Dans les établissements pénitentiaires, on voit déjà les premières retombées de la polémique: les directions semblent plus réticentes à organiser des activités pour les détenus.
Un mois plus tard, que reste-t-il après la polémique autour de « KohLantess »? Fin juillet, les images tirées d’un événement sur le modèle de l’émission Koh-Lanta comprenant notamment des épreuves de karting et de tir à la corde à la prison de Fresnes avait fait réagir jusqu’au ministère de la Justice.
« Après les images choquantes de la prison de Fresnes, j’ai immédiatement ordonné une enquête pour que toute la lumière soit faite. La lutte contre la récidive passe par la réinsertion mais certainement pas par le karting! », avait lancé Éric Dupond-Moretti dans un tweet.
Là où le projet se voulait être une activité « de prévention » et avait « énormément de sens » selon les mots du directeur de la maison d’arrêt Jimmy Delliste, les images issues de l’événement ont été critiquées pendant plusieurs jours, notamment par des personnalités venues de la droite.
Des activités annulées ou suspendues
Alors que le débat retombe, certains témoins affirment cependant que la polémique a laissé des traces dans les centres de détention. Éric Dupond-Moretti a promis un contrôle renforcé des activités en prison, et les organisateurs semblent plus frileux aujourd’hui à associer les détenus à divers projets.
« Suite à KohLantess, dans la prison où je bosse (et sans doute ailleurs) la plupart des activités est sur pause. Par exemple le Goncourt des détenus ou le module sur les violences familiales », déplore Laélia Véron, enseignante en prison, sur Twitter.
La raison? « Tout le monde stresse, et tout le monde veut être sûr d’avoir 500 validations hiérarchiques avant de mettre en place lesdites activités », avance-t-elle encore.
L’enseignante précise qu’aucune instance n’est pourtant venue interdire ou annuler les activités prévues dans les centres de détention. « C’est plus pernicieux que ça: la polémique a fait peur à tout le monde, et maintenant tout est beaucoup plus lent et compliqué à organiser (alors que ce n’était déjà pas facile avant!) », souligne Laélia Véron.
L’été, « tout est à l’arrêt »
Un coup de massue supplémentaire sur des activités déjà rares dans les établissements pénitentiaires, c’est aussi ce que craint Me Garance Le Meur-Abalain, membre de l’A3D, association des avocats pour la défense des droits des détenus.
« On le voit au quotidien: dans les maisons d’arrêt, où le taux de surpopulation carcérale est le plus fort, il y a très peu d’activités parce qu’il y a peu de personnel et de moyens d’action », explique-t-elle auprès de BFMTV.com ce mercredi.
Peu d’activités, et surtout l’été, alors que le personnel du Service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP) prend ses congés, détaille-t-elle. « Pendant la période estivale, tout est à l’arrêt. Cette activité (à Fresnes, NDLR), avait l’avantage de se tenir au moment même où les détenus sont laissés à l’abandon. »
« De l’auto-censure » dans les directions des prisons
Comme Laélia Véron, l’A3D constate aussi de son côté que des centres annulent petit à petit des activités consacrées aux détenus. « On voit de l’auto-censure de la part des établissements, une réticence à proposer des activités spéciales de peur de les voir refusées », témoigne Garance Le Meur-Abalain.
Parmi les annonces faites par le garde des Sceaux à la suite de cette polémique, celle de l’adoption d’une circulaire visant à renforcer le contrôle autour de l’organisation d’événements en milieu carcéral. L’objectif annoncé par le ministre de la Justice: « fixer clairement les conditions nécessaires à la tenue de projets de réinsertion en prison ».
« Ils devront désormais tous être soumis à une validation expresse de la direction de l’administration pénitentiaire », poursuit le ministre dans un tweet.
Face à ce qu’elle voit comme une « forme de contrôle beaucoup plus forte de la part des autorités », Garance Le Meur-Abalain redoute des temps de traitement des demandes décuplés à cause de ces étapes supplémentaires. « Plus personne n’aura le courage de lancer ce type d’initiative dans les mois à venir », estime-t-elle, alors que la validation des projets par la hiérarchie prend déjà beaucoup de temps d’ordinaire.
Manque de réinsertion
Pourtant, ces différents projets ont une importance capitale dans la réinsertion des détenus: d’après un bulletin publié par le ministère de la Justice en juillet, 45% des détenus qui sont sortis de détention en 2016 ont récidivé dans les deux années suivantes.
La faute, selon l’Observatoire international des prisons (OIP), au manque d’accompagnement des détenus. « Il y a une prise en charge insuffisante au niveau des activités, du travail, de la formation et des soins en prison, qui peut également s’accompagner d’une rupture des liens familiaux », expliquait Prune Missoffe, responsable plaidoyer à l’OIP, auprès de BFMTV.com à ce sujet.
Après avoir effectué sa peine, « la personne va nécessairement rejoindre l’espace public, la société », abonde Garance Le Meur-Abalain. « Si elle ressort de la même manière que quand elle est entrée en prison, sans diplôme, toujours ancrée dans un parcours de délinquance, elle ne va pas être en capacité de changer à la sortie. On ne va pas dans le bon sens. »
Un fort taux de récidive
L’avocate prend notamment appui sur les données issues des pays du Nord: là où le taux de scolarisation est plus haut que dans les geôles françaises, le taux de récidive, lui, est beaucoup moins élevé.
« Sur une peine courte, s’il n’y a aucun soin, aucune activité proposée, ça ne changera strictement rien », martèle l’avocate.
Afin de faire un bilan plus précis des retombées, l’OIP lance ce mercredi un appel à témoignages au sujet de la suspension ou de la suppression des activités socio-culturelles ou sportives dans les établissements pénitentiaires.
Pour sa part, Garance Le Meur-Abalain estime que les principales conséquences de cette polémique seront davantage visibles à la rentrée. Alors que François Molins, le procureur général près la Cour de Cassation, s’est exprimé ce mercredi matin sur France Inter en déclarant que « le vrai problème, c’est l’état des prisons », l’avocate espère que l’épisode « KohLantess » pourra au moins « permettre aux députés de se saisir de ce sujet-là » lors de la rentrée parlementaire.
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