Congé menstruel, congé endométriose... Fausses bonnes idées ou avancées sociétales?

Carrefour a annoncé mercredi que les femmes souffrant d’endométriose pourraient bénéficier de 12 jours d’absence par an, alors qu’une proposition de loi visant à instaurer un congé menstruel en France a été déposée cette semaine au Sénat. Une mesure risque de créer plus de discriminations, selon Osez le féminisme.

Le géant de la grande distribution Carrefour a annoncé ce mercredi des mesures pour « la santé des femmes au travail ». Elles prévoient notamment « 12 jours d’absence médicale autorisée par an pour les femmes souffrant d’endométriose et ayant un document attestant la situation de handicap reconnu par l’entreprise ».

Ce document peut par exemple être la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé, délivrée par une commission départementale spécialisée dans le handicap. L’endométriose est une maladie chronique qui touche près de 10% des femmes et des filles en âge de procréer, selon l’Organisation mondiale de la santé, une agence de l’ONU. Elle s’associe souvent à des douleurs aiguës au moment des règles.

L’annonce de Carrefour intervient alors que le congé menstruel a fait son arrivée dans la loi en Europe, via l’Espagne, en février. Localement, en France, certaines entités l’ont déjà adopté, sous des formes différentes. Depuis mars 2022, l’entreprise de mobilier de bureau Louis Design offre par exemple « un jour de congé payé supplémentaire » par mois pour les personnes ayant des règles douloureuses. Ces dernières n’ont pas besoin d’aller chez le médecin pour justifier ces absences car « tout se joue sur la confiance », explique l’entreprise sur son site. Le Parti socialiste et la ville de Saint-Ouen ont fait des annonces similaires les mois suivants.

Une proposition de loi déposée au Sénat

‍Des initiatives qui ont inspiré la sénatrice PS Hélène Conway-Mouret. Cette dernière a déposé ce mardi une proposition de loi « visant à améliorer et garantir la santé et le bien-être des femmes au travail ». Avec ce texte, la sénatrice des Français de l’étranger veut instaurer un arrêt de travail de deux jours maximum par mois, valable pour une durée de trois mois, pour les personnes souffrant d’endométriose ou de dysménorrhée (règles douloureuses). L’indemnité accordée à la personne concernée est versée « sans délai », précise la proposition de loi.

L’objectif principal est de « libérer la parole » sur un sujet « qui était intime, caché auparavant », explique Hélène Conway-Mouret à BFMTV.com. Elle veut également mettre en place un réel suivi médical pour les personnes concernées par ces problématiques. C’est pourquoi les arrêts de travail ne sont valables que trois mois, mais la sénatrice ne juge pas cela contraignant: « il suffit d’appeler son médecin traitant pour le renouveler ».

« Les femmes se débrouillent toutes seules pour l’instant, gèrent seules leur souffrance », déplore-t-elle.

Sa proposition de loi veut aussi permettre aux personnes souffrant de dysménorrhée de télétravailler lorsque leur emploi leur permet et créer un congé payé de cinq jours pour les femmes ayant fait une fausse-couche.

L’endométriose « impacte la vie professionnelle »

Pour Yasmine Candau, présidente de l’association EndoFrance, « tout ce qui va dans le sens d’aider les personnes menstruées atteintes d’endométriose est excellent ». Elle juge important de « détricoter les idées reçues sur l’endométriose: c’est bien plus que des douleurs de règles, il est important de prendre conscience que l’endométriose ne reste pas à la porte de l’entreprise, elle impacte la vie professionnelle » avec des difficultés de concentration et des absences.

L’association de lutte contre l’endométriose n’est toutefois pas certaine qu’un congé pour cette maladie soit la priorité. « Il y a tellement de formes d’endométriose qu’il faudrait du sur-mesure. Toutes les entreprises devraient connaître l’endométriose et agir en conséquence, pas forcément avec un congé mais avec des salles de repos, des bouillottes… », estime Yasmine Candau auprès de BFMTV.com.

Le congé menstruel ne fait pas l’unanimité

Sur la question plus large d’un congé menstruel, Yasmine Candau craint une mesure contre-productive au niveau de l’endométriose: « il ne faudrait pas se dire que la douleur est normale, qu’on prend son congé et que cela ira mieux le mois suivant » et ainsi ne pas chercher à se faire diagnostiquer une maladie déjà trop peu identifiée.

Pour Isabelle Gueguen, co-dirigeante de Perfégal, une entreprise de conseil spécialisée dans l’égalité femmes-hommes, la priorité serait de travailler sur les conditions de travail des personnes souffrant de règles douloureuses. Elle juge aussi que certaines entreprises font ces annonces à des fins de communication, pointant par exemple le fait que dans le cas de Carrefour, le handicap causé par l’endométriose doit être reconnu, ce qui implique plus de démarches qu’un arrêt maladie.

« Le congé menstruel peut aussi stigmatiser l’ensemble des femmes, les ramener toujours à leur corps » affirme la spécialiste de l’égalité femmes-hommes au travail.

Un avis partagé par l’association Osez le féminisme, qui voit dans le congé menstruel « une fausse bonne idée ». Sa porte-parole Violaine De Philippis-Abate juge qu’un congé menstruel ciblant les femmes « expose à de la discrimination à l’embauche ». « Un employeur va se dire qu’elles vont être plus absentes que les hommes », déclare-t-elle à BFMTV.com.

Des arrêts maladie sans délai de carence pour hommes et femmes?

« Quand le congé maternité a été introduit, les mêmes arguments ont été donnés et finalement, elles sont quand même embauchées », ajoute-t-elle. La Dares a fait un constat similaire dans une étude publiée en mai 2021 à l’issue d’un testing de grande ampleur. « L’introduction dans les CV d’informations sur la situation familiale (présence d’enfants, situation maritale) ou indiquant une période d’inactivité n’entraîne aucune différence de traitement significative entre les candidatures féminines et masculines », observait alors le service des statistiques du ministère du Travail.

Le Défenseur des droits, une institution chargée de défendre les personnes dont les droits ne sont pas respectés, jugeait toutefois en mars 2022 que les discriminations dans l’emploi dont les femmes sont victimes en raison de leur grossesse sont « encore trop fréquentes ».

« Nous rendons encore un nombre trop important de décisions où des femmes ne sont pas embauchées en raison de leur état de grossesse », affirmait alors Claire Hédon, à la tête de cette institution, dans un communiqué.

Pour éviter cette situation avec les congés menstruels, Osez le féminisme porte donc une solution alternative: un nombre fixé d’arrêts maladie alloués sans délai de carence équivalent pour les hommes et les femmes. « C’est infaisable », répond la sénatrice Hélène Conway-Mouret. « Ce qu’elles proposent, c’est de rajouter trois semaines de vacances par an ».

Une « étape » dans la prise en compte des règles

« Il faut se dire que c’est une étape, qui permet de prendre en compte un phénomène important », estime la sénatrice au sujet de sa proposition de loi. L’objectif principal est de « déstigmatiser quelque chose qui est tout à fait naturel ».

Un combat que partage Isabelle Gueguen, qui trouve « intéressant que les règles cessent d’être un sujet tabou ». « Au-delà du jour de congé, c’est le regard posé par l’entreprise sur l’endométriose qui est important », affirme aussi Yasmine Candau.

« Si on sait qu’il y a de la bienveillance sur ce sujet dans l’entreprise et qu’on ne sera pas jugé si on prend une pause, cela fait moins de stress et donc moins de douleurs. C’est gagnant-gagnant », souligne-t-elle.

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