Le monde remportera-t-il la bataille contre le réchauffement climatique? BFMTV vous propose une émission d’anticipation exceptionnelle pour envisager notre avenir en 2050.
À quoi ressemblera la France en 2050? En 2015, la COP21 avait fixé un objectif ambitieux: contenir le réchauffement de la planète à 1,5°C par rapport à l’ère pré-industrielle. À l’heure où la COP27 est organisée à Charm el-Cheikh (Égypte), l’ONU ne voit pour l’heure « aucune piste crédible » pour tenir ce cap: même si tous les pays tenaient leurs promesses, ce qui n’est encore jamais arrivé, le monde serait sur une trajectoire de réchauffement de 2,4°C d’ici la fin du siècle.
En quoi notre politique climatique changera-t-elle notre futur? Les journalistes Isabelle Quintard, Étienne Grelet et Clément Granon ont travaillé, avec l’expertise d’Emma Stokking, porte-parole du Plan de transformation de l’économie française au Shift project et d’Éric Vidalenc, directeur régionale adjointe à l’Ademe Hauts-de-France (Agence de la transition écologique), pour établir deux scénarios à l’horizon 2050:
- dans le premier, le monde a réussi à atteindre la neutralité carbone et à limiter le réchauffement climatique à 1,7°C
- dans le second, le scénario du pire s’est produit avec un réchauffement de plus de 2,4°C
L’article qui suit est un texte d’anticipation, issu du docu-fiction « 2050: ouvrons les yeux », diffusé ce lundi sur BFMTV.
Imaginez. Nous sommes le 14 novembre 2050, la planète vient officiellement d’atteindre la neutralité carbone. « Le monde a cessé d’avancer dans la mauvaise direction », salue alors un communiqué des Nations unies. « Nous avons interrompu notre marche suicidaire vers la catastrophe climatique. Le réchauffement est limité à 1,7 degré. » La présidence de la République salue dans un communiqué une annonce historique.
« C’est la plus grande victoire depuis la fin de la Seconde guerre mondiale, une victoire contre nous-mêmes, nos dérives et les excès de ces dernières décennies », souligne-t-on à la tête de l’État.
Pour marquer le coup, la présidence fait même une annonce: le 14 novembre sera désormais un jour férié en France, le symbole de l’évolution de la société ces dernières années.
La nouvelle est célébrée dans le monde entier. Sur BFMTV avec une émission spéciale « Climat: le pari gagné », sur les réseaux sociaux avec un hashtag #WeDidIt – » on l’a fait ». Le slogan s’affiche sur la statue de la liberté à New York, la porte de Brandebourg à Berlin, mais aussi à Londres, où un concert géant est organisé. Ou encore à Paris ou Nantes.
Il faut dire que ce succès a des conséquences notables sur le climat, même s’il existe un décalage entre le moment où nous avons commencé à agir et le niveau des températures.
En 2050, sur le pourtour méditerranéen, elles dépassent encore localement les 40°C durant l’été. Mais sans politique de lutte contre les émissions de gaz à effet de serre, tout le Sud de l’Hexagone connaîtrait des températures étouffantes et les fortes chaleurs seraient remontées au nord de la Loire.
NOS SOURCES
Météo France a publié en 2020 de nouvelles projections climatiques de référence, qui simulent l’impact du dérèglement climatique selon trois scénarios. Dans le plus optimiste, le monde est « vertueux, très sobre en émission de gaz à effet de serre » et « le réchauffement global reste inférieur à 2°C ». Même dans ce cas de figure, la température augmenterait dans l’Hexagone, mais dans des proportions nettement plus faibles que dans le scénario pessimiste, celui d’un « futur excluant toute politique de régulation du climat ».
Le site de Météo France propose de tester l’évolution de nombreux indicateurs (température maximale, température moyenne, cumul de précipitations, périodes de sécheresse) selon ces différents scénarios et à trois horizons temporels – proche (2021-2050), moyen (2041-2070) et lointain (2071-2100). Des projections également résumées dans cette vidéo du CNRS.
2002, « notre maison brûle »
Un demi-siècle plus tôt, l’objectif était pourtant loin d’être atteint. « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs », lançait Jacques Chirac, alors président de la République, lors du 4e sommet de la Terre à Johannesburg (Afrique du Sud), le 2 septembre 2002. « La Terre et l’humanité sont en péril et nous en sommes tous responsables. »
« Le réchauffement climatique est encore réversible », insistait le chef de l’État de l’époque. « Lourde serait la responsabilité de ceux qui refuseraient de le combattre. »
Mais il a fallu attendre 20 ans pour que les Français comprennent l’étendue de la menace. En 2022, l’Europe enregistre son été le plus chaud de toute l’histoire. Deux ans plus tard, l’été dramatique de 2024 finit par provoquer un réel sursaut: une méga canicule frappe alors une grande partie du continent européen.
La sécheresse est inédite. Le 15 septembre 2024, pour la première fois depuis dix siècles, en plein cœur de Paris, la Seine est pratiquement à sec. À certains endroits, le niveau du fleuve n’atteint plus que 20 centimètres. La Loire aussi est touchée, tout comme la source du Rhin ou la Tamise.
En France, on enregistre sur l’ensemble du territoire 50 nuits tropicales consécutives à plus de 26 degrés, avec de lourdes conséquences.
« Plus la température augmente, plus le risque de déshydratation est important avec des impacts sur tous les organes du corps humain et notamment sur le rein, le foie, la circulation, le (système) neurologique », rappelle le Dr. Agnès Ricard-Hibon, porte-parole de la Société française de médecine d’urgence.
NOS SOURCES
Le dernier rapport du Giec – ici résumé par le Réseau action climat – a conclu que la fréquence et l’intensité de certains événements météorologiques extrêmes, dont les vagues de chaleur, augmente en raison du dérèglement climatique. « Ce que nous vivons aujourd’hui est malheureusement un avant-goût de l’avenir », a prévenu l’Organisation météorologique mondiale après une canicule « inhabituellement précoce » en Europe en juin 2022.
Durant ce même été 2022, la source de la Tamise s’est d’ailleurs retrouvée complètement à sec, tout comme une partie du Rhin et certains bras de la Loire – s’il n’est pas anormal de voir des bancs de sable apparaître sur le fleuve durant la période estivale, le phénomène était particulièrement intense cette année.
100.000 morts après une canicule historique
Le bilan humain est effroyable: 100.000 morts en France, 1.000.000 en Europe – cinq fois plus que la canicule de 2003, qui avait causé près de 20.000 morts dans l’Hexagone, selon une étude européenne coordonnée par l’Inserm. Le choc est énorme, le Conseil européen se réunit en urgence. Le 24 septembre 2024, Emmanuel Macron, alors président de la France, s’exprime pour un discours devenu historique.
« La France et l’Europe viennent de vivre un événement effroyable », lance alors le chef de l’État. « Nous devons tous assumer nos responsabilités, moi le premier. Depuis des années, tout mon gouvernement était mobilisé pour la croissance et l’attractivité. Mais à quoi bon être compétitif dans une France devenue inhabitable? »
« Nous devons radicalement changer notre modèle de société », appelle Emmanuel Macron. « C’est pourquoi avec nos partenaires européens, nous avons voté des mesures difficiles, douloureuses mais vitales. »
Toutes les mesures déjà prévues pour lutter contre le réchauffement climatique sont amplifiées. La vente de voitures thermiques est interdite à partir de 2025 au lieu de 2035. Tous les vols intérieurs et inter-européens s’arrêtent en 2026. La vitesse passe à 90 km/h sur les autoroutes et à 70 sur les routes nationales. Et surtout, une mesure choc est adoptée: un permis carbone pour chaque citoyen européen.
« Chaque citoyen sera logé à la même enseigne, quel que soit son âge, sa situation financière, que l’on vive dans une grande ville ou à la campagne », explique Emmanuel Macron aux Français pour défendre la mesure. « L’effort doit être collectif. Ce n’est qu’ensemble que nous pourrons réussir le plus grand défi de l’humanité. Actuellement, chaque Français consomme 9 tonnes de CO2 par an, le premier objectif sera d’atteindre 5 tonnes d’ici 2035 et 2 tonnes par personne en 2050. »
NOS SOURCES
L’empreinte carbone représente « la quantité de gaz à effet de serre induite par la demande finale intérieure d’un pays (consommation des ménages, administrations publiques, organismes à but non lucratifs, investissement), que ces biens ou services soient produits sur le territoire national ou importés », résume le ministère de la Transition écologique. Ramenée à la population française, elle était estimée à 9 tonnes d’équivalent CO2 par personne en 2019 – elle a baissé à 8,2 tonnes en 2020, année marquée par plusieurs confinements.
Permis carbone
La mesure est très impopulaire au départ mais, un quart de siècle plus tard, elle est adoptée par tous les Français. L’idée remonte au siècle dernier: ce permis avait été pensé par des économistes anglais dans les années 1990. En 2019, une start-up suédoise avait imaginé une carte de crédit qui calculait l’empreinte carbone de chaque achat et informait le consommateur.
La France s’est inspirée de ce modèle. Concrètement, à chaque achat, le montant carbone est décompté de la carte. Une fois tout le crédit dépensé, elle se bloque. Au consommateur de voir comment il souhaite le dépenser, dans la limite de 2 tonnes par an, en sachant qu’un steak de bœuf de 250g équivaut à 6 kg de CO2, un plein de 50 litres de à 50 kg, une baguette à 150 g… Un aller-retour en avion Paris/NYC est très coûteux : 1 tonne de CO2 – en un voyage long-courrier, la moitié du quota annuel est dilapidé.
Pour être accepté par la population, ce système est soumis à des dérogations – selon le lieu d’habitation, en zone urbaine ou rurale, ou le nombre d’enfants par famille. Mais il n’est pas lié au niveau de revenus: que l’on soit SDF ou milliardaire tout le monde est logé à la même enseigne.
Ceux qui n’ont pas consommé tout leur crédit annuel peuvent le revendre à ceux qui ont besoin d’une rallonge. Mais la vente ne peut se faire qu’entre particuliers dans la limite d’une tonne par an et par personne. Quoi qu’il arrive, la France reste dans les clous, c’est-à-dire dans la limite d’émissions de CO2 qu’elle s’est fixée.
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Un système de « permis carbone » a été pensé par des chercheurs anglo-saxons dès les années 1990. Si un marché carbone existe déjà pour les industriels, l’idée est aujourd’hui promue au niveau individuel par certains militants et sa mise en place est envisagée par certains décideurs, avec diverses modalités.
Jean-Marie Fiévet, actuel député Renaissance des Deux-Sèvres, propose par exemple la mise en place d’un « compte carbone », où chaque achat diminuerait le crédit disponible du consommateur en fonction du coût écologique du produit. L’élu voit dans ce dispositif la solution pour atteindre « collectivement et individuellement » la neutralité carbone.
Des milliards d’euros sur la table
Au moment de son instauration, les Français restaient pourtant divisés sur les questions environnementales, certains dénonçant par exemple une « écologie punitive ».
Le président Emmanuel Macron n’a donc pas eu d’autre choix que d’organiser un référendum, le premier depuis sa première élection en 2017. Après le traumatisme de l’été 2024, le plan est passé de justesse, avec 51% des suffrages en sa faveur. Mais il a fallu ensuite accompagner les Français pour éviter une contestation similaire aux « gilets jaunes », ce mouvement né en 2018 de la hausse du prix des carburants.
Un plan de 500 milliards d’euros sur 10 ans a donc été voté, avec un développement inédit des transports en commun pour compenser la fin de la voiture thermique et des aides massives à la formation et à la reconversion professionnelle. Car si 800.000 emplois ont été détruits dans l’opération, plus d’un million ont été créés dans d’autres domaines comme l’agriculture ou la rénovation thermique.
Si le monde a atteint son objectif de limiter le réchauffement climatique, c’est aussi parce que la Chine et les États-Unis – les deux pays les plus émetteurs de CO2 à l’époque – ont fait des avancées majeures. Notamment à l’occasion d’un sommet historique en Alaska durant les années 2020, avec les leaders de l’époque Joe Biden et Xi Jinping.
La voiture thermique abandonnée, l’avion limité
Pour parvenir à ce résultat, nos habitudes ont radicalement changé. SUV, Berline, 4×4… Dans les années 2020, de nombreux Français aimaient s’afficher au volant de grosses cylindrées: on comptait même plus de voitures que de foyers. Le covoiturage n’était alors pas très populaire, les automobilistes devaient composer avec des embouteillages monstres chaque jour dans les grandes villes.
Chaque été, un Français sur trois partait en avion à l’étranger: Grèce, Maroc, États-Unis, Thaïlande… Certains partaient en week-end en avion à Marrakech, ou à Milan. D’autres préféraient les croisières, en embarquant sur des paquebots parfois grands comme des immeubles de 20 étages, avec une consommation colossale de 2000 litres de fioul par heure.
Forcément, la transition ne s’est pas faite dans la douceur mais petit à petit, la société a changé. Des centaines de milliers d’arbres ont été plantés, des forêts urbaines ont poussé un peu partout en France. Les déplacements à vélo ont été multipliés par 10, dans les grandes villes comme dans les petites. Les voitures thermiques ne circulent désormais plus.
En ce mois de novembre 2050, une première ligne de train de nuit entre Paris et Athènes vient ainsi d’être inaugurée. Il faut dire que l’État et les collectivités locales ont mené un très gros travail d’investissement dans le ferroviaire pour passer de 27.000 km de voies ferrées dans l’Hexagone en 2020, à près de 50.000 aujourd’hui – quasiment le double.
Les dessertes fermées au début du siècle, jugées plus assez rentables au début du siècle, ont été rouvertes: la France compte désormais 5000 gares et arrêts, contre 3000 en 2022. Beaucoup de lignes ont été relancées, pour le transport de passagers mais aussi de marchandises. Le réseau ferroviaire se rapproche de son apogée: à la sortie de la Grande guerre, il a compté jusqu’à 60.000 km de voies ferrées.
Quant aux aéroports, ils ont été métamorphosés. Le terminal 1 d’Orly est désormais réservé aux vols internationaux, qui ont été réduits de moitié. Le terminal 2 n’accueille plus de vols intérieurs mais un pôle de santé régional avec un service d’urgence et plusieurs dizaines de médecins spécialistes. Enfin, le terminal 3 est devenu le plus grand centre d’Europe de réemploi des objets: on peut tout y faire réparer, échanger une bouilloire contre un appareil à raclette, louer une tondeuse ou un costume trois pièces.
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L’Ademe a établi quatre scénarios pour atteindre la neutralité carbone en France à l’horizon 2050: dans celui de la « frugalité », l’agence prévoit que la moitié des trajets du quotidien seront réalisés à pied et à vélo à l’horizon 2050 et anticipe un développement des transports en commun pour les déplacements à longue distance, avec « l’émergence d’autres manières de voyager » autour du train de nuit ou du tourisme régional.
En parallèle, dans cette hypothèse, l’Ademe prévoit « une très forte désaffection » de l’avion avec notamment la suppression progressive des lignes intérieures, l’interdiction, sauf « rares exceptions », des jets privés et la fermeture de nombreux petits aéroports.
La fin des énergies fossiles
Autre changement majeur: la fin du pétrole, du gaz et du charbon, ce qu’on appelle les énergies fossiles, qui nous ont servi pendant des décennies à nous chauffer, à nous nourrir, à nous déplacer. Pour y parvenir, les Français ont appris à moins consommer pour atteindre l’objectif que la France s’était fixée de baisser de 40% la demande totale en énergie en 30 ans. Les bâtiments ont été très largement rénovés pour en finir avec les passoires thermiques, l’efficacité des appareils et des process industriels a été améliorée.
Le pétrole a été remplacé avant tout par de l’électricité. Dans ce contexte, la France n’a pas pu se passer du nucléaire, énergie critiquée mais décarbonée: huit nouveaux réacteurs ont été construits entre 2037 et 2048. Mais le pays a aussi et surtout misé sur les énergies renouvelables. Le nombre d’éoliennes terrestres a triplé, une cinquantaine de parcs en mer ont été créés et la surface de panneaux solaires a été multipliée par 12 depuis 2022.
De nouvelles énergies ont émergé. Des gaz décarbonés notamment: du biogaz issu de déchets agricoles, via la technique de la méthanisation. De l’hydrogène vert est également fabriqué pour l’industrie, les poids-lourds, les ambulances, certains trains et les autobus. Il reste encore quelques carburants du type bioéthanol et biodiesel, mais ils servent aux avions et à certains engins des forces armées et de sécurité.
Si nous avons réussi à atteindre la neutralité carbone, c’est aussi parce que nous captons mieux aujourd’hui le gaz carbonique que nous continuons d’émettre. D’abord grâce à des puits de carbone naturels: rien qu’en France, des centaines de milliers d’hectares de forêts ont été plantés et des marais recréés. Des innovations technologiques permettent également de séquestrer le carbone de manière industrielle.
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La stratégie française pour atteindre la neutralité bas carbone prévoit que la consommation d’énergie finale de la France diminue de 40% d’ici 2050 – le niveau de la fin des années 1960, précise RTE.
Le gestionnaire du réseau électrique a établi plusieurs scénarios pour atteindre la neutralité carbone: s’il estime que « maintenir durablement un grand parc nucléaire permet de décarboner massivement », il juge l’objectif « impossible » à tenir « sans un développement significatif des énergies renouvelables ». L’une des options prévoit la mise en service de 8 réacteurs EPR entre 2035 et 2050 pour atteindre une part de l’énergie nucléaire dans le mix de 26% en 2050, le reste étant notamment partagé entre l’éolien – terrestre et en mer – (41%), le solaire (22%) et l’hydraulique (9%).
De nouveaux produits dans nos assiettes
C’est le quotidien des Français qui a ainsi été bouleversé. La majorité du parc immobilier est désormais composé de bâtiments basse consommation. Mur végétal, panneaux solaires, chauffe-eau solaire thermique… Tout est pensé pour diminuer l’empreinte carbone du lieu et de ses habitants.
La consommation d’eau est également réduite au minimum, avec des indicateurs de consommation installé sur les pommeaux de douche, qui change de couleur une fois 10 litres consommés. L’eau des toilettes n’est pas potable, il s’agit d’eau de pluie. Grâce à tous ces petits gestes, une famille consomme 5 litres d’eau par jour et par personne contre 148 litres par Français il y a 30 ans.
Les Français consomment moins, de meilleure qualité et local. Une grande partie de l’industrie du textile a été relocalisée dans l’Hexagone. Dans les campagnes, des milliers de petites fermes ont poussé comme des champignons, avec à leur tête d’anciens banquiers ou d’ex-pilotes de ligne. Dans les villes, on trouve désormais des potagers partagés en surface et des fermes installés dans les sous-sols des immeubles, où sont cultivés champignons, endives, salades… grâce à des lampes basse consommation.
Notre alimentation a été en conséquence bouleversée. Les Français ont divisé leur consommation de viande par trois: en 2022, on en consommait 82 kilos dont 21 kg de viande rouge pour un bilan carbone de 441 kg par an – près d’un quart de notre permis carbone de 2050. Le porc et le poulet, dont l’empreinte est inférieure, sont désormais privilégiés.
Nos repas contiennent également moins de produits laitiers issus de l’élevage. Le lait végetal représente la moitié du lait consommé en 2050. Et dans les prairies, le blatèrement des chameaux et des dromadaires a souvent remplacé le beuglement des vaches. Dans les années 2030, les caméleries se sont multipliées dans le Nord, en Normandie mais aussi dans des zones plus arides comme en Lozère.
Il faut dire que les camélidés sont particulièrement adaptés aux périodes de sécheresse, pendant lesquelles ils peuvent rester 10 jours sans boire. « On a pu s’adapter à des terrains qui n’étaient plus du tout adaptés aux vaches car ils devenaient trop pauvres », explique Julien Job, éleveur de chameau. Sans compter que le chameau émet 30% de méthane en moins qu’un bovin – un gaz dont l’effet de réchauffement est 25 fois plus puissant que le CO2.
Dans nos assiettes, on retrouve plus de céréales et de légumineuses, plus faciles à stocker et à conserver – ce qui permet des économies d’énergie. Également plus de fruits et de légumes, mais locaux.
Les fruits exotiques ont été quasiment abandonnés, tout comme les fruits « pétrole »: il fallait par exemple 24 tonnes d’eau et 100 kg de pétrole pour produire 1 tonne de jus d’orange, dont la production venait à 70% du Brésil. Le jus de pomme l’a désormais remplacé au petit-déjeuner. Quant au café et au cacao, ils sont beaucoup plus rares. Le chocolat est même devenu un produit de luxe.
Autant de bouleversements qui nous ont permis de gagner le pari du climat.
NOS SOURCES
Dans la plupart des scénarios envisagés par l’Ademe pour atteindre la neutralité carbone, les Français doivent faire évoluer leur régime alimentaire « vers moins de protéines carnées tout en privilégiant la viande de qualité » – l’empreinte carbone d’un régime végétarien étant quatre fois inférieur à un régime avec une à deux portions de viande par jour.
L’alimentation, dans cette hypothèse, variera « significativement au fil des saisons », même si elle pourra « sembler plus monotone à une saison donnée », avec une réduction de « la consommation de produits exotiques tels que le café, le thé, le cacao ou certains fruits non productibles sous les latitudes métropolitaines et sources d’impacts élevés pour leur production ou leur transport ».
Et si, au contraire, nous n’avions pas fait les efforts nécessaires? Projetons-nous là encore en 2050. Cette fois-ci, le dérèglement climatique s’est accentué: le cap des +2,4°C vient d’être franchi.
« Le scénario du pire est en train de se réaliser sous nos yeux », s’alarment les Nations unies dans un communiqué.
C’était la pire projection des experts du Giec, qui se traduit déjà par des températures très élevées en France, à l’image de celles connues par Narbonne. Pour la première fois en 2022, la commune de l’Aude a affiché une température de 40°C.
Désormais, en 2050, ces 40°C sont devenus la norme pour la ville et elles vont continuer à augmenter dans les années à venir: nos étés vont être de plus en plus brûlants, les canicules et les nuits tropicales vont se multiplier. À Narbonne, le thermomètre devrait atteindre les 45°C à l’horizon 2100. Et la barre très symbolique des 50°C devrait être dépassée en France dans les années à venir.
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Dans un monde « excluant toute politique de régulation du climat », les simulations de Météo-France prévoient une explosion des phénomènes extrêmes d’ici à la fin du siècle, avec notamment une augmentation des vagues de chaleur et des canicules. « Cette évolution est exacerbée dans les régions actuelles les plus chaudes, notamment l’arc méditerranéen, le couloir rhodanien et la vallée de la Garonne », précise Météo-France.
L’Amazonie n’est plus le poumon de la planète
La grande barrière de corail d’Australie, l’une des sept merveilles naturelles du monde, a été l’une des premières victimes. Elle abritait 1500 espèces de poissons, des éponges, des tortues, des requins, des baleines à bosse… Mais quand le réchauffement a franchi le seuil des 1,5 degré, en 2030, les coraux ont perdu toutes leurs couleurs. Les espèces ont fui, le blanchissement a été massif et irréversible.
« La fréquence de mortalité massive des coraux a augmenté considérablement », commente l’océanologue Jean-Pierre Gattuso. « Aujourd’hui en 2050, il y a des événements de mortalité de coraux tous les ans alors qu’aux alentours des années 2000, il y en avait un tous les quatre ans, tous les 10 ans, selon les zones et les périodes. »
Ce blanchissement aurait pu être un électrochoc mais la température a continué de monter: +2,1°C en 2040. La forêt amazonienne, le poumon vert de la planète, a alors été la nouvelle victime. Elle s’étendait sur plus de 550 millions d’hectares en Amérique du Sud, hébergeait 40.000 espèces de plantes et 6600 kilomètres de rivières sinueuses.
En 2040, son dépérissement est devenu majeur: 40% de la forêt tropicale s’est transformée en savane. Les incendies ont été encore plus nombreux. L’Amazonie s’est mise à rejeter plus de carbone qu’elle n’en absorbait.
Un autre point de bascule a suivi dans l’Antarctique orientale. Quand le réchauffement a atteint 2,3°C en 2045, la fonte du bassin sous-glaciaire Aurora s’est accélérée. De la taille des États-Unis, la plus grande calotte glaciaire du monde s’est mise à rétrécir à son tour.
« On sait que le basin Aurora contient suffisamment de glace pour augmenter le niveau des océans d’environ 5 mètres, c’est gigantesque », explique la glaciologue Heïdi Sevestre.
« On sait qu’il y a à peu près 700 millions de personnes qui habitent sur les littoraux entre 0 et 10 mètres », rappelle la spécialiste. « On comprend très vite que même si on touche à une fraction de ce bassin, ce sont très rapidement des centaines de millions de personnes qui sont connectés à son futur. »
NOS SOURCES
Une étude parue en septembre 2022 dans la revue Science, synthèse de plus de 200 publications scientifiques, estime qu’un réchauffement de la planète au-delà de 1,5°C, objectif le plus ambitieux de l’accord de Paris, pourrait déclencher plusieurs « points de basculement » climatiques, qui engendreraient des réactions en chaîne.
La France face à la montée des eaux
En franchissant ces points de non-retour, les conditions même de la vie sur Terre sont interrogées à moyen terme et la montée des eaux s’annonce plus importante. D’ici 2100, la mer pourrait s’élever d’un mètre, laissant le nord de la France largement sous les eaux, à l’image de Calais. En Europe, une bonne partie des Pays-Bas serait inondée. Certains modèles prévoient même une hausse de plus de 2 mètres à la fin du siècle.
En 2050, le niveau a déjà monté de 25 centimètres, ce qui peut paraître peu mais a déjà de lourdes conséquences. Le marais poitevin est sous les eaux, les infiltrations d’eau salée et les inondations à répétition menacent la survie de Niort, La Rochelle et le nord de Bordeaux…
En Gironde, la ville de Lacanau a été relocalisée. En 28 ans, la mer a avancé de 56 mètres. 1200 logements et 120 commerces ont dû être déplacés vers l’intérieur des terres. Au total, en France, 126 communes ont dû être déplacées ou consolidées.
Dans le Nord, à Dunkerque, la plage de Malo, le quartier qui borde la mer du Nord, accueillait chaque année le carnaval, une attraction très populaire depuis le 17e siècle. Avec la montée des eaux, le front de mer a dû être abandonné car plusieurs tempêtes l’ont submergé, comme en 2042 après le passage de Nina d’une très forte intensité combinée avec une marée exceptionnelle.
« Dunkerque c’est la ville la plus basse, donc c’est la première qui a été touchée », note Sakina Pen Point, analyste des risques climatiques. « Mais toutes les villes qui sont proches des littoraux (…) vont être touchées petit à petit. »
En Normandie, les falaises de la Manche fragilisées menacent dangereusement la ville d’Étretat. Sur la Côte d’Azur, c’est une infrastructure majeure qui a été touchée: l’aéroport de Nice, construit sur la mer, a dû être abandonné. Les ouragans méditerranéens ont endommagé les pistes. Il est devenu trop coûteux de les réparer à chaque fois.
NOS SOURCES
Le dernier rapport du Giec estime que le niveau moyen de l’océan augmentera d’au moins 28 cm d’ici 2100 en cas de nette réduction de nos gaz à effet de serre ou probablement, si nous conservons la trajectoire actuellement, de 63 cm à 1,01 m – le scénario d’une élévation de 2 mètres n’est pas écarté par les experts. L’institut de recherche américain Climate Central a élaboré une carte pour simuler les conséquences de cette montée des eaux.
Pas de sursaut politique
Comment expliquer cette situation? Après la méga-canicule dramatique de 2024, un plan d’urgence bien été décidé en Europe et en France mais le président de l’époque, Emmanuel Macron, n’a pas réussi à le faire appliquer.
« Le pays n’est pas prêt », expliquait-il alors. « Et je n’ai malheureusement pas réussi à vous convaincre. J’en prends acte aujourd’hui: les divisions sont trop fortes, certains intérêts trop puissants, certains partis politiques trop irresponsables. »
« Mais en attendant, il est de ma responsabilité de préserver la paix civile », estimait le chef de l’État de l’époque. « C’est pourquoi, j’ai décidé de suspendre le programme de grande transition. Les mesures qui ont cristallisé la colère de nos concitoyens, dont le permis carbone, sont abandonnées. »
Aucun plan d’action n’a pu ensuite être voté. Ni en France, ni dans le monde.
Pénuries, rationnements…
La planète manque aujourd’hui de pétrole, car nous avons continué à consommer de la même façon, même pire. Les énergies alternatives n’ont pas été développées et tout le monde a oublié que les réserves n’étaient pas inépuisables.
Après avoir atteint un sommet en 2008 (69 millions de barils par jour), la production de pétrole conventionnel n’a fait que baisser depuis. Moins de gisements ont été découverts, beaucoup se sont taris. Les autres sont devenus de plus en plus difficiles à exploiter. L’exploitation du pétrole de schiste a d’abord compensé, mais cela n’a pas suffi.
Le déclin a donc été rapide et irréversible. Le pétrole est devenu rare, ce qui a provoqué de grosses tensions avec des conséquences sur les transports, l’industrie mais aussi l’agriculture: on estime que près de 30% de la production agricole n’a pas pu être récoltée l’été dernier, faute de carburant pour faire fonctionner les moissonneuses-batteuses et les tracteurs.
À cette mauvaise nouvelle s’ajoute la crise énergétique, particulièrement aïgue en cet hiver 2050. Le ministère de l’Énergie envoie des messages quotidiens pour annoncer les rationnements aux consommateurs, qui vivent au rythme des coupures de courant. Les Français délaissent les frigos, inutilisables. Ils achètent au jour le jour, se replient sur les conserves… Si les familles aisées ont encore des voitures individuelles, les autres sont obligées de se contenter des rares transports en commun en service.
NOS SOURCES
Dans un rapport publié en 2021, The Shift Project estime « acquis que la décennie 2030 verra un déclin marqué et irréversible » de la production de pétrole. Le think tank, qui travaille sur « la transition vers une économie libérée de sa dépendance aux énergies fossiles », s’appuie notamment sur de précédentes projections de l’Agence internationale de l’énergie. Cette dernière alertait sur un risque de « resserrement de l’offre » dans les années à venir, avec le déclin de la production de pétrole conventionnel.
Le choix de l’exil climatique
L’exécutif est même obligé d’annoncer des rationnements de médicaments. La cause: les difficultés d’approvisionnement, liées aux pénuries d’essence, à la désorganisation dans les transports, à l’impossibilité également d’importer ces remèdes d’Inde ou de Chine.
Les Français vont devoir changer leurs habitudes et ne pourront plus soigner leurs maux comme ils le souhaitent. Ces médicaments si familiers – paracétamol, aspirine… – ne seront plus disponibles dans les pharmacies mais réservés aux hôpitaux, tout comme les antibiotiques.
Lassés, certains Français rêvent d’une autre vie et font des demandes de visa pour partir s’installer au nord de l’Europe et ainsi échapper aux inondations, aux sécheresses, mais aussi aux pénuries et aux rationnements. En France, on estime qu’il y aura 1,4 million de personnes qui seront forcées à se déplacer à cause de la montée des eaux d’ici 2100.
NOS SOURCES
Les réfugiés climatiques vont se multiplier dans les années à venir: un rapport de la Banque mondiale publié en 2021 prévoit que le dérèglement climatique pourrait contraindre, d’ici 2050, quelque 216 millions de personnes à migrer à l’intérieur de leur pays. Le Giec estime pour sa part que des dizaines, voire des centaines de millions de personnes vont devoir migrer d’ici la fin du siècle en raison de la montée des eaux.
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