de délivrer un permis avec des restrictions de conduite ou bien de le retirer purement et simplement.

Jeanne Bulant Journaliste BFMTV

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