Depuis la crise Covid, les infirmiers et infirmières sont de plus en plus nombreux à vouloir laisser la blouse blanche derrière eux. Certains, épuisés par leurs conditions de travail ou dégoûtés du métier, décident de se reconvertir. Des jeunes diplômés racontent à BFMTV.com leur changement de vie.
« C’est un métier que j’ai adoré, mais je ne vois pas pourquoi je continuerais à accepter de me laisser maltraiter ». Manon Lefort, 27 ans, a abandonné le métier d’infirmière en juillet dernier, quatre ans seulement après avoir commencé. Bien qu’elle soit en début de carrière, la jeune femme raconte à BFMTV.com qu’elle « n’en pouvait plus ».
« C’est malheureux, parce qu’à la base je faisais vraiment ce métier avec passion », explique celle qui a exercé deux ans dans différents services d’une clinique toulousaine, puis en tant qu’infirmière hospitalisation à domicile (HAV) dans le Gers. « Mais j’ai vite déchanté. En fait, on est constamment sous pression, en train de courir à droite à gauche, à sacrifier nos Noël, nos jours de l’an, nos vies personnelles à cause des horaires décalés, des heures supplémentaires et des appels de dernière minute », regrette-t-elle.
60.000 emplois vacants en France
Dans la clinique où Manon Lefort exerçait, elle était régulièrement appelée par sa hiérarchie pour combler les trous de planning provoqués par la pénurie grandissante de soignants. « J’étais contrainte d’enchaîner 5 jours de 12h de suite, de faire des nuits parce qu’il manquait untel ou untel. Et on nous fait bien comprendre qu’on n’a pas le choix », raconte la jeune femme. Épuisée par le rythme et la charge de travail, le manque de moyens et de reconnaissance, Manon Lefort a entrepris une reconversion professionnelle au printemps dernier. Elle envisage désormais de travailler dans la vente d’électro-ménager dans le Gers.
« J’en étais arrivée à un point où j’allais bosser en me demandant ce que je faisais là. Ma vie, c’était de me faire crier dessus par les médecins, les cadres, les patients. On passe nos journées à prendre soin des gens mais personne ne se préoccupe de nous, de notre bien-être ».
Et elle est loin d’être la seule à être « au bout du rouleau ». Depuis la crise Covid, les blouses blanches fuient les services hospitaliers. Une étude menée en mai 2021 par l’Ordre des infirmiers révélait que 4 infirmiers sur 10 souhaitaient changer de métier. Thierry Amouroux, du Syndicat national des infirmières, expliquait en juin au journal Le Monde que 60.000 emplois d’infirmiers étaient actuellement vacants en France.
Des services au rythme effréné
« À force de presser le citron, il n’a plus de jus », déplore également Élodie Vaur, diplômée en 2017, qui dit à BFMTV.com avoir constaté « un immense mal-être » au sein de la profession. « Sur les 80 anciens élèves de ma promo, une vingtaine voulaient déjà quitter le métier 5 ans après », témoigne-t-elle. Cette infirmière de 29 ans, qui travaillait dans une clinique de Neuilly-sur-Seine s’est lancée il y a un an dans une nouvelle formation en ligne, un BTS pour devenir diététicienne.
« Parler de nos conditions de travail est moins tabou aujourd’hui », salue cette habitante des Yvelines, qui fait le lien avec les prémices du métier.
« À l’époque des bonnes sœurs, soigner l’autre était une vocation sacrée pour laquelle elles sacrifiaient leur vie. Mais on en est plus là. Les générations changent, et certains osent dire qu’ils ne veulent plus sacrifier leur vie pour un métier où ils n’ont aucune reconnaissance, et c’est bien compréhensible », développe-t-elle.
Charlotte Kerbat, ex-infirmière de 29 ans diplômée en 2014, s’est elle aussi reconvertie après la première vague de Covid. « J’ai su assez vite, comme beaucoup, que je ne ferais pas ce métier toute ma vie, pas dans ces conditions-là », se souvient l’ancienne soignante. Aujourd’hui loin de l’hôpital, cette habitante de Brest n’a aucun regret. Elle savoure le fait d’avoir retrouvé « un équilibre sain et une vie normale »: « Je ne suis plus fatiguée en permanence, je n’ai plus le dos en vrac à cause des chariots trop lourds » se réjouit cette Bretonne.
En 2020, elle a créé Charlotte K., un site qui permet d’accompagner plus d’un millier d’infirmiers dans leur projet de reconversion professionnelle. À ce jour, la quinzaine de coachs avec lesquels elle travaille ont déjà aidé plus d’un millier d’infirmiers en détresse, « essorés » par le métier, à changer de vie. Un site dont le succès fulgurant est emblématique du malaise qui règne dans la profession.
« Pas dans ces conditions-là »
« C’est très inquiétant pour l’avenir », pointe l’ancienne infirmière interrogée par BFMTV.com. « 90% des gens qu’on accompagne nous répètent la même chose: ils n’abandonnent pas parce qu’ils n’aiment pas leur travail ou parce qu’il y a eu erreur de casting. Tous aiment sincèrement leur métier! », insiste-t-elle, « mais ne se sentent plus de l’exercer dans ces conditions-là ».
Dans ce genre de cas, Charlotte Kerbat les informe sur les autres façons d’exercer le métier d’infirmier, en leur rappelant qu’il est aussi possible de travailler en pratique avancée, en entreprise, en milieu scolaire ou à la CPAM par exemple. « Mais parfois (cela reste rare) certains préfèrent complètement changer de secteur et se tournent vers la kinésithérapie, ouvrent leur commerce, architectes dessinateurs », explique la jeune femme.
Mardi, le ministre de la Santé François Braun disait regretter que la fuite des blouses blanches commence dès l’école. Dans les instituts de formation aux soins infirmiers (Ifsi), qui intègrent chaque année plus de 30.000 nouveaux étudiants, « 20%, en gros, abandonnent leurs études » au cours de leur cursus de trois ans. Ce phénomène « me préoccupe vraiment beaucoup », a-t-il ajouté, pointant « la maltraitance en stage ».
« Pour leur premier stage, en première année, ils vont se retrouver en Ehpad ou en gériatrie, c’est quasi systématique », a-t-il affirmé, mais « comme ils n’ont pas de compétences d’infirmières, on leur dit ‘on manque d’aides-soignants, donc tu vas faire les toilettes’, et en plus ils se font engueuler », a-t-il affirmé.
Des étudiants et jeunes diplômés « dégoutés »
C’est en effet ce qu’a vécu Fleur, toute jeune diplômée, lors de ses deux derniers stages dans un établissement hospitalier de Lille. « Ça m’a complètement dégoûtée de l’hôpital », raconte la jeune femme de 24 ans, qui ne s’attendait pas à une ambiance aussi « électrique » et « délétère ». « À l’école, on nous vend que l’hôpital c’est ce qu’il y a de mieux car ce qu’il y a de plus formateur, mais j’ai surtout l’impression que c’est destructeur ».
« Les infirmières en poste craquent régulièrement devant nous, il y a un nombre incroyable d’arrêts-maladie », développe-t-elle. Un rythme effréné qui, selon l’ancienne étudiante, « créé une ambiance malveillante entre collègues ». « En tant que jeunes diplômés, on est très vite jugés », poursuit la jeune femme, qui envisage désormais de privilégier d’autres structures à l’hôpital. « Je vais tout faire pour me tourner vers le médico-social, les Ehpad ou les hospitalisations à domicile », se promet la Lilloise.
Elle explique qu’en sortant de son service dimanche (où elle effectuait un remplacement seule pour 30 patients), elle s’est épuisée à la tâche au point de « ne pas se souvenir des 3/4 de ce qui s’était passé dans la journée ». « On a la tête dans le guidon, on enchaîne sans cesse, c’est physiquement et moralement épuisant, à tel point qu’on a peur de faire des erreurs ».
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