Affaires Jubillar, Daval, Le Tan... La reconstitution, "moment-clé" d'une enquête criminelle

Aveux de l’accusé, logistique hors normes, émotions intenses… Des avocats et des juges d’instruction expliquent l’importance de cet acte d’enquête « à part » et reviennent sur des exemples récents.

Retracer la chronologie du drame. Alors qu’il nie toujours son implication, Cédric Jubillar, mis en examen en 2021 et placé en détention provisoire depuis, doit participer à une reconstitution dans la nuit de mardi à mercredi, presque deux ans jour pour jour après la disparition de son épouse Delphine Jubillar, cette infirmière de Cagnac-les-Mines, dans le Tarn.

Une demande qui émane des avocats de la défense eux-mêmes et à laquelle les juges d’instruction ont finalement donné suite. Le principal suspect du dossier doit être conduit sur les lieux, à savoir la maison du couple et ses abords, et rejouer minute par minute le cours de la soirée de la disparition, en présence de ses conseils.

Cédric Jubillar « peut craquer » à cette occasion, estime Me Philippe Pressecq, avocat d’une cousine de Delphine Jubillar, interrogé par France Bleu Occitanie.

« Je pense qu’il est possible qu’il craque parce qu’une reconstitution, c’est un moment fort. C’est une catharsis. »

Se rapprocher de la vérité

Une telle reconstitution est quasiment systématique dans les dossiers touchant à des crimes et qui finiront vraisemblablement devant les assises. « Elle permet de mettre en images et en mouvement ce qui a été établi comme une vérité juridique », résume Daniel Francisco, juge d’instruction à Fort-de-France (Martinique), auprès de BFMTV.com.

Car lorsque les versions du mis en examen et des témoins ou parties civiles sont trop différentes, la reconstitution permet parfois aux enquêteurs de se rapprocher de la vérité.

Daniel Francisco se souvient notamment du cas de deux hommes mis en examen pour avoir séquestré une femme dans une voiture avant de lui donner la mort en mettant le feu au véhicule. Leurs versions avaient évolué au cours de la reconstitution. Les individus avaient par la suite dû être réinterrogés, donnant ainsi un nouvel élan à l’enquête.

« Le fait de confronter quelqu’un à ses propos lorsqu’ils sont peu cohérents, quand on est sur place et qu’on peut poser les éléments dans l’espace, permet de débloquer certaines choses », conclut le juge d’instruction.

« C’est à ce moment-là qu’il craque »

Dans la majorité des cas, en dehors du mis en examen et des acteurs policiers et judiciaires, aucune personne extérieure ne peut assister à cette étape de l’instruction censée être très confidentielle.

Pourtant, dans certains cas, les proches des victimes sont autorisés à y accompagner leurs avocats. Les parents de la petite Maëlys de Araujo avaient notamment été autorisés, en septembre 2018, à assister à la reconstitution de l’enlèvement et du meurtre de leur fille, intervenus un an plus tôt.

La mère de la fillette s’était alors adressée à Nordahl Lelandais en le traitant de « sale monstre » et de « pédophile ». Si, dans ce cas précis, la présence de la famille n’a pas permis de faire flancher le suspect – depuis condamné à la réclusion criminelle à perpétuité -, cette confrontation peut parfois avoir un caractère décisif.

L’une des reconstitutions les plus marquantes de ces dernières années à ce titre reste certainement celle de l’affaire Alexia Daval, tuée par son conjoint en octobre 2017. Gilles-Jean Portejoie, l’avocat de la famille de la victime, parle encore aujourd’hui de ce lundi 17 juin 2019 comme de « l’un des moments les plus forts de (sa) carrière ».

Le beau-père de Jonathann Daval, Jean-Pierre Fouillot et sa belle-mère Isabelle Fouillot lors de la reconstitution du meutre de leur fille Alexia à Esmoulin en Haute-Saône, le 17 juin 2019 © SEBASTIEN BOZON © 2019 AFP

« On se retrouve dans ce bois, il fait une chaleur incroyable. Jonathann Daval nie farouchement avoir brûlé le corps d’Alexia. Mes clients se rapprochent à quelques mètres de lui, et Isabelle Fouillot (la mère d’Alexia Daval, NDLR) lui dit qu’il leur doit la vérité », raconte-t-il à BFMTV.com.

S’engage alors un échange intense d’une dizaine de minutes durant lequel Isabelle Fouillot enjoint son beau-fils à tout avouer, par affection pour la famille. « La juge aurait très bien pu interrompre l’échange, mais elle laisse faire », détaille Gilles-Jean Portejoie, « ému » à l’évocation de cet instant.

« Elle sent, comme nous, que quelque chose est sur le point d’arriver. Ils finissent par se mettre à pleurer, et c’est à ce moment-là qu’il craque. »

Une organisation logistique importante

Dans la grande majorité des cas, les reconstitutions demandent un gros effort logistique de la part du juge d’instruction et des enquêteurs qui l’entourent. La reproduction la plus fidèle possible des crimes et de leur contexte nécessite d’avoir accès aux lieux dans lesquels le drame s’est joué, mais aussi de mobiliser de nombreux acteurs du procès à venir.

Si la victime est décédée, il faut également trouver une personne de même corpulence pour l’incarner au mieux, détaille Thomas Cassuto, ancien juge d’instruction contacté par BFMTV.com.

« Pour l’auteur, il faut aussi anticiper qu’il ne veuille pas participer à la reconstitution, même s’il y assiste en tant que partie de la procédure », poursuit Thomas Cassuto. « À ce moment-là, on fait appel à un figurant » dont les gestes devront coller à ce qui est décrit dans la procédure ou à ce qu’a déclaré le mis en examen.

La plupart du temps, ces « rôles » sont incarnés par des policiers ou des gendarmes. Lorsque les gestes que doit reproduire le mis en examen sont trop violents, un mannequin peut remplacer l’humain, comme lors de la reconstitution du meurtre de la petite Maëlys de Araujo.

Nordahl Lelandais lors d'une reconstitution en septembre 2018
Nordahl Lelandais lors d’une reconstitution en septembre 2018 © BFMTV

Une organisation lourde la plupart du temps, d’autant qu’il faut pouvoir coller au mieux à la temporalité des événements.

« Si on veut reconstituer un accident ou un crime qui s’est déroulé en quelques secondes, cela peut prendre plusieurs heures parce qu’il faut que tout le monde puisse s’exprimer. C’est tout l’intérêt d’une reconstitution », ajoute le magistrat.

« Un choc » pour tous les acteurs du dossier

« Pour le mis en examen aussi, c’est un moment extrêmement violent. » Me Pierre Giuriato est l’avocat de Jean-Marc Reiser, qui a été condamné à la perpétuité pour l’assassinat de Sophie Le Tan avant de faire appel, en juillet. Lorsqu’il évoque la reconstitution, en février 2021, de la journée durant laquelle son client a tué et démembré l’étudiante en 2018 à Schiltigheim (Bas-Rhin), l’avocat décrit une « organisation logistique hors-norme » liée à la nécessité de sécuriser les lieux au maximum.

« Il y avait tout un quartier bouclé par un dispositif mis en place par les CRS et les policiers. Toute une partie de la ville était gelée », de 9 heures à 17 heures, se souvient-il.

Des policiers bloquent la rue où se déroule la reconstitution du meurtre de Sophie Le Tan, à Schiltigheim, banlieue de Strasbourg, dans l'est de la France, le 16 février 2021.
Des policiers bloquent la rue où se déroule la reconstitution du meurtre de Sophie Le Tan, à Schiltigheim, banlieue de Strasbourg, dans l’est de la France, le 16 février 2021. © Frederick Florin – AFP

Il explique que son client portait alors un gilet pare-balles ainsi qu’un casque, pour éviter d’éventuelles atteintes, l’affaire ayant suscité beaucoup d’émoi dans l’opinion publique.

« La plupart du temps, le mis en examen est incarcéré depuis plusieurs mois. On le sort de sa prison pour qu’il reproduise des gestes que lui-même n’a parfois pas totalement compris ou retenu. Ces actes peuvent avoir été commis dans des situations hors de contrôle, sous le coup de l’émotion », décrypte Pierre Giuriato.

« C’est toujours un choc de se retrouver dans le lieu qui a changé sa vie et celle de la victime. »

« Ce qu’il se passe lors de la reconstitution peut solidifier l’acte de défense comme nous amener à l’actualiser en fonction des éléments mis en lumière », explique l’avocat.

« Mieux comprendre » les faits en les posant dans l’espace

Du côté des parties civiles aussi, les faits reconstitués peuvent apporter de nouveaux éclairages et faire pencher la balance. « Quand on est dans les lieux, on peut mieux comprendre des choses au niveau de la circulation » des différents protagonistes, estime Me Cécile de Oliviera. Pendant toute la durée de l’instruction et du procès, l’avocate a représenté et accompagné la famille de Brigitte Troadec, assassinée, tout comme son mari et ses deux enfants, à Orvault (Loire-Atlantique) en février 2017.

Hubert Caouissin, jugé en juillet dernier, a écopé de 30 ans de réclusion criminelle pour avoir tué au pied-de-biche puis dépecé la famille, qu’il soupçonnait de lui avoir dérobé un trésor familial composé de pièces et de lingots d’or. Deux ans avant cet épilogue judiciaire, la reconstitution avait été une étape importante pour écarter certaines hypothèses au dossier.

« On a pu comprendre par exemple le rôle qu’a joué l’exiguïté de la cachette dans laquelle Hubert Caouissin s’était dissimulé. Cela a permis de comprendre pourquoi les parents sont descendus sans se rendre compte que le meurtrier était dans la maison », se remémore Cécile de Oliveira auprès de BFMTV.com.

« Dans la chambre des enfants, avec les gerbes de sang au plafond, on ressentait toute la cruauté de la scène », ajoute-t-elle.

Hubert Caouissin (caché) et son avocat sont accompagnés par la police lors d'une reconstitution près de la rivière Aulne à Pont-de-Buis le 12 mars 2019
Hubert Caouissin (caché) et son avocat sont accompagnés par la police lors d’une reconstitution près de la rivière Aulne à Pont-de-Buis le 12 mars 2019 © Fred TANNEAU © 2019 AFP

Seul regret pour l’avocate: que des mannequins en chiffon aient été utilisés pour reproduire le moment où les quatre corps ont été transportés dans la voiture de Caouissin. « Les mannequins pesaient beaucoup moins lourds que les victimes. Sans ça, on aurait probablement constaté qu’Hubert Caouissin n’aurait pas été en état de porter les corps dans la voiture, tout seul », sans l’aide d’une autre personne ou d’un outil supplémentaire, estime-t-elle.

« Figer les faits » en vue du procès

Au-delà de la seule enquête, cette étape de l’instruction revêt une grande importance pour les citoyens tirés au sort qui auront à juger les suspects par la suite. Elle est un moyen pour eux d’avoir une idée précise de la manière dont se sont déroulés les faits car ils pourront prendre appui sur les photos et éventuelles vidéos prises par les enquêteurs en amont du procès.

À ce titre, Thomas Cassuto en est convaincu: la reconstitution est un acte salutaire, si ce n’est nécessaire, pour éclaircir un dossier d’instruction qui pourra peut-être paraître indigeste pour les futurs jurés d’assises.

« Cela permet d’avoir une lecture de l’affaire la plus claire possible: on passe d’une procédure écrite, littéraire, à quelque chose de visuel, de dynamique. »

« Dans les cas où c’est possible, c’est toujours un acte utile qui permet de bien figer les faits, les versions ou les hypothèses », conclut le magistrat.

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