MALADAPTATIONS CLIMATIQUES (2/4) – Alors que la France s’est lancée le chantier de l’adaptation face au caractère inéluctable du réchauffement climatique, BFMTV.com s’intéresse cet été à ces changements et remèdes qui s’avèrent aggraver les problèmes qu’ils sont censés atténuer. Ce deuxième épisode se penche sur les retenues d’eau à destination de l’irrigation de l’agriculture.
« On a de moins en moins d’eau mais on en a de plus en plus besoin ». Avec le réchauffement climatique, la demande en eau pour l’irrigation des cultures augmente: les températures sont en hausse et les précipitations tendent à manquer. Mais comment gérer cette demande alors même que les ressources en eau diminuent?
Le choix de l’utilisation de réserves d’eau est considéré par beaucoup comme une solution devenue indispensable pour garantir une production alimentaire. « On ne va pas regarder la pluie tomber du ciel pendant six mois et la chercher les six autres mois de l’année », lançait par ailleurs en 2019 le ministre de l’Agriculture de l’époque Didier Guillaume.
À l’inverse, les opposants considèrent ces systèmes comme une « maladaptation » au dérèglement climatique: ils prélèveraient une partie de l’eau destinée aux nappes phréatiques, aux milieux ou à d’autres usages humains et freineraient les démarches d’adaptation et de transition du monde agricole.
De plus en plus d’irrigation
En France, l’agriculture dépend encore à plus de 90% de la pluie. Toutefois, alors que la surface agricole utile a diminué de 3,4% entre 2010 et 2020, les surfaces irriguées ont elles augmenté de 14,6% sur la même période. Au total, l’irrigation agricole représente plus de la moitié de la consommation d’eau douce en France, tout usage confondu.
« Le besoin d’irrigation n’était pas fort jusqu’à maintenant, mais il y a une hausse de la demande avec le dérèglement climatique », affirme auprès de BFMTV.com Olivier Gourbinot, coordinateur fédéral de France Nature Environnement Occitanie-Méditerranée.
« On a de moins en moins d’eau mais on en a de plus en plus besoin », résume-t-il.
« Mais structurellement, même avant les effets du dérèglement climatique, on prélève trop dans les cours d’eau et les nappes », pointe-t-il. En France, il existe une multitude de retenues d’eau différentes en fonction de leur type de remplissage: directement dans la nappe, dans un cours d’eau, par ruissellement d’un versant ou encore les barrages.
Impact sur la disponibilité de l’eau
Pour les détracteurs de ces installations, elles empêchent avant tout l’infiltration de l’eau dans les sols et dans les nappes phréatiques en hiver. Récupérer l’eau en hiver freine leur recharge, pourtant essentielle pour garantir les usages de l’eau en été, période où elle manque le plus.
« Avec le dérèglement climatique, on manque de pluie en hiver », explique Olivier Gourbinot. « On le voit en Espagne, même les systèmes de retenues d’eau ne se remplissent plus », abonde en ce sens Nadia Carluer, hydrologue à l’unité de recherche RiverLy de l’Inrae.
La chercheuse explique que les retenues peuvent avoir un impact important sur l’hydrologie, la qualité de l’eau, les habitats et les espèces aquatiques. « La baisse des débits naturels entraîne notamment un réchauffement de l’eau, un changement de composition (eutrophisation) ou une prolifération d’algues et donc une modification des espèces présentes », détaille-t-elle.
En outre, un des problèmes particulièrement pointé du doigt lors des débats sur les mégabassines de Sainte-Soline est le risque d’évaporation de l’eau lors du stockage en retenues extérieures. Des études récentes montrent que les pertes par évaporation sur les lacs de l’Ouest américain varient de 20 à 60% des flux entrants. Si l’eau restait dans les nappes, ces pertes seraient nulles.
Améliorer les systèmes existants
« Dans les endroits où il y a des tensions sur l’eau, les retenues servent à verrouiller le système et à le maintenir », déplore Nadia Carluer. Les spécialistes craignent que le recours aux retenues ne pousse pas les systèmes agricoles à s’engager dans une transition vers de nouvelles pratiques plus économes en eau, aggravant ainsi les effets de la sécheresse et donc leur vulnérabilité face au changement climatique.
« Les retenues restent des solutions de court-terme, alors qu’on essaie aujourd’hui d’avoir une stratégie de long-terme », explique Olivier Gourbinot.
« Il y a néanmoins des cultures qu’on ne peut pas ne pas irriguer », précise toutefois Nadia Carluer. L’enjeu est donc d’abord d’améliorer l’efficacité des systèmes d’irrigation. Dans les Pyrénées-Orientales, où les tensions autour de l’eau sont fortes, « on construit deux barrages plutôt que d’améliorer les canaux existants et de boucher les fuites », regrette Olivier Gourbinot.
Alors qu’environ 80% des irriguants utilisent l’aspersion, qui produit une pluie vaporisante sur les cultures, une technique qui provoque une part d’évaporation instantanée, les systèmes de goutte à goutte permettraient d’économiser, en fonction des cultures, jusqu’à 35% des volumes d’eau utilisés, selon l’Inrae. « Il s’agit de la pratique la plus efficace, toutefois, elle nécessite un investissement important pour les agriculteurs », affirme Nadia Carluer.
Des changements coûteux
Selon l’Inrae, le maïs représente un tiers des surfaces irriguées contre 15% pour les légumes et les fruits. « Le problème du maïs, c’est qu’il est gourmand en eau au moment où il commence à y en avoir peu: en été », explique l’hydrologue Nadia Carluer.
« Sans vouloir stigmatiser les agriculteurs, il faut penser à diminuer mais ça doit aller avec le fait que les consommateurs soient prêts à changer de régime alimentaire« , poursuit-elle. En effet, le maïs est produit principalement à destination de l’alimentation des élevages.
En outre, Nadia Carluer précise que de tels changements ne tiennent pas uniquement aux agriculteurs. « C’est une évolution en profondeur, une remise en cause d’un système très productiviste: ça demande des efforts de plusieurs secteurs et de volonté politique », complète-t-elle.
Une des solutions serait d’opter pour des plantes plus tolérantes à la sécheresse comme le sorgho, les légumineuses, la luzerne ou « des espèces de zones arides comme le niébé, le quinoa ou le sarrasin », liste l’Inrae.
Les défenseurs des mégabassines estiment quant à eux que ces retenues sont indispensables face aux sécheresses et mettent en avant un rapport du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM). Cette étude avance que les pompages auraient un impact « souvent négligeable » sur le cycle de l’eau en hiver, évoquant une estimation de 1 % de baisse du débit des rivières.
Dans Ouest-France, le président de la chambre d’agriculture de Nouvelle-Aquitaine explique que ces retenues « sécurisent des filières à haute valeur ajoutée » et que les agriculteurs, en bénéficiant de ce mode d’irrigation, « s’engagent à respecter un plan d’action avec des objectifs chiffrés et contrôlés par l’administration sur la base d’un diagnostic de leur exploitation ».
Les leviers d’adaptation au manque d’eau prennent également leur source dans les principes de l’agroécologie: protection des sols, rotation des cultures, présence d’arbres et de haies… Tout cela permettant notamment aux sols de retenir au maximum l’eau.
Vers une irrigation « de résilience »?
« Si tout cela ne suffit pas, on peut faire des retenues », explique Nadia Carluer. « Elles doivent arriver en bout de chaîne: on fait des économies d’eau, on adapte les pratiques et cultures au dérèglement climatique puis alors peut-être qu’on peut avoir recours aux retenues si ça manque toujours », ajoute Olivier Gourbinot.
D’abord, pour les spécialistes, il est important que les techniques de prélèvement d’eau des milieux naturels se fassent selon des règles précises comme ne pomper que lorsque la nappe a atteint un certain niveau ou qu’un cours d’eau a un débit naturel suffisant. Olivier Gourbinot déplore toutefois « l’absence de contrainte de l’Etat » sur le sujet.
Ensuite, face aux conséquences du changement climatique, les défenseurs de l’environnement prônent le recours à une irrigation « de résilience », c’est-à-dire uniquement garantir une production et la sécurité alimentaire, non pas pour maximiser les rendements. C’est généralement le cas en grandes cultures, pour lesquelles l’irrigation n’est pas indispensable, au contraire des cultures fruitières et maraîchères, plus dépendantes de l’eau.
Dans le sud de la France, « beaucoup de vignobles dépendent uniquement de la pluie », explique Olivier Gourbinot. « Les vignes irriguées sont à destination du commerce international », poursuit-il, interrogeant la pertinence de faire perdurer ce type de production.
« On a de moins en moins d’eau, autant la conserver pour les cultures vivrières, d’autant plus qu’on peut faire du vin sans irrigation », martèle-t-il.
Par exemple, la Confédération paysanne estime que la production alimentaire locale devrait être prioritaire au nom de la souveraineté alimentaire, à l’inverse des cultures d’exportation, « favorisant une irrigation spéculative ».
« L’irrigation de résilience serait du bon sens, toutefois dans notre système, il est tentant de produire toujours plus », nuance Nadia Carluer. « De plus, si on installe des systèmes d’irrigation à n’utiliser qu’en cas d’urgence de sécheresse, ce n’est pas rentable pour les agriculteurs. Il faut que les coûts de la transition soient partagés », conclut la chercheuse.
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