Alain Laprie, le "neveu préféré", a-t-il vraiment tué sa tante?

Alain Laprie a été condamné à 15 ans de réclusion criminelle pour le meurtre de sa tante le 27 mars 2004. Un crime qu’il a toujours nié. Dans son dernier livre Sans preuvre et sans aveu, l’écrivain Philippe Jaenada dénonce l’enquête conduite dans cette affaire.

« Comment peut-on décider de couper un homme de sa famille et de ses amis, de le priver de sa liberté, comment peut-on lui ôter la plupart des années qui lui restent à vivre en s’appuyant sur de telles inepties, de telles manœuvres? » Peu importe l’intime conviction de l’écrivain Philippe Jaenada sur l’innocence d’Alain Laprie, la condamnation de cet homme à 15 ans de réclusion criminelle pour le meurtre de sa tante en 2004 est le résultat d’une « injustice flagrante », estime-t-il.

Dans Sans preuve et sans aveu, l’auteur de La Serpe (Prix Femina 2017) revient sur cette affaire criminelle récente, non pas pour réaliser sa propre contre-enquête, mais dénoncer une enquête essentiellement à charge. L’écrivain y évoque cette « obsession sur une seule piste ».

« J’ai pu consulter le dossier d’instruction, jamais je me suis dit que j’allais écrire un livre », expliquait récemment Philippe Jaenada dans l’émission Affaire suivante sur BFMTV.

« À chaque page, mes yeux s’agrandissaient. Je me disais ‘c’est pas possible’. J’avais vraiment cette réaction qu’il est impossible en France d’envoyer un homme en prison sur une enquête, une instruction et un procès à charge. »

La piste du neveu privilégiée

Cette affaire, c’est celle du meurtre de Marie Cescon. Le 17 mars 2004, peu avant 23 heures, cette femme de 88 ans est découverte inanimée dans sa maison de Pompignac (Gironde) par deux jeunes voisins, alertés par la fumée qui se dégage de l’habitation.

Malgré leurs efforts pour sortir la vieille dame, cette dernière succombe à ses blessures. Si elle présente une large plaie à l’arrière du crâne provoquée par une chute sur le coin d’un mur, elle est bien morte d’une intoxication liée à la fumée de l’incendie.

« L’enquête démarre mollement », note Philippe Jaenada.

Le jour du drame, l’octogénaire, veuve depuis dix ans, a reçu la visite de son neveu, fils de son frère Antoine, et de sa compagne. Comme souvent, Alain Laprie, son autre neveu, est venu aider Marie Cescon pour couper du bois. Le couple repart vers 18 heures, Alain Laprie les imite à 19h30.

Suicide? Cambriolage qui a mal tourné? Les premiers soupçons vont porter sur Alain Laprie, le neveu « préféré » de Marie Cescon selon les témoins, qui a passé une grande partie de ses vacances enfant chez son oncle et sa tante sans enfant.

« Ma tante, je l’aimais »

Tous les témoignages le place au cœur des investigations. N’est-il d’ailleurs pas la dernière personne à avoir vu la victime? Son attitude le soir du drame n’est-elle pas curieux, réclamant davantage à entrer dans la maison pour récupérer des affaires que des nouvelles de sa vieille tante? D’ailleurs, cette dernière, sans enfant, ne venait-elle pas de modifier son testament, déshéritant Alain Laprie qu’elle soupçonnait un temps de lui avoir volé sa carte bleue?

Le mobile serait donc pécunier. Ce dernier, comme d’autres membres de la famille, profite de la générosité de sa tante. Elle se plaint d’ailleurs depuis quelques mois de son neveu qui n’en a que pour son argent.

« Je n’ai jamais frappé ma tante, je n’ai jamais mis le feu », assure Alain Laprie, cité par Sud Ouest, au premier jour de son procès en février 2020. Ce sont des mensonges. On a fait du mal à ma famille, à mes enfants, à ma femme. Je ne pourrais pas écouter tous ces blasphèmes de la partie civile. »

« Ma tante je l’aimais, j’étais chez elle deux ou trois fois par semaine », se défendait alors l’accusé. « Des qu’elle avait un problème c’est moi qu’elle appelait. »

Le témoignage crucial de l’oncle

Un élément va cependant convaincre les enquêteurs et les juges d’instruction. En 2007, alors que les gendarmes viennent pratiquer des tests ADN, Antoine, le frère de la victime, va affirmer qu’Alain Laprie lui a avoué le meurtre de sa tante cinq jours après les faits.

Selon son récit, une dispute a éclaté entre le neveu et la tante. Ce dernier aurait alors saisi un bâton et frappé la vieille dame au crâne. Il aurait ensuite pris un papier, y aurait mis le feu, avant de le lancer dans une chambre inoccupée derrière le salon.

« Pourquoi a-t-on accepté si facilement les aveux d’Alain Laprie faits par l’intermédiaire d’un oncle si intéressé? », s’interroge une source proche du dossier.

Alain Laprie a toujours nié avoir formulé ces aveux. « Mais je n’ai jamais fait d’aveux! », s’était-il d’ailleurs emporté devant la cour d’assises en février 2020.

Ce témoignage va pourtant être crucial dans cette affaire. D’autant que pour les enquêteurs, qui écartent une possible implication du frère de la victime, certains détails ne sont connus que du meurtrier. Il sera même suffisant, malgré la mort du vieil homme en 2014, pour emporter la conviction des jurés de la cour d’assises: en appel, en février 2020, ils condamnent Alain Laprie à 15 ans de réclusion criminelle, un an et demi après son acquittement en première instance.

Pour les proches de l’accusé, ce dernier paie notamment son attitude lors de sa confrontation avec son oncle, visionnée lors du procès. On y voit alors un homme détendu, sûr de lui. « Un homme qui sait qu’il est innocent », estime une source proche du dossier.

Des éléments matériels contestables

Car pour le reste, les éléments techniques censés confirmer la culpabilité d’Alain Laprie ne sont pas irréfutables, comme les liste Philippe Jaenada. Il y a d’abord l’heure à laquelle l’incendie a été allumé. Les experts s’opposent sur cette donnée, l’un d’eux horodatant le départ du feu à une heure qui innocente Alain Laprie.

Les robinets de la gazinière dans la cuisine étaient tous allumés lorsque le corps de Marie Cescon a été découvert. Or, la bouteille de gaz, située à l’extérieur du pavillon, était quasiment pleine. Si Alain Laprie est celui qui a allumé la gazinière, le niveau de la bouteille ne coïncide pas avec son heure de départ. L’accusation en a conclu que la bouteille était fermée de l’extérieur, ce que le tueur ignorait.

Et pourtant, l’octogénaire ne coupait jamais cette alimentation, selon plusieurs témoins. « Tous les proches et les voisins diront qu’elle ne touchait jamais la bonbonne de gaz, qu’elle ne la fermait jamais », martelait Philippe Jaenada il y a quelques semaines sur le plateau de BFMTV.

L’écrivain note aussi les lacunes de l’enquête et notamment le fait qu’aucune expertise ADN n’a été réalisée que ce soit sur les poussoirs de la gazinière, ou sur le mégot de cigarette retrouvé à proximité du corps de Marie Cescon, et ce alors qu’Alain Laprie ne fume pas. Concernant le mobile autour de l’héritage, ce dernier a toujours assuré ne pas avoir été mis au courant que sa tante avait rédigé un nouveau testament. Ce document a été porté à la connaissance des enquêteurs par la voisine de la victime.

Cette dernière leur a raconté que Marie Cescon lui avait demandé de l’aide pour le rédiger. La voisine dit avoir sollicité sa fille, secrétaire, pour l’écrire. Ce qu’elle dit avoir fait sur la table de cuisine le 28 juillet 2003. Selon les deux femmes, Alain Laprie en était totalement exclu. Le patrimoine était partagé à parts égales entre une de ses soeurs et trois de ses neveux et nièces. Ce testament n’a jamais été déposé devant notaire et n’a jamais été retrouvé.

D’ailleurs pourquoi Alain Laprie aurait-il insisté pour retourner dans la maison le soir du drame, pour récupérer ce document, s’il était le tueur? D’autant que l’héritage est loin du chiffre annoncé par l’accusation. En 2020, quand Alain Laprie est jugé en appel, l’avocat général évoque la somme de 750.000 euros, une estimation bien supérieure à la valeur du patrimoine de la victime lors de sa mort à 2004, évalué à peine plus de la moitié de ce qui est considéré comme le mobile du crime.

Surtout, pour les partisans de l’innocence du neveu, ce dernier vivait confortablement et n’avait pas besoin de cet argent.

Demande de nouveaux actes d’investigation

Alain Laprie dort en prison depuis le 2 septembre 2021. Après sa condamnation en appel, il avait été remis en liberté le temps que la justice examine son pourvoi en cassation. Les semaines précédant son incarcération, il est allé à la rencontre de Philippe Jaenada pour lui demander de s’intéresser à son affaire. Dans le même temps, il contacte une nouvelle avocate qui épluche elle aussi le dossier d’instruction pendant deux mois avant d’accepter de le représenter.

« À la lecture du dossier, je me suis dit ‘ce n’est pas possible' », explique Me Muriel Ouaknine-Melki à BFMTV.com.

Dans quelques jours, elle va déposer une nouvelle demande d’actes d’investigation au procureur de la République dans l’espoir de lancer une demande de révision du procès d’Alain Laprie. Cette demande de révision est conditionnée à la découverte d’éléments nouveaux qui n’ont jamais été portés à la connaissance de la cour d’assises.

« J’espère que le parquet va s’en saisir », aspire l’avocate, dont l’objectif « est de lui rendre sa dignité et son avenir, à lui et à sa famille ».

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