En juin 2022, Rakus, un orang-outan de l’île de Sumatra applique sur son visage un cataplasme de plante pour soigner sa blessure. C’est la première fois qu’on l’observe chez les grands singes à l’état sauvage.
Un comportement presque humain. Blessé au visage, un orang-outan de Sumatra s’est fabriqué un pansement à partir d’une plante médicinale, a rapporté ce jeudi 2 mai la revue Scientific Reports. Selon les scientifiques, c’est la première fois qu’un tel comportement est observé chez un grand singe à l’état sauvage.
Le primate, nommé Rakus, est suivi par une équipe de scientifiques avec quelques 130 congénères, tous à l’état sauvage, dans le parc national de Gunung Leuser au nord de l’île de Sumatra en Indonésie.
Un remède traditionnel
Âgé d’une trentaine d’années, Rakus est blessé au visage en juin 2022 « probablement lors d’un combat avec un mâle du voisinage », selon Isabelle Laumer, primatologue à l’Institut allemand Max Planck et première autrice de l’étude.
Trois jours après sa blessure, le singe se met à mâcher les feuilles d’une liane, appelée localement « Akar Kuning » (Fibraurea tinctoria). Après en avoir extrait le jus, il enduits ses doigts de la préparation avant de l’appliquer sur sa plaie, s’étendant de l’oeil droit jusqu’aux narines. Résultat: cinq jours plus tard la plaie était refermée et deux semaines après, elle laissait une cicatrice à peine visible.
Le « remède » utilisé n’a rien de miraculeux, il fait partie de la pharmacopée traditionnelle dans la région, de la Chine à l’Asie du sud-est. Cette liane et d’autres similaires « sont utilisées comme remèdes traditionnels pour différentes affections, comme la malaria », selon la biologiste cognitive, citée par le Max Planck. Grâce à des propriétés antibactériennes et anti-inflammatoires, entre autres.
Selon l’étude, il s’agit du premier « cas documenté de traitement d’une blessure avec une espèce de plante contenant des substances biologiques actives par un animal sauvage ». Si elle est confirmée par d’autres observations, elle complèterait une liste croissante de comportements d’auto-médication par des animaux, notamment chez des primates.
« C’est très spécial car jusqu’à présent, du moins à notre connaissance, aucun animal sauvage n’a été observé en train de soigner ses blessures avec une plante médicalement », a déclaré Isabelle Laumer.
Dans les années 1960, la célèbre primatologue Jane Goodall avait observé pour la première fois des chimpanzés absorber des feuilles médicinales, dont le rôle anti-parasitaire fut révélé plus tard. Un comportement observé depuis chez des bonobos et des gorilles, avec une sélection par l’animal des plantes ingérées, dont la connaissance serait transmise par des femelles.
Un geste intentionnel?
Plus récemment, des chercheurs ont observé des orang-outans de Bornéo, également en liberté, mâchant les feuilles d’une plante médicinale avant de s’en frotter les membres uniquement. Coïncidence? La plante en question, Dracenea cantleyi, est typiquement utilisée par les populations indigènes pour traiter muscles endoloris et douleurs articulaires.
« C’est toujours fascinant de découvrir des comportements qui ressemblent presque à ceux des humains », a confié Isabelle Laumer à la revue scientifique Stat News.
« Nous sommes bien plus semblables que différents », a-t-elle ajouté.
L’étude estime en effet que le comportement de Rakus, comme celui de ses congénères de Bornéo, était bien intentionnel. Avec un traitement répété et méticuleux d’un endroit bien précis, « qui a pris un temps considérable », selon Isabelle Laumer.
Co-autrice de l’étude, la Dr. Caroline Schuppli n’exclut pas une « innovation individuelle », d’origine accidentelle. Rakus aurait pu sans le vouloir appliquer le jus de la plante sur sa plaie, juste après avoir porté ses doigts dans la bouche. Comme la plante a un effet analgésique, les singes « peuvent éprouver un soulagement immédiat, les poussant à répéter l’opération plusieurs fois », selon cette responsable du Groupe développement et évolution cognitive au Max Planck.
Ce comportement n’ayant pas été observé localement jusqu’ici, la chercheuse n’exclut pas qu’il soit présent dans la zone d’origine de Rakus, les jeunes orang-outans mâles quittant leur région natale après la puberté. Le fait que, comme les humains, des primates puissent traiter activement une blessure de cette façon laisse imaginer que « notre dernier ancêtre commun utilisait déjà des formes semblables de traitement à l’aide de pommades », selon la Dr. Schuppli.
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