Après l’effondrement meurtrier d’une partie du glacier de la Marmolada en Italie, la question de réguler davantage l’accès à la montagne se pose. En France, les glaciers sont surveillés de près afin d’anticiper au mieux un potentiel effondrement.
Une interdiction d’accès aux massifs, ou encore la mise en place de drapeaux rouges pour signaler un danger… La polémique enfle en Italie pour savoir s’il faut mieux sécuriser la montagne après l’effondrement meurtrier d’une partie du glacier alpin de la Marmolada
Pour Marco Bussone, le président de l’Union des communes de montagne (Uncem) italiennes, il faut ainsi « totalement repenser (les conditions d’accès à la montagne) après cette immense tragédie ».
Le détachement d’un sérac a provoqué dimanche dernier une avalanche de glace et de roches qui a emporté plusieurs cordées réalisant l’ascension de ce glacier dans le nord-est de l’Italie. Au moins dix personnes ont été tuées, selon le dernier bilan provisoire jeudi soir.
Selon certains témoignages, des randonneurs et les guides avaient alerté ces dernières semaines sur la dangerosité du glacier, fragilisé par le réchauffement climatique ainsi que par des températures record enregistrées cette année en Italie – 10°C au sommet de la Marmolada la veille de la tragédie. Mais certains randonneurs se sont tout de même aventurés sur le sommet, ce qui pose la question de la régulation de l’accès à ces espaces risqués.
Plusieurs glaciers surveillés en France
Dans les montagnes françaises, « certaines zones sont particulièrement sous surveillance », explique à BFMTV.com Luc Thibal directeur technique national de la Fédération française des clubs alpins et de montagne, qui cite par exemple le glacier de Planpincieux dans le massif du Mont-Blanc.
« Il y a un calcul de danger imminent, et un processus d’alerte en place » en cas de risque d’effondrement. En août 2020, plusieurs zones avaient ainsi été évacuées dans le Val Ferret (en Italie) en raison d’un risque de détachement de ce glacier.
Les glaciers « sont progressivement en train de mourir par manque d’alimentation (en eau de pluie), par manque de froid, manque d’hivers conséquents et d’étés trop chauds », a expliqué sur BFMTV Sylvain Coutterand, docteur en géographie alpine.
Donc « le glacier très mince ne tient plus, on a des crevasses importantes qui se forment et à un moment donné on atteint un point de rupture ».
L’exemple de Tignes et des 2 Alpes
En France, si beaucoup de glaciers « ne présentent pas de caractéristiques d’effondrement imminent », « tout est surveillé ».
« On a beaucoup plus d’eau qui transite sous les glaciers aujourd’hui », en raison du réchauffement climatique, continue Sylvain Coutterand. « On a une évolution des glaciers. Des glaciers froids, qui sont en dessous de zéro degré, sont quand même surveillés parce que s’ils passent à zéro degré on peut avoir des glissements. »
La station de ski au glacier des 2 Alpes (Isère), victime à la fois d’un déficit de précipitations au cours de l’hiver dernier et des fortes chaleurs des dernières semaines, a ainsi fermé plus tôt cette année, pour protéger le glacier en lui-même, mais aussi les skieurs.
Le glacier de Tignes (Savoie) a pris le même chemin, car « l’enneigement très limité cet hiver associé à des chaleurs assez conséquentes dès la fin de l’hiver, le printemps et ce début d’été font que la neige est partie très très vite », a expliqué sur BFMTV Frédéric Bonnevie, directeur régie des pistes de Tignes.
Comment « mieux anticiper les risques »?
Pour éviter les effondrements dramatiques, Luc Thibal appelle à ce que la surveillance des zones potentiellement en danger soit accrue, avec « plus de personnes dédiées, plus de capteurs ». Il demande également davantage de moyens sur les recherches consacrées au réchauffement climatique en montagnes, « pour pouvoir mieux anticiper les risques ».
« On peut (surveiller les glaciers) maintenant avec des méthodes modernes et éventuellement alerter les populations qui vivent au pied lorsque le danger se précise », déclare à l’AFP le glaciologue Bernard Francou.
« On essaye d’améliorer un peu mieux la connaissance des lois d’écoulement des glaciers et de frottements pour essayer de comprendre un peu mieux comment réagissent nos glaciers », explique sur BFMTV Luc Moreau, glaciologue. Ce afin que l’on « s’y adapte pour essayer de trouver éventuellement des solutions localisées et pour éviter ces dangers ».
En mai dernier, un important éboulement avait eu lieu dans le massif de Belledone (Isère), dans le lac du Crozet. Des scientifiques de l’Inrae (Institut national de la recherche agronomique) étaient intervenus sur les lieux ensuite afin de « regarder des effets potentiels du changement climatique avec de plus en plus d’éboulement, de chutes de blocs en montagne », expliquait à France Bleu Laurent Borgniet, chercheur à l’Inrae.
Luc Thibal insiste également sur la nécessité que les personnes qui partent en montagne partent informées quant aux précautions à prendre sur le chemin, avec des informations actualisées avant le départ.
« La montagne est toujours dangereuse »
Toutefois, « la montagne est toujours dangereuse », rappelle Luc Thibal, qui souligne que les accidents mortels en montagne ne sont pas nouveaux, et se prononce contre un verrouillage de l’accès aux massifs:
« Nous on a très peur que l’on mette la montagne sous cloche », déclare-t-il.
S’il encourage la surveillance accrue de certains lieux, lui et sa fédération se disent « contre le principe de précaution généralisé sans raison ». En somme, il s’oppose à l’interdiction d’accès à la montagne quand il « n’y a pas de raison objective » de fermer les chemins.
Avec une interdiction, « nous perdons notre liberté et donc notre sens des responsabilités (…), la conscience de notre fragilité », plaidait cette semaine dans le journal italien La Stampa l’alpiniste italienne Nives Meroi, première femme à avoir vaincu dix sommets de plus de 8000 mètres. Elle considère que la montagne doit « rester ouverte ».
« On ne peut rien faire pour empêcher la chute de ces glaciers, la meilleure façon c’est de la prévention », déclare sur notre antenne Jean Jouzel, climatologue et glaciologue, « c’est-à-dire de dire aux gens de ne pas aller dans les endroits à risques, de bien les identifier et vraiment faire le maximum attention ».
L’enjeu « c’est d’arriver à être réactif, à s’adapter et à pouvoir trouver des stratégies pour pratiquer la montagne mais en toute sécurité », expliquait également Laurent Borgniet. « Et arriver à passer aux endroits identifiés, correctement balisés où il y a moins de danger. Après, le risque zéro n’existe pas, mais c’est notre job d’essayer de caractériser les risques le mieux possible. »
Selon le rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) paru le 1er mars, la fonte des glaces et neiges est l’une des dix menaces majeures causées par le réchauffement climatique, perturbant les écosystèmes et menaçant certaines infrastructures.
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