Rencontrer des skieurs qui pratiquent le hors-piste peut mettre en danger la vie de certains animaux de montagne et menacer certaines espèces qui sont déjà en net recul.
Quelques millions de Français – 9% sont partis en vacances à la montagne l’hiver dernier hiver selon le Crédoc – vont chausser leurs skis pour dévaler les flancs de montagnes en ce début des vacances scolaires de février.
Si certains vont fouler les pistes vertes, bleues ou encore rouges, d’autres vont s’aventurer en dehors des chemins balisés et effectuer ce que l’on appelle communément le hors-piste. Une pratique qui n’est pas sans conséquence sur la biodiversité, notamment sur la faune.
La construction des stations de ski a déjà bouleversé les équilibres naturels et entraîné une migration des espèces. « Le hors-piste atteint les derniers espaces où la biodiversité, qui a beaucoup reculé, subsiste », constate Éric Féraille, responsable du réseau Montagne de France nature environnement (FNE) en Auvergne-Rhône-Alpes, contacté par BFMTV.com.
« Les skieurs hors-piste peuvent aller dans des zones de quiétude pour les animaux, là où normalement ils devraient être paisibles », abonde Claude Rémy, président de l’association Arnica Montana qui veille à la protection des milieux naturels dans les Hautes-Alpes.
Si toutes les espèces vivant au sol peuvent être victimes de ce dérangement, les galliformes de montagne sont particulièrement affectés. On retrouve parmi ces volatiles, cousins des poules et des coqs des plaines, le Lagopède alpin, la Gelinotte des bois, la perdrix Bartavelle, la perdrix grise de montagne ou encore le Tétras-lyre et le Grand Tétras.
Fuir les skieurs peut leur coûter la vie
Ces deux dernières espèces sont régulièrement choisies par les scientifiques pour étudier les effets des activités humaines sur la faune sauvage. Lorsqu’un skieur passe à proximité d’eux, ces animaux s’envolent pour s’enfuir et puisent dans leurs réserves de graisse, extrêmement basses en hiver.
« L’hiver, comme tous les mammifères, ils doivent compenser leurs dépenses énergétiques par de la nourriture », explique Claude Rémy. « Or, à cette période, la nourriture se fait de plus en plus rare. »L’oiseau perd donc de l’énergie et « à cause du stress, il ne va pas manger pendant trois-quatre jours », prévient le président de l’association Arnica Montana.
Le danger réside dans la répétition de ces rencontres entre animaux et skieurs. Des rencontres qui peuvent alors mettre leur vie en danger.
« Le Tétras-lyre, on dit qu’il a de quoi fuir deux fois », résume Éric Féraille. « La troisième fois, il ne survit pas. »
Si ce mécanisme s’applique à tous les « volatiles ou animaux à poil », le Tétras-lyre est d’autant plus concerné qu’il aime se façonner des igloos constitués de neige poudreuse en hiver, parfois à une dizaine de mètres des pistes. La même neige qui attire les amateurs de hors-piste.
Des espèces en voie de disparition
Cette pratique menace des espèces déjà considérées en voie de disparition. Selon la dernière estimation de l’Office français de la biodiversité, contacté par BFMTV.com, environ 16.000 Tétras-lyre se trouvaient dans les Alpes en 2009. Ils ont récemment disparu des Ardennes et ne sont plus présents dans les Pyrénées non plus. L’Observatoire des galliformes de montagne notait une baisse de 11% des effectifs en 2009 par rapport à la décennie précédente.
Le Grand Tétras est quant à lui toujours présent dans les Pyrénées, avec 3.700 individus estimés en 2013, mais a récemment disparu des Alpes.
« On observe une baisse du Grand Tétras de 2 à 4% tous les deux ans dans les Pyrénées », précise Geoffrey Grèzes, conservateur de la réserve naturelle régionale du massif du Montious.
Ceux qui s’aventurent à plus de 2.500 mètres d’altitude peuvent également rencontrer des chamois, des isards dans les Pyrénées, des cerfs ou encore des bouquetins. Le même engrenage se met alors en route.
Sans que cela ne mette leur vie directement en danger, ils fuient, puisent dans leurs réserves graisseuses et doivent se nourrir pour retrouver de l’énergie, souligne ce membre de l’association Nature en Occitanie. Le stress engendré par cette rencontre risque aussi d’affecter leurs capacités de reproduction, déjà diminuées par la hausse des températures l’été.
Le hors-piste a moins de conséquences sur la flore, d’après les spécialistes interrogés. Seul impact relevé: le cisaillement par les skis des jeunes arbres dont la tête dépasse à peine la neige. « Des skis bien affûtés peuvent blesser des jeunes sapins », avertit Jean Kerrien, vice-président environnement-montagne de FNE Savoie.
Des zones de « quiétude »
Pour tenter de préserver la biodiversité, certaines stations ont mis en place des zones de « quiétude ». Matérialisées par des cordelettes ou des fanions, elles visent à dissuader les amateurs de hors-piste de s’aventurer dans certaines zones, précise Jean Kerrien. En 2021, l’Office national des forêts a ainsi planté mille arbres sur le domaine skiable des Arcs (Savoie). Le but? « Créer une barrière végétale pour empêcher les skieurs de traverser en hors-piste une zone d’hivernage du Tétras-lyre. »
Des fanions rouges ou blancs sont également placés sur les remontées mécaniques afin qu’elles soient visibles par les volatiles et qu’ils évitent de les percuter. Ces incidents sont en partie responsables de la diminution des Galliformes de montagne.
« Le hors-piste n’a pas le même impact en fonction de l’endroit où on le pratique », note Alexandre Maulin, président du syndicat Domaines Skiables de France, auprès de BFMTV.com. « Pour ceux qui le pratiquent, il faut être prudent et se renseigner avant, connaître les enjeux. »
Du côté des moniteurs de ski, le président adjoint du syndicat national (SNMSF), Jérémie Noyrey, l’affirme: la sensibilisation à la biodiversité fait partie « de leur mission ». Ce dernier souhaite d’ailleurs que les moniteurs soient encore davantage « outillés » pour informer leurs élèves. Et envisage « d’instaurer, lors de l’évaluation, des questions à poser aux élèves sur les bonnes pratiques à suivre pour respecter l’environnement ».
Les spécialistes appellent in fine les skieurs à rester sur les sentiers balisés. Un message également adressé aux randonneurs et aux amateurs de raquettes qui se glissent dans les sous-bois. « Il ne faut pas ajouter du dérangement au dérangement », insiste Éric Féraille. « On s’estime partout chez soi, sauf que ce n’est pas le cas, on est chez eux. »
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